C’est ce que coûtera l’accès à la justice, d’après le projet de loi de finances rectificative de 2011 que le Sénat doit adopter dans les prochains jours. Il s’agit de financer la réforme de la garde à vue votée le 14 avril dernier dont le coût est estimé à 158 millions d’euros.
Au nom de la « solidarité financière entre l’ensemble des justiciables », l’article 20 du projet de loi exige une contribution « pour chaque instance introduite en matière civile, commerciale, prud’homale, sociale ou rurale devant une juridiction judiciaire, ou par instance introduite devant une juridiction administrative ». Sauf réveil d’une partie de la majorité, le texte va passer sans douleur.
L’acquittement de cette contribution, sous forme de droit de timbre fixé à 35 euros, deviendra une condition de recevabilité du dossier. Le gouvernement a tout de même décidé d’exonérer les justiciables bénéficiaires de l’aide juridictionnelle et les victimes d’infractions pénales.
Une réintroduction masquée des anciens frais de justice
Cette mesure va creuser l’écart entre la justice des plus riches et celle des plus pauvres. Contacté par Rue89, Pascale Taelman, présidente du Syndicat des Avocats de France, s’insurge :« C’est tout à fait scandaleux. Il faudra payer une taxe pour pouvoir saisir la justice ! Il s’agit de réintroduire les frais de justice pourtant supprimés il y a des dizaines d’années. »
Après la suppression de la prise en charge du droit de plaidoirie par l’Etat au début de l’année, c’est un deuxième coup de maillet sur les justiciables modestes. Me Volland, avocate à Ivry-sur-Seine, explique :« Ce sont les personnes à la limite de l’attribution de l’aide juridictionnelle (AJ) qui vont payer le prix de cette mesure. Ceux dont le salaire dépasse de quelques euros le plafond exigé pour l’AJ. »
Elle continue :« Le deuxième problème, c’est que dans certains cas, même les bénéficiaires de l’AJ devront payer. Il m’arrive très souvent, dans les affaires urgentes, de commencer la procédure avant même d’être désignée, pour aller plus vite. Je vais donc devoir demander à mes clients de payer ces 35 euros, et pour l’instant aucune disposition ne permet leur remboursement dans ce cas là. »
« Une taxe pour renflouer les caisses »
Le gouvernement, au vu du rapport de Philippe Marini, fait au nom de la commission des Finances, justifie aussi cette réforme par le coût de aide juridictionnelle et par les « abus de justiciables procéduriers ».
Contacté par Rue89, François Bouchart, vice-président du conseil des Prud’hommes de Nice conteste :« Il s’agit d’une disposition antisociale et injuste, qui n’aura aucun effet dissuasif. Elle n’est pas prise pour éviter les abus, puisqu’elle n’empêchera pas les gens de faire des saisines. 35 euros, ce n’est pas une somme assez rédhibitoire. »
Décision contraire à la Convention européenne des droits de l’homme
D’accord sur ce point, Me Volland affirme que la mesure n’a été prise que pour dégager des ressources et pour financer une « réforme mal gérée, dont le budget n’a pas été anticipé ». « Coincé », le gouvernement se retrouve obligé « d’aller ponctionner les justiciables pour trouver l’argent qu’ils auraient du prévoir ».
Convaincue que les recettes dégagées par cette mesure ne permettront pas de résoudre la crise de l’AJ, sa collègue, Me Seniak, ajoute :« La question de l’AJ est trop centrale, trop fondamentale, trop nécessaire pour que l’on se contente d’une solution peu réfléchie. Tout le système de l’AJ doit être remis en place. Bien sûr, il s’agit d’une réforme casse gueule, et dont les nombreux enjeux entravent la motivation des politiques. »
Enfin, il s’agit d’une mesure qui pourrait contrevenir à l‘article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui défend le principe d’égal accès à la justice. C’est ce même article qui a d’ailleurs justifié la réforme de la garde à vue.
Source: Rue89