35ème marathon pour David Redor dans le Colorado. Pikes Peak : Une autre dimension
Ça y est, je suis arrivé à Colorado Springs, une semaine avant la course afin de m’acclimater. La ville est perchée à plus de 1 800 mètres. Au programme cette semaine, beaucoup de repos, gestion de la respiration et de l’aérobie en altitude, mais aussi un petit peu d’entraînement vertical pour voir ce que mon cœur et mon corps pensent des montées raides des alentours.
Je fais la connaissance de Sean, un français très sympa qui habite en Floride. Il a couru le marathon l’année dernière et court cette année « l’Ascension », i.e. « The Pikes Peak Ascent », soit 21,13 km de montée avec un dénivelé de 2 321 mètres. Je passerai quelques jours avec lui afin de bénéficier de ses conseils, de m’entraîner et de visiter les environs.
J’ai Pikes Peak devant les yeux toute la journée et, déjà d’ici, ce pic montagneux est très impressionnant : cela promet ! Il fait bon mais je sais et l’on voit bien que le temps est imprévisible au sommet et qu’il change très rapidement. Au cours de la semaine nous aurons tous les temps : de la chaleur, de la fraîcheur, du vent, un orage et de la pluie. Seule la neige manque à l’appel mais je préfère la laisser où elle est car je n’aimerais pas la croiser au sommet comme ce fut le cas certaines années.
Après avoir récupéré mon dossard le jeudi et être allé à la Pasta Party le vendredi soir, je reste totalement au repos le samedi et essaie de me concentrer sur le parcours. Je m’endors vers 23h et me réveille à 5h15. Je prends mes trois petits paquets d’immun’Âge® mais ne prendrai qu’un petit déjeuner très léger car j’ai très bien mangé hier soir. La tenue pour aujourd’hui sera assez complète : caleçon long et maillot à manches longues pour éviter les coups de soleil, gants, casquette, bandana pour me protéger la nuque et un coupe-vent enroulé dans une ceinture pour le froid au sommet.
Sean passe me chercher car il veut assister au départ du marathon. En repassant en revue les conseils qu’il m’a donnés, il me propose une gourde à main au cas où il fait vraiment très chaud et, après hésitation, je vais lui emprunter. Je ne le sais pas encore mais cela me sauvera la vie.
Nous nous rendons au départ situé dans la jolie petite ville de Manitou Springs. Quelques photos car il fait grand soleil et la montagne est superbe, puis c’est le départ à 7h00. C’est parti ! 800 qualifiés partent à l’assaut de la légende Pikes Peak ! Je pars tout doucement comme l’a conseillé Sean. Les deux premiers kilomètres se courent sur route et ça commence déjà à monter.
Après avoir quitté la ville et la route, nous attaquons le trail jusqu’au sommet. Le rythme se ralentit car ça bouchonne : on ne peut pas doubler, le chemin étant étroit. Par la suite, cela se débloque et je peux enfin remonter pas mal de coureurs car il y a des passages larges ainsi que quelques portions plates voire même en descente. Je n’aurai pas vraiment le temps de regarder le chrono aujourd’hui car je reste concentré sur mes appuis et sur mon aérobie qui, jusqu’à présent, est bonne. Je me sens bien et arrive au 10ème kilomètre – soit la moitié de l’ascension – en 1h46min. Je me dis alors que je peux peut-être arriver au sommet en moins de quatre heures mais je pense que je n’avais pas assez bien regardé la montagne (rires) car cela va très vite se corser. La gourde de Sean me sert énormément car je prends des gorgées de Gatorade sans arrêt et, sans elle, je serai tombé en déshydratation : même si les ravitaillements sont nombreux et complets, je suis tout le temps assoiffé.
A partir du 14ème km, nous prenons un premier coup de massue derrière la tête : la pente s’accentue fortement et l’on commence à ressentir le manque d’oxygène. La foulée se transforme en marche rapide et la respiration devient de plus en plus difficile. Je vais atteindre par trois fois mon seuil anaérobie. Je devrai donc m’arrêter, respirer quelques secondes puis repartir tranquillement. J’arrive au 15ème km en 2h58min et je comprends maintenant qu’atteindre le sommet en moins de quatre heures était plus qu’utopique. Nous commençons à croiser les premiers coureurs qui redescendent et devons bien évidemment leur laisser la priorité et nous ranger sur le côté ce qui nous fera perdre beaucoup de temps pour atteindre le sommet.
Au 17ème kilomètre, c’est l’estocade : nous sortons de la forêt, un vent froid souffle et je sors mon coupe-vent. La pente continue de s’accentuer et l’oxygène est maintenant très rare à 4000 m d’altitude. Nous peinons tous à avancer. Le cerveau n’étant plus correctement alimenté en oxygène, nous ne sommes plus coordonnés dans nos mouvements, nous n’avons plus les idées claires et sommes au bord d’un étrange malaise. Une sensation vraiment impressionnante. Je me demande si c’est bien moi qui pilote mon corps et si je ne vais pas m’évanouir. Je dois maintenant m’arrêter très souvent, mettre la tête en avant pour y faire parvenir le sang, respirer fort et essayer de reprendre mes idées. Des coureurs sont allongés sur des rochers et je leur demande si cela va pour eux. Les secours de haute montagne ainsi que les personnes de l’organisation s’inquiètent de notre santé mentale et nous demandent comment nous nous appelons et de répéter notre prénom.
