Charli Etchegoyen : Ceci est une histoire inspirée de faits réels, j’y raconte ce que j’ai vu et entendu…
Au détour de nos connaissances, heureuses, malheureuses, étranges, passionnantes, nous avons parfois ce privilège, celui de découvrir des hommes, des femmes étonnantes, riches intellectuellement, adossés à des vies parfois chaotiques mais puissantes.
Nous avons tous quelque part dans nos connaissances des gens capables, en plus d’avoir eu une vie pleine et riche, le don d’en parler et de partager ces instants précieux. Voici une histoire, une tranche de cette réalité écrite par notre ami Charli Etchegoyen, qui a souvent trouvé ici, dans les colonnes de SXMINFO la possibilité de transcrire ces émotions, ces expériences, son regard de ce qui l’entoure.. Nous vous la partageons avec plaisir…
Notes de l’auteur :
Ceci est une histoire inspirée de faits réels, j’y raconte ce que j’ai vu et entendu. Je n’ai changé que les noms des personnages non publics. Elle peut être lue comme une fiction. Elle peut également être perçue comme un témoignage sur les stratégies qu’utilisent les puissants états du monde pour installer leur domination :
- Maintenir dans la misère des pays qui possèdent suffisamment de richesses pour se relever et devenir leurs égaux.
- Organiser une occupation subtile par le biais d’ONG, d’universités étrangères et d’entités caritatives et religieuses.
- Développer des projets scientifiques et/ou humanitaires qui permettent en réalité de découvrir et d’estimer les richesses convoitées.
- Fomenter des révolutions sans lendemain, maintenir ou évincer des dictateurs selon les besoins d’alibis, pour enfin pratiquer sans vergogne des « pillages d’états ».
JUREZ DE DIRE LA VÉRITÉ, TOUTE LA VERITE…
Monsieur Charles Etchegoyen veuillez vous lever, mettez votre main gauche sur cette bible, levez la main droite et jurez au nom de dieu de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité…
Je le jure.
Après avoir passé de longues années dans les Caraïbes, vous êtes parti d’abord en république Dominicaine puis au Québec et ensuite vous vous êtes installé en Haïti. Où étiez-vous et que faisiez-vous le vendredi 7 février 1986 ?
J’étais en Haïti, j’habitais avec ma famille haïtienne au Morne Hercule, dans une petite maison au milieu de ce qui est devenu aujourd’hui un des gros bidonvilles des hauts quartiers de Port-au-Prince.
Dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 février, le peuple haïtien a « déchouké » le président à vie, Jean-Claude Duvalier, lui même fils du célèbre dictateur Papa Doc, auto proclamé président à vie. 29 années de Duvaliérisme s’envolent comme ça, à 2h du matin. La journée qui a suivi a été riche en évènements. A l’annonce du départ de Baby Doc par les radios, le peuple en liesse est sorti dans la rue. On a assisté à un carnaval spontané. Les haïtiens brandissaient des branches d’arbres et chantaient le déchoukage. On se serait cru en pleine période carnavalesque avec ses bandes Raras. Très vite ils s’en prennent aux biens de la famille présidentielle. Tout ce qui a touché de près ou de loin les Duvalier et leurs acolytes pendant cette longue période de dictature a été détruit, pillé, incendié, ruiné. Les Tontons Macoutes ont été les premières victimes.
Que faites vous concrètement ce matin là ?
En réalité, nous nous attendions tous à ce dénouement. Cela faisait des mois que la vindicte populaire s’étoffait et grondait. Les villes de province s’étaient déjà soulevées les unes après les autres, en commençant par Gonaïves, ville centrale et symbolique de la révolution. Le renversement du pouvoir duvaliériste était imminent.
