Affaire DSK : La double vie de Nafissatou Diallo
La femme de chambre du Sofitel a téléphoné, le lendemain de l’agression dont elle se dit victime, à un trafiquant de drogue… qui se révèle être son second mari.
“Ne t’inquiète pas. Ce type a plein de fric, je sais ce que je fais…” En moins de 48 heures, cette phrase prononcée par l’accusatrice de Dominique Strauss-Kahn a fait basculer l’affaire DSK. Mercredi dernier, le procureur de New York, Cyrus Vance, reçoit sur son bureau la traduction en anglais d’une conversation en fulani, un dialecte africain, entre un trafiquant de drogue et Nafissatou Diallo. Cette communication a été enregistrée le 15 mai dernier au standard d’une prison d’Arizona. La veille, la jeune Guinéenne de 32 ans, employée comme femme de chambre au Sofitel de Times Square, avait accusé DSK de l’avoir agressée sexuellement dans la suite 2806 de l’hôtel…
Tout d’abord révélées par le New York Times, ces informations ont été implicitement confirmées par l’équipe de Cyrus Vance, reconnaissant à la barre du tribunal de New York, vendredi, devant le juge Michael Obus, que “le contexte de l’affaire [avait] changé”, le “témoin exemplaire” de l’accusation s’étant révélé peu “crédible”. Selon nos informations, ce prisonnier est en réalité le second “mari” de Nafissatou Diallo. Il s’agit d’un Gambien, rencontré dans le Bronx, qu’elle a épousé religieusement il y a un peu plus d’un an. Le mariage n’a pas encore été transcrit dans les registres d’état civil américains. La pratique est courante dans les communautés de la diaspora africaine. Selon la coutume, les jeunes époux n’ont pas fait le voyage en Afrique pour célébrer le mariage. “Nafissatou a choisi seule cet homme”, confie un membre de sa famille. “Elle nous a dit qu’il avait été emprisonné pour des problèmes d’immigration, de papiers et de travail illégal. Jamais elle n’a parlé d’affaires de drogue. Nous avons découvert cela dans les journaux”.
Pour la communauté africaine du nord-est du Bronx, c’est “ce Gambien” qui a profité de la “naïveté” de Nafissatou. “Elle n’avait pas changé de train de vie, poursuit son parent. Elle continuait à travailler comme avant et à s’occuper de sa fille très correctement. C’est une bonne élève qui a fini son high school”. Son demi-frère dans l’Indiana, que le JDD avait interviewé la semaine dernière, maintient ses déclarations : “Je n’étais pas dans cet hôtel, mais ce que je sais d’elle n’a rien à voir avec tout cela. J’ai honte et je suis perdu”. L’accusatrice sans visage de DSK en possède en fait de multiples. Pour ses collègues du Sofitel, elle reste une employée modèle qui n’a jamais posé le moindre problème. Samedi soir, Miranda (*), une femme de chambre d’origine hispanique, confiait en grillant une cigarette devant l’entrée du personnel du Sofitel : “Nous n’arrivons pas à croire à toutes ces histoires, cela ressemble tellement peu à l’image que nous avions d’elle. Ce n’est pas du tout la fille qui se fait remarquer. Quand elle bavardait, c’était pour parler de sa gamine”. C’est cette réputation sans tâche qui avait conduit le puissant syndicat des femmes de chambres à la soutenir publiquement, allant même jusqu’à organiser une démonstration de force devant les marches du tribunal.
Pourtant, Nafissatou, élevée dans une famille religieuse des plateaux de haute Guinée, mariée à 16 ans et ayant appris le coran avec son père à l’âge de 11 ans, comme tous ses frères et sœurs, semble bien avoir eu une double vie. La première pour son employeur, ses collègues et sa pieuse communauté ; la seconde avec un homme aux troubles activités. Lorsque la jeune femme est arrivée aux États-Unis, elle a rapidement obtenu le statut de réfugiée politique. C’est sa grande sœur, Hassanatou, mariée à un chauffeur de taxi du Bronx, qui a organisé sa venue. À l’époque, Nafissatou avait déjà quitté son village de Tchiakioullé pour vivre avec sa fille à Conakry sous la protection d’un de ses frères. Son mari était mort au village d’une “longue maladie”. Samedi, devant la mosquée, les hommes qui s’étaient attardés pour palabrer entre deux prières évoquaient “un homme jeune, probablement emporté par le sida”. Débarquant à New York, la jeune femme livre aux enquêteurs de la police de l’immigration une histoire de persécutions politiques et de tortures ayant entraîné la mort de son époux. “Il n’y a pas 36 façons d’obtenir une carte de réfugiée aux États-Unis”, raconte un cadre de l’Ofpra. “Les hommes doivent convaincre qu’ils ont été victimes de sévices personnels en raison de leurs opinions, les femmes comme Nafissatou qu’elles ont été violées ou qu’elles refusaient l’excision pour elles ou leurs filles. C’est la protection subsidiaire”.
Nafissatou a fini par avouer aux enquêteurs qu’elle avait récité devant les officiers américains un scénario appris par cœur en visionnant une cassette vidéo… Cette pratique, qui peut lui valoir d’être poursuivie pour parjure, est monnaie courante parmi les demandeurs d’asile. La plupart d’entre eux ont, en effet, beaucoup de mal à prouver les sévices qu’ils ont éventuellement subis. Au cours de ces premières années dans le Bronx, Nafissatou a vécu chez sa sœur Hassanatou, qui y possède un grand appartement. Elle travaillait alors dans le magasin de son beau-frère Abdoulaye. L’établissement a brûlé. Nafissatou a ensuite commencé un petit boulot à l’African American Restaurant.
Un job à 24 dollars de l’heure
C’est à ce moment-là qu’elle s’installe, seule, dans un appartement loué par une femme africaine. Elle aurait vécu là avec son nouvel “époux” gambien, avant qu’il ne soit incarcéré. Puis elle a quitté son travail du Bronx pour le Sofitel de Times Square, un job à 24 dollars de l’heure qui lui procurait la Sécurité sociale gratuite. À la faveur de cette évolution professionnelle, elle prend discrètement ses distances avec sa communauté et sa famille. C’est également à partir de cette date qu’elle prend ses habitudes dans le restaurant de Blake Diallo, un Sénégalais qui s’est d’abord présenté comme son frère et lui a trouvé son premier avocat, Jeffrey Shapiro. “Nafissatou continuait à verser de l’argent tous les mois pour le village”, affirment toutefois Souleymane Diallo, président de l’association des Guinéens, et son demi-frère Mamadou.
C’est l’affaire du Sofitel qui a resserré les liens de la famille. Mamadou, exilé dans l’Indiana pour assurer le bien-être de ses filles ; Hassanatou, la grande sœur du Bronx, et les principaux membres de la communauté se sont retrouvés le 19 mai dernier dans une sorte de conseil, selon le principe de l’arbre à palabres, pour trancher le cas de Nafissatou. Avant cela, la communauté avait conduit une petite enquête qui n’avait rien laissé paraître d’une double vie. “Je suis même allé au Sofitel pour interroger ses collègues”, avoue Souleymane Diallo. Rassurés, ils avaient décidé de la soutenir envers et contre tout, préférant taire son deuxième mariage et protégeant son identité. L’imam avait demandé aux fidèles de la mosquée de garder le silence pour protéger une famille au-dessus de tout soupçon. Depuis vendredi, dans le Bronx, les certitudes vacillent.