J’arrive au 20ème km en 4h40min et le semi-marathon est franchi en 5h08min. Je ne suis pas encore arrivé au sommet, il me reste 300 mètres à parcourir et j’y arriverai en 5h18min. Dix minutes pour parcourir 300 mètres : ça vous donne une idée de la difficulté. Une fois arrivé, je savoure ce moment incroyable car la vue est à couper le souffle (que nous n’avons plus depuis longtemps) et les paysages grandioses. Nous sommes à 4 302 mètres mais bizarrement le soleil donne et il fait moins froid que 500 mètres plus bas. Je fais quelques photos, me ravitaille et me pose dix minutes pour reprendre mon souffle et essayer de m’éclaircir les idées. L’état dans lequel je me trouve est étrange et nouveau pour moi, mais je trouve ça intéressant malgré tout. Je repars donc pour la descente.
La deuxième partie de la montée ayant été extrêmement pentue, la première partie de la descente s’annonce donc vertigineuse. Je vais devoir faire très attention car je sais que je n’ai pas les appuis pour cela et que ce n’est vraiment pas ma spécialité. J’aborde donc la descente prudemment, la langue collée au palet (pour éviter de la couper en cas de chute) et sur un rythme tranquille en me focalisant sur le sol et mes appuis. Je sais qu’à chaque foulée, tout peut s’arrêter et mon challenge se terminer sur le versant de Pikes Peak, et c’est hors de question. Entre le 22ème et le 25ème km, j’aurai droit à quelques frayeurs et j’aurai plusieurs occasions de me sortir la cheville. Je décide donc, en toute logique, par respect pour mes sponsors et pour mon challenge, de couper les gaz et de marcher les passages les plus sinueux et ceux truffés de racines et autres cailloux semi-enterrés. Le chrono n’est plus important car je sais maintenant que je serai classé et largement dans les temps. Je vais donc jouer la prudence et aussi en profiter pour faire quelques pauses photos car la nature et la vue sont magnifiques.
Je croise une dame non voyante qui fait le marathon avec un guide. Je suis très ému et impressionné ! Je la félicite bien évidemment, A côté d’elle, nous méritons à peine une poignée de mains à l’arrivée. Les idées redeviennent plus claires et la respiration est plus aisée au fur et à mesure de la descente. Au 28ème km un coureur chute devant moi. Je l’aide à se relever. Il n’a pas de bobos sérieux et il pourra repartir. Les kilomètres me semblent longs et je passe le 30ème km en 7h15min. Il fait très bon maintenant et je décide d’enlever mon coupe-vent – qui m’aura parfaitement servi jusqu’au sommet – et de l’enrouler autour de ma taille.
Le chemin devient moins dangereux sur la deuxième partie de la descente. Je décide donc de relancer sur une bonne foulée ce qui me permettra de doubler pas mal de coureurs et de rattraper un petit peu de temps. L’arrivée n’est plus très loin car on domine et on peut voir la vallée maintenant. Encore quelques virages serrés et j’arrive sur la route. La descente continue jusqu’à l’arrivée et je terminerai en grandes foulées. Il y a beaucoup de monde dans le centre-ville pour nous applaudir ce qui est fort appréciable. Un dernier virage en bas de la descente et c’est la ligne d’arrivée que je franchis en 8h 59min56s (L’organisation retiendra 9h00min46s, je crois).
Je récupère ma magnifique médaille et ma veste de finisher puis rejoins Sean qui était là à l’arrivée pour prendre quelques photos. Je prends mon Immun’âge®, puis me ravitaille, bois deux bonnes bières bien méritées et m’assois pour discuter un moment avec Sean et un autre coureur. Nous allons nous restaurer et assisterons à l’arrivée des derniers coureurs, certains arrivant en pratiquement douze heures de course. Même s’ils n’ont pas fini la course dans les temps, ils méritent tout notre respect car finir cette course est un exploit en soi. Bravo à eux !
Ron, l’organisateur, un homme très gentil avec qui j’ai discuté jeudi soir, avait donné une interview avant la course sur une chaîne américaine, expliquant que c’était le marathon le plus dur au monde et je le confirme ! Cette course est vraiment à courir une fois dans sa vie pour ceux qui peuvent se qualifier car elle est unique à tous points de vue. Il y avait une très bonne ambiance entre coureurs ; les volontaires et le public ont bien animé la course et les secours de haute montagne ont assuré notre sécurité. Le temps était parfait, le soleil ne nous a pas assommés et s’est montré quand il le fallait. Pour les photos en particulier, c’était une journée parfaite.
On sent que tout est bien rôdé depuis longtemps, ce marathon étant une référence mondiale de la course à pied. Je vais maintenant me reposer toute la semaine et essayer de récupérer le plus vite possible car je cours samedi dans le Nebraska.
Bonne semaine à tous.
David