A cette époque j’avais monté un négoce de t-shirts que j’achetais en Haïti et revendais dans les iles du nord des petites Antilles. Denis, un français aux multiples activités commerciales, négociant en alcool et vin français, agent de change et autres, venait de monter un atelier de confection et de sérigraphie. Il produisait mes T-shirts et m’employait au secteur sérigraphie. Ce matin là, il m’a appelé assez tôt et m’a demandé de descendre avec lui Place Du Géffrard pour voir si ses locaux qui se trouvaient à l’étage d’une grande bâtisse coloniale, n’étaient pas visés par les manifestants. Je suis sorti de Morne Hercule avec ma petite Renaud 5 que je venais d’acheter et nous nous sommes retrouvé à Pétion-ville. J’y ai garé ma voiture et suis monté dans son gros 4X4. Très vite en descendant par Delmas en direction de la ville, nous avons vu des groupes de gens très excités et résolus. Ils forçaient des barrières, pillaient des magasins, déchiquetaient des voitures et tout ça à mains nues. C’était impressionnant ! On est arrivé assez vite devant les établissements de Denis. Tout allait bien, il y avait peu de monde sur cette petite place. Puis nous sommes montés vers le palais national, histoire d’assister à cette liesse populaire. Il y avait foule ! Ça courait dans tout les sens. Tout en remontant la rue Pavée on a vu des gens en train de sauter à pieds joints, debout sur le capot d’une voiture qu’ils écrasaient à la force des pieds… il y avait probablement un macoute à l’intérieur… Plus loin devant le Palais National, nous avons assisté à un « Père Lebrun », c’est à dire une pile de pneus en feu, avec un macoute à l’intérieur. Plus la journée avançait, plus la foule était en délire. Nous avons décidé de remonter à Pétion-Ville. Arrivés sur la place, j’ai constaté que ma voiture n’y était plus. Comme beaucoup, ce jour là, j’ai été victime du vol de mon véhicule.
Denis n’a pas pu me raccompagner chez moi, l’accès à ma rue étant bloqué par un attroupement qui cernait le poste des VSN, (Volontaire de la Sécurité Nationale), entendez Macoutes. Il m’a déposé à l’entrée du Morne Hercule. Les miliciens s’étaient retranchés à l’intérieur de leur caserne, plus ou moins protégés par un cordon de militaires des troupes des « Léopards» qui ceinturaient le bâtiment. Des reporters internationaux se sont installés à l’écart sur un talus. Je me suis engagé dans la foule compacte et après m’y être frayé un chemin, je suis resté un moment coincé juste devant l’entrée de ma rue. Les militaires à quelques mètres devant moi avaient du mal à contenir les manifestants qui poussaient et réclamaient la peau des macoutes retranchés. Bousculé d’avant en arrière, entre la foule et les militaires menaçants, j’ai entendu sonner midi. Au même instant, les premières rafales d’armes automatiques ont crépité; elles étaient tirées en l’air et ont eu pour effet une dispersion immédiate de la foule. Emporté par ce mouvement, j’ai couru dans la ruelle en direction de ma maison. Devant moi, un homme s’est entaillé la main sur une tôle, et sans le vouloir m’a frappé la poitrine. Je me suis retrouvé avec une grosse tache de sang, alors que je n’étais aucunement blessé. Je suis arrivé chez moi. On s’est enfermé car les militaires venaient d’instaurer le couvre feu. Toute l’après-midi et la nuit suivante on a entendu des coups de feu et le son des armes automatiques. Un engin blindé a sillonné le quartier jusque devant la clôture de la maison. Au cours des jours qui ont suivi, des centaines de macoutes et autres personnes ont été tués, brulés, écrasés dans tout le pays.
Lors de votre premier témoignage, vous avez été plus précis sur« les activités » de votre ami français ! Vous disiez qu’il était en relation étroite avec l’état sous la dictature des Duvalier, précisez je vous prie.
Denis était marié avec la sœur du 1er des macoutes de Jean Claude Duvalier, son premier policier et garde du corps en quelque sorte. Les bâtiments qui hébergeaient son entreprise appartenaient à son beau-frère. Inutile de vous dire que ce matin là, il n’était pas tranquille.
Je vous ai dit que je travaillais pour Denis comme responsable de l’atelier sérigraphie. Juste avant le coup d’état, nous étions en train de produire des commandes de T-shirt pour le carnaval, destinées à chaque ministère et société de l’état, avec l’effigie du couple présidentiel d’un coté et « Carnaval 1986 » de l’autre . Les commandes affluaient ; 25 milles pour le ministère des finances, 40 milles pour ici, 15 milles pour là, bref une grosse production. J’avais la charge d’une trentaine d’employés pour y faire face. Depuis plusieurs mois, une grogne populaire se répandait. Avec moi, les ouvriers parlaient sans retenue et je partageais souvent leurs opinions. Pendant toute la réalisation de cette commande, nous nous moquions de l’effigie de Baby Doc et de Michèle Bennett sa femme. On s’envoyait les t-shirt avec dédain tout en rigolant bien. C’est peut être cela qui a sauvé l’entreprise du déchoukage systématique de tout ce qui touchait de près ou de loin les Duvalier. Dès le lendemain de la révolution, Denis nous a demandé de découdre les faces avec l’effigie des dictateurs. Puis avec mon équipe, après avoir brûlé les épreuves compromettantes, nous avons recousu les moitiés récupérées pour refaire de nouveaux T-shirts, histoire de ne pas perdre trop de marchandise, avec ce nouveau slogan « Opération déchoukage réussie ». Les commandes ont afflué et ont dépassé toute nos espérances.
Vous avez quitté Haïti en 1986, puis vous êtes revenu vous y installer en 1988. Vous dites avoir loué une grande villa dans les hauts quartiers de Port-au-Prince, à Frères exactement. Si J’ai bien compris, vous sous-louiez à deux ONG, chacune un appartement leur servant de pied à terre pour la venue de leurs membres sur Port-au-Prince ?
En effet, les quelques mois qui suivirent le départ des Duvalier ont été un peu chaotiques. Après y avoir laissé ma voiture, c’est le vol de mon argent, de mon passeport, puis la perte de mon voilier qui m’a poussé à repartir à St Martin. Mais deux années plus tard, la situation semblant se stabiliser, j’ai décidé de revenir en Haïti.
J’ai alors rencontré un blanc, Américain / Anglais, qui comme moi avait vécu son enfance dans les iles, lui aux Bahamas, moi dans les petites Antilles. Bob s’était installé très tôt dans le sud, près des Cailles et dirigeait avec sa femme haïtienne, « La Verte », une ONG en plein essor à laquelle nous avons sous-loué l’un des appartements. Il s’agissait d’un projet écologique de reboisement, de production agricole et d’autres domaines liés à l’agriculture. Spécialisé dans le montage de dossiers, il venait de trouver trois millions de dollars de financement. Le principal donateur était l’Us Aid.
La Verte m’employait en freelance. Toutes les semaines, je parcourrais 300 km en moto pour rejoindre le site. On sillonnait les campagnes et régions côtières, les villages à l’intérieur du pays, les contres-fort de la montagne Macaya sur le flan desquelles s’installaient des projets agricoles. J’avais pour mission de réaliser plusieurs films; un sur le reboisement, un autre sur les techniques de greffes, et un troisième sur les modes de cultures choisis par les agronomes. Les films étaient ensuite projetés à titre pédagogique dans les villages et les fermes isolées. La Verte pouvait être fière, à cette époque, de ses résultats avec sa centaine de pépinières, ses champs cultivés et toutes ses productions réparties dans le Sud d’Haïti. Arbres fruitiers, manguiers greffés, champs d’ananas, culture des pois, production de semences, distribution d’arbres pour la reforestation, laboratoire de production cellulaire, elle était l’un des plus gros pôles agricoles de la région sud d’Haïti.
Oui, oui, vous développerez tout cela si on vous le demande. Parlez-nous plutôt de l’autre ONG.
De l’autre organisation, Macaya Proteksion, je ne connaissais que Youri, américain. Il était pour moi le principal instigateur de l’ONG. Il habitait sur place dans le sud, et je lui louais un studio dans notre grande maison de Port-au-Prince où il venait souvent pour voir sa fille. Il avait également une chaire à l’université américaine des Cailles. Je n’en savais pas plus à l’époque. Il m’employait pour du travail de cartographie : Je devais situer sur des cartes IGN les zones qui correspondaient à des projets d’acquisitions de terres liés à la protection de l’environnement. Tout cela dans le secteur du Pic Macaya, la montagne la plus haute d’Haïti, et la plus sauvage, dotée de la dernière forêt tropicale primaire, très dense, abrupte et pratiquement encore inexplorée.
Vous étiez donc employé par ces deux ONG. Bien…
Est-il vrai qu’assez rapidement vous avez noté et dénoncé des disfonctionnements ? Selon vous, les inspecteurs de
l’Us Aid manipulaient les projets humanitaires de façon à éviter systématiquement leurs pérennisations ?
En effet, c’est ce que j’ai constaté pendant la période où j’ai travaillé pour « la Verte ». Le projet des pépinière associé au reboisement, grâce aux arbres fournis aux paysans, fut reconduit durant trois ans puis simplement abandonné. Le groupe d’expert de l’Us Aid venu passer 3 semaines de vacances à se dorer la pilule, a applaudi la réussite du projet puis a décrété son abandon au profit d’un autre projet, la conservation des sols pour les cultures en terrasse. Programme au demeurant très intéressant dans ce pays de montagnes. Mais en abandonnant les pépinières à leur sort et en délocalisant les secteurs d’intervention, l’Us Aid stoppait le versement des salaires alloués aux paysans qui avaient la charge des pépinières. Ce qui, évidement, a entrainé la mort des jeunes arbres non entretenus. Il aurait fallu 20 ans de soutien et de rigueur pour voir émerger des résultats !
Ce scénario est classique dans la grande aventure des aides internationales, se faire passer pour des bienfaiteurs tout en sabotant les embryons de réussite ! Les entités humanitaires internationales ne donnent que très peu en réalité. En dehors de quelques salaires dérisoires versés localement, la majorité des subventions est dépensée en équipements achetés dans les pays financeurs et en salaires mirobolants pour les ingénieurs et agronomes envoyés en mission.
J’ajoute à cela que le plus souvent, les fonds des aides internationales ne proviennent pas de fonds publics mais de dons privés qui tombent spontanément en millions de dollars, lors d’évènements majeurs comme par exemple le terrible tremblement de terre de Port-au-Prince.
Hum… Après le départ des Duvalier, vous dites avoir vécu plusieurs coups d’état et vous avez déclaré qu’ils servaient des intérêts étrangers.. !
Oui, depuis 1986, les coups d’états se sont succédés en Haïti, pratiquement au rythme d’un par année. Au début l’armée a pris le pouvoir en attendant d’organiser des élections démocratiques. Puis quelques hommes ou femmes politiques ont été élus. Cela ne durait jamais longtemps et quand le peuple les déchoukait, de petits roitelets militaires reprenaient le contrôle de l’Etat en attendant des réélections démocratiques. Tous ces apprentis dictateurs partaient en vidant les caisses du pays. Avant chaque coup d’état, les rumeurs circulaient quelques jours à l’avance, « ce week-end restez chez vous », nous prévenaient nos amis. Et en effet, souvent en fin de semaines, les camions militaires sortaient, sillonnaient la ville et les quartiers à toute allure. Ces manœuvres avaient pour objectif d’impressionner la population qui se terrait ainsi jusqu’à la prise du Palais présidentiel. A cette époque, avec les grands chamboulements politiques et l’insécurité qui en découlait, Haïti était devenue la plaque tournante principale du trafique de cocaïne entre la Colombie et les Etats-Unis. On pouvait voir des militaires devenus narcotrafiquants s’acheter d’immenses propriétés, y construire des palaces et régner en maitre sur la région environnante. Nous nous sommes habitués à ce ballet régulier qui a perduré jusqu’à l’élection du très populaire Jean-Bertrand-Aristide le 7 février 1991.
Que s’est il passé avec Aristide ? Était-il vraiment si populaire ? Que savait-vous de lui ?
C’était, en apparence, une sorte d’abbé Pierre connu pour son travail dans les quartiers populaires, la création d’orphelinats et les actions qu’il engageait auprès des enfants de rue. Tout le monde se souvient de ces jeunes qui lavaient les vitres des voitures aux feus des carrefours sous l’égide de son association, « La famille c’est la vie ». Il a été élu avec une grande majorité dans la liesse populaire, après une tentative d’assassinat qui a contribué à sa légende. D’irréductibles macoutes hauts gradés de l’armée ont mitraillé l’église Saint Jean Bosco de La Saline alors qu’Aristide, encore simple prêtre, officiait. Il y a eu une trentaine de morts et une centaine de blessés mais lui s’en est miraculeusement sorti. Il incarnait l’espoir du peuple. Mais assez vite il a dévoilé son incapacité à gouverner et son vrai visage, celui d’un dément. Le peuple a déchanté et l’a éjecté, enfin, l’a « déchouké », comme tous les autres.
Ensuite, il est devenu une véritable marionnette entre les mains des maitres d’un ballet politique, dirigé alternativement par les militaires haïtiens, l’Onu et le pouvoir américain. Aristide a retrouvé par trois fois la présidence. Lors de son deuxième déchoukage, les américains lui ont accordé l’asile politique en le reconnaissant comme président légitimement élu. Il a bénéficié d’une résidence protégée à Washington pendant plus d’une année. Son retour au pouvoir fut digne d’un film hollywoodien: les américains ont déplacé un porte-avion sous l’égide des casques bleu armés comme des Gi’s Jo, organisé un débarquement spectaculaire et médiatisé, en hélicoptère, à l’aéroport international Toussaint Louverture. Puis, il lui ont ré-ouvert les portes du Palais National.
Le porte avion est resté neuf mois en position d’occupation et de soutien à Aristide, le temps, disaient les américains, qu’il reprenne les rênes du pouvoir.
Pendant qu’Aristide était à Washington, vous avez rencontré sa secrétaire particulière à saint Martín ?
Oui… Entre ses deux mandats, Joëlle, secrétaire particulière d’Aristide, l’a accompagné pendant toute la durée de son séjour à Washington. C’était une amie de ma compagne. Apres une mission en Haïti elle s’est arrêtée à Saint Martin et a passé une soirée à la maison.
Je me souviens très bien de la description qu’elle nous a faite de ce que la CIA faisait endurer à Aristide. Enfermé dans une résidence, prison dorée pour sa sécurité, « ils » le préparaient à son retour en Haïti. Tous les jours il suivait des enseignements et recevait des directives précises sur la façon dont il devrait reprendre le pouvoir et gouverner Haïti, en laissant, bien entendu, la part belle aux américains.
Vous avez dit avoir été en très bons termes avec la famille de René Préval, qui a été 1er premier ministre d’Aristide, puis Président à plusieurs reprises. Quels sont les liens que vous avez entretenus avec lui ?
Quand je suis arrivé la première fois en Haïti, fin 1984, j’ai trouvé une jolie petite maison dans les hauteurs, au dessus de Pétionville. Cette maison appartenait à la famille des boulangeries Préval, famille très aimée du peuple. J’ai connu d’abord Claude, le père, homme charmant à qui je payais mon loyer. Puis plus tard, sa sœur, agent consulaire d’Haïti en Guadeloupe. Elle logeait chez nous chaque fois qu’elle venait à Saint Martin durant la 2 ème mandature de son frère. René Préval a été, d’après moi, le moins corrompu de tous les présidents jusqu’à aujourd’hui. Il est le seul à avoir été élu démocratiquement et à avoir terminé ses mandats sans violence. J’ai appris plus tard par sa sœur que quand Clinton est venu en « héros sauveur » dans « l’aftermath » du fameux tremblement de terre qui a fait plus de 250 milles morts, il lui a proposé de signer un contrat de gestion intégral de la direction d’Haïti contre la prise en charge de l’ensemble des opérations de sauvetage. Il promettait également de sauver le pays par la suite.
Evidement, Préval a refusé, Haïti ne pouvait devenir une succursale ou une concession Américaine. Les sauveteurs américains ont alors pris tout leur temps pour s’installer tranquillement dans la plaine du grand Cul-de-sac. Ils ont débarqué leur matériel et ont monté leurs tentes et toutes leurs infrastructures avec douches, cantines, hôpital, sans se presser, pendant que les cadavres s’amoncelaient sur les décombres et que les blessés mouraient de leurs blessures, de soif et de faim. On a pu voir dans les médias, Clinton à bord d’un hélicoptère, jeter des petites bouteilles d’eau au dessus des quartiers en ruines alors que plus d’un million de gens étaient en urgence absolu.
Vous avez mentionné, lors d’une séance antérieure, l‘existence d’un groupe d’intellectuels Haïtiens qui dénonçait les exactions et le pillage des richesses Haïtienne par des sociétés étrangères.
J’étais rentré déjà depuis 5 ans à Saint Martin, quand j’ai découvert ce groupe dont certains membres étaient d’anciennes connaissances, des irréductibles défenseurs de l’intégrité haïtienne. Ils ont été assez vite contrés par les instances étrangères présentes en Haïti : le groupe dénonçait leurs pillages ! En particulier celui de l’iridium au moment ou les hélicoptères du porte-avions US resté en rade de Port-au-Prince, suite à la réinstallation d’Aristide au pouvoir, faisaient des allers-retours entre la région de Macaya et leur navire. Mais j’y reviendrai plus tard.
Ils dénoncèrent aussi une autre sorte de « pillage », plus subtil, celui de l’or dans les provinces du nord par les Canadiens. Aristide, lors de son 2 ème mandat, leur signa un contrat mirobolant pour lequel, l’état Haïtien (voir les poches d’Aristide..!) percevrait 5% des bénéfices. A cause de cette extraction, le tiers du territoire d’Haïti subit encore un empoisonnement de ses terres et des produits agricoles. Encore une autre de leur dénonciation, plus récente celle là, concernait le trésor du célèbre pirate Morgan qui aurait été trouvé et récupéré prés de l’Ile-à-Vache. Une barge lourdement équipée pour le renflouage de bateau est arrivée de la Louisiane à l’époque de l’ouragan Katrina. A bord, des américains qui prétendaient faire des fouilles archéologiques sous marine pour lesquelles Aristide, encore une fois, leurs avait octroyé des droits.
Pour moi, l’histoire a commencé au début des années 80. Un joli voilier ketch de 15 mètres entrait en baie de Grand-Case à Saint Martin ; à bord une jeune famille avec 2 enfants. On a sympathisé, et ils m’ont raconté une histoire fascinante de trésor : Sponsorisé par les bijoux Cartier, une équipe de plongeurs et scientifiques, dont ils faisaient partie, venaient de passer une année de prospection autour de l’Ile-à-Vache en Haïti. Sur place, ils avaient trouvé l’épave d’un galion, celle supposée du capitaine flibustier Morgane.
Un soir à bord de leur bateau, autour d’un verre, ils m’ont raconté leur aventure. Après avoir localisé l’épave, ils ont constaté qu’elle était recouverte par une autre épave, celle d’un cargo plus récent en acier. Ajoutez à cela l’envasement dû à l’érosion intense des terres de montagnes à cause du déboisement intensif du pays. Pour accéder au galion, il aurait fallu fermer le périmètre par une ceinture de tôle sur les 15 à 20 mètres de fond autour des 2 épaves, puis pomper la vase et la remplacer par de l’eau claire. Un coût faramineux que Cartier n’a pas voulu financer, se contentant de cette année de « reportage marketing ». La campagne de recherche s’est arrêtée. Avec la publication du reportage, le monde des chercheurs de trésors s’est emparé de l’histoire. Et les fameux « archéologues » américains soutenus par Aristide ont débarqué… Plus tard mes amis du groupe de défenseurs des richesses haïtiennes m’ont raconté ce que les américains avaient découvert : un trésor faramineux, masques en jade maya, objet en Or des civilisations d’Amérique centrale, deux canons en bronze dont on a retrouvé une trace au Panama vendus pour 2 millions de dollars, approximativement le cout du renflouage de l’épave.
L ’épave découverte, puis abandonnée par la société Cartier est donc, d’après vos amis, la même que celle renflouée par cette barge ?
Oui, sans aucun doute. Il est rare de faire ce genre de découverte de nos jours, quantité d’épaves ont déjà été cherchées et trouvées. Je pense, que cette équipe a bénéficié des recherches de l’expédition Cartier puis de la corruption qui régnait et règne toujours en Haïti.
La légende du capitaine Morgane est bien ancrée, c’est le cas de le dire, dans la mémoire populaire Haïtienne et liée à l’Île-à-Vache, non loin de l’ile de la Tortue. Oui.
Mais le plus gros pillage a été celui que j’ai évoqué précédemment, l’iridium, dans le sud.
Justement, revenons je vous prie à cette déclaration. A l’époque où vous travailliez pour la Verte, ainsi que pour l’autre ONG, que saviez-vous de la découverte supposée de l’iridium ?
Rien, j’ai compris plus tard.
J’ai commencé à travailler pour les ONG en 1988, cela faisait 2 ans que les Duvalier étaient partis. Je venais de rentrer en Haïti, et ne m’intéressais que peu à la politique. Youri, pour qui je finalisais les cartes des zones d’acquisition des terres vierges par son ONG, m’invita à participer à une excursion au Pic Macaya. « Elle sera unique me dit-il. Il y aura des scientifiques, des biologistes, des géologues, et des cartographes américains. Nous travaillerons sur la recherche d’espèces endémiques et à la réalisation d’un inventaire de la faune et de la flore locale ». Je n’ai pas pu y participer, ayant un rendez-vous important en France. Serge, un des rares Haïtiens à y avoir été convié en tant que géologue, travaillait également dans les territoires du Sud. Quexlques temps plus tard, il est mort dans d’étranges circonstances qui m’ont laissé penser que j’avais peut être moi même échappé au même destin. Youri et lui furent embarqués par le courant lors du passage à gué d’une ravine en crue, tout cela sans témoin. Curieusement, Youri a survécu…
Serge a laissé une veuve et 2 orphelins. Il était notre voisin à Frères de 1988 à 1990 et sa femme, Monique, était une amie ; ses deux garçons avaient l’âge de mes fils…
Pour quelles raison sous entendez-vous que sa disparition est suspecte ?
Une dizaine d’année plus tard, j’ai retrouvé Monique lors d’un voyage à Miami. Un soir, on parlait de l’époque haïtienne, elle m’a appris que Serge, son mari, avait ramené un échantillon du minerai d’iridium lors de l’excursion au Macaya. Il l’avait ensuite fait expertiser par le bureau des mines de Port-au-Prince. Cet échantillon s’était avéré être pur à 80%. Pour lui, le pays, son pays, était riche ! Il a commencé à en parler autour de lui, prétendant que le pays allait enfin sortir de la misère grâce à cette manne tombée du ciel, le météore… ! La nouvelle s’est répandue. Une radio nationale a diffusé la découverte et a été aussitôt mitraillée. Aucune nouvelle concernant la découverte du minerai n’est sortie du pays. Les mouvements et coup d’état se poursuivaient, il devenait dangereux de parler de ces choses là…
A plusieurs reprises, des hommes de l’ambassade Américaine étaient venus demander à Serge de ne pas ébruiter la nouvelle. Cela devait rester secret d’état. Monique m’a appris également que Youri, avec qui Serge avait eu l’accident, travaillait pour l’U.S. Foreign Service. Il est vrai que lors de ses passages à Port-au-Prince, Youri fréquentait assidument l’ambassadeur américain.
Serge ne voulait pas se taire, bien décidé à divulguer le secret. Il a continué à répandre la « bonne » nouvelle de la découverte de l’iridium. « Des milliards de dollars pour Haïti » disait il… « On est riche et on va sortir le pays de sa misère ».
Monique est persuadée que l’accident de la ravine du sud avec Youri est un assassinat camouflé. Il y avait trop à perdre en le laissant divulguer cette nouvelle…
Monsieur Charles Etchegoyen, tout ce que vous avez déclaré ici ne permet pas de prouver la responsabilité de puissances étrangères, ni d’accuser les Etats Unis d’avoir trouvé et dissimulé la découverte du minerai d’iridium, puis d’avoir fomenté la révolution « Duvalier », la succession de coups d’états qui ont suivi et le retour au pouvoir d’Aristide pour enfin prélever ce fameux minerai sous couvert d’une occupation par les forces Onusiennes du territoire d’Haïti… ?
Non.
Je déclare donc l’affaire classée.
Charli Etchegoyen
Faugères
7 février 2021
Epilogue
Péninsule du Yucatán, il y a 65 millions d’années.
L’astéroïde venait de pénétrer dans la couche atmosphérique à la vitesse de vingt cinq kilomètres à la seconde. La traînée qui le suivait, d’une brillance éclatante, était telle que les gigantesques animaux vivant dans cette partie de l’Amérique, avaient pratiquement tous interrompus leurs pérégrinations pour se retourner et observer quelques brefs instants, ce prodige venu de l’espace.
Un grondement mille fois supérieur au tonnerre parvenait de tous cotés. En quelques dizaines de secondes, la masse énorme de ce caillou, haut comme deux fois l’Himalaya, pénétra la surface de l’océan, puis la croûte terrestre se fondant ainsi avec le manteau. Une formidable gerbe de matière et de vapeur en fusion se volatilisa jusque dans la stratosphère. L’impact ayant eu lieu sur le plateau continental à moitié immergé de l’actuel Yucatán, l’océan à cet endroit fut soufflé instantanément. Une immense vague de type tsunami se rependit tout autour de l’impact.
Une première onde de choc fit très rapidement le tour de la planète, aussi bien dans les airs, que dans les océans. La terre se mit à trembler comme jamais. Le ciel à l’endroit de l’impact laissa place à une énorme tempête de feu qui se propagea tout autour de la planète. L’astéroïde entrainait dans son sillage quelques plus petits morceaux de roches qui s’éparpillèrent pour venir s’écraser ou s’enfouir ça et là dans un vaste périmètre autour de l’impact principal. Des cailloux de plusieurs dizaines, voir de centaines de mètres de diamètre, vinrent percuter la surface de la mer et les terres immergées dans un fracas de tous les diables.
Un morceau plus gros que les autres atterrit sur les flans d’une montagne de cette grande île qui allait, 65 millions d’années plus tard, devenir Haïti.
Iridium et couche KT
L’iridium a été découvert en Haïti suite à la recherche du cratère d’impact du météore qui a déclenché ce cataclysme majeur il y a 65 million d’année, à la suite duquel 80% des espèces disparurent de la planète, dont les dinosaures. Ce cratère a pu être identifié à Chicxulub au Mexique grâce à la technologie des prises de photos satellites et aux recherches conjuguées des scientifiques Luis et Walter Alvarez, puis Alan K Hilderbrand qui mit en évidence, qu’Haïti et Cuba se trouvaient à cette époque, grâce à la tectonique des plaques, en périphérie du cratère d’impact de Chicxulub.
C’est en 1803 qu’un anglais du nom de Smithson Tennant découvre ce métal. Absent de la géologie terrestre, il provient exclusivement des météores. Son nom vient du latin « iris » signifiant arc-en-ciel, car ses composés présentent des couleurs très vives. C’est un métal noble comme l’or ou le mercure, il ne s’oxyde pas. Il est utilisé dans de nombreux domaines, mais aujourd’hui il sert principalement dans l’industrie de la téléphonie…
La couche KT est la fine couche résiduelle des dépôts de cendres et de poussières issus des retombées de l’explosion du météore. Principalement composée d’iridium, on la trouve partout sur la planète, de quelques millimètres à deux centimètres d’épaisseur. Elle marque le passage de l’ère du Crétacé à l’ère Tertiaire. Pratiquement inexploitable dans le reste du monde car infime, cette couche peut atteindre 2 mètres d’épaisseur par endroit en Haïti. Sa rareté en fait un élément extrêmement recherché.
Le minerai d’iridium haïtien a été estimé pur à 80%, son prix est d’environ 125 000 $ le Kilo soit bien plus élevé que celui de l’Or.
Vanderberg Air Force Base, Santa Barbara Californie le 5 mai 1997
Le lanceur Delta propulse « Iridium », le premier d’une longue série de satellites liés à la téléphonie mobile alors en pleine expansion. Pas moins de 98 satellites « Iridium » seront lancés par la société Motorola jusqu’en 2002.
Post épilogue
Aujourd’hui, les autorités du nouveau gouvernement Haïtien sont en train de vendre l’ile de la Tortue au Qatar pour moins de 5 milliards de dollars. Elle est célèbre dans l’histoire de la colonisation pour son statut de repaire de pirates et de boucaniers qui préparaient la nourriture des marins qui repartaient en maraude. Elle deviendra à nouveau une base stratégique pour ses nouveaux acquéreurs, ou néo-pirates devrais-je dire… !!
Aujourd’hui l’existence de mines d’iridium, de gisements de pétrole et autres richesses minières de la région n’est plus un secret pour personne. Les qataris déclarent ouvertement qu’ils exploiteront en premier l’iridium, peu couteux à extraire, puis dans un deuxième temps, les réserves de pétrole lourd, dont les gisements régionaux d’Haïti sont estimés supérieurs à ceux du Venezuela.