Je vis à Washington où le mensonge est une forme d’art. Ce qui suppose une volonté artistique alors qu’en réalité ici, à D.C., il s’agit plutôt d’un réflexe, comme respirer ou se faire graisser la patte par de gros légumes.
Lorsque vous vivez dans ce genre d’endroit –si vous pouvez appeler ça une vie–, où nous avons quelque-part réussi à apprendre aux souris comment accoucher de montagnes de conneries, un mensonge bien ficelé est toujours bon à prendre. Certains se distinguent par leur subtilité – ils ont quasiment l’air vrais. (Le Président Obamaveut débarrasser la politique américaine des lobbys).
D’autres sont d’une audace extraordinaire. (Newt Gingrich a fait tomber le communisme). Et chez d’autres encore, c’est le sang-froid de leurs auteurs qui attire notre attention (Mitt Romney déclare avoir de profondes convictions politiques).
Mais chaque année, que ce soit dans notre pays ou sur la scène internationale, rares sont les mensonges à réellement sortir du lot. Et ce sont ces impostures qui définissent notre époque.
Je me contenterai, si vous le voulez bien, d’exemples issus uniquement du monde de la politique étrangère américaine et si vous avez d’autres suggestions, n’hésitez pas. Un jour prochain, nous projetons de construire un Musée du Mensonge en plein National Mall, pour qu’on y trouve enfin un monument qui capture l’essence de ce marais puant.
Nous l’avons entendu toutes les x semaines ces derniers mois. Et à chaque fois, nos marchés financiers soi-disant hyper sophistiqués sont tombés dans le panneau. Un peu comme Charlie Brown avec Lucy et son ballon. Quand allons-nous comprendre?
On célèbre beaucoup ce «fait» ces jours-ci. Et il a l’air relativement évident. Mais bien entendu, notre engagement militaire en Irak remonte plus ou moins au début des années 1990. Ce n’est que la fin d’une série de guerres dans la région. Et je parie que ce ne sera pas la dernière.
Cf. mensonge précédent. L’endroit est divisé, non-démocratique, fortement influencé par l’Iran, corrompu et notre invasion nous aura coûté mille milliards de dollars, des milliers de vies américaines, des centaines de milliers de vies irakiennes et notre réputation internationale. Regardez dans le dictionnaire près de «fiasco». Vous y verrez la petite photo d’un gars déguisé en pilote de chasse sur un porte-avions et posant devant la banderole «mission accomplie»
Mi-décembre, le Secrétaire de la Défense, Leon Panetta, alors en visite en Afghanistan, nous a offert la dernière variante de cette perle. Si on définit grosso modo la victoire comme la défaite d’Al Qaida, oui, peut-être. Mais, si au moment de notre départ, le pays est plus dangereux, les Talibans sont de nouveau au pouvoir, on nous associe à la corruption et aux bavures, nous avons renforcé les extrémistes de la région et si la menace d’instabilité en provenance du Pakistan et de son arme nucléaire est plus forte qu’avant, difficile d’y voir une «victoire», sauf à s’appeler Charlie Sheen.
Oui, oui, je sais, vous dites «c’est un mensonge», je vous réponds «c’est de la diplomatie», et patali et patalère. Mais on peut la retourner dans tous les sens, aucune définition ne permet au gouvernement du Pakistan d’être un «allié» des États-Unis, sauf à ignorer son comportement qui a tout de celui d’un ennemi. Idem pour notre pote Karzai, à Kaboul. Il n’est notre «partenaire» que dans le sens où il se sert dans notre poche et nous casse du sucre sur le dos dès qu’il en a l’occasion.
La Secrétaire d’État, Hillary Clinton a été la dernière à réciter ce petit mantra. Et je suis certain qu’elle était sincère. Ça doit forcément être vrai. Sauf que ça ne l’est pas.
Si nous le pensions réellement, aurions-nous lancé une guerre secrète contre ce pays? Ce qui nous amène à un autre mensonge: «Les États-Unis n’attaqueront jamais l’Iran». C’est un mensonge –parce que c’est déjà fait.
Tel est le grand mensonge de la politique américaine. Le problème, ce n’est pas les partis. Le problème, ce n’est même pas les charlatans et les rentiers qui composent notre classe politique dirigeante. C’est l’argent. Le système est si fondamentalement corrompu que tout ce que les récents scandales ont réussi à faire, c’est d’y injecter encore plus d’argent et annuler les réformes précédentes.
Gagnant dans la catégorie de l’audace. Et on vous le dit sans sourciller et sans une once de preuve. Et vous savez pourquoi il n’y a pas une once de preuve, hein? Parce que c’est une idée stupide et odieuse.
Ce n’est pas demain la veille. Ça n’arrivera même jamais. On parle du pays qui détient encore la planche à billets d’une monnaie de réserve mondiale incontestée. Aucun président ni congrès, qu’importe sa couleur politique, ne laissera faire cela. La «peur» en août était à moitié de l’hystérie, à moitié de l’imposture et, conformément à notre manière de faire des calculs ici, à Washington, à moitié une tentative pour secouer l’inertie des habitants du Capitole et leur faire faire enfin quelque-chose pour résoudre le déficit américain.
Ah ah. Dodd-Frank a été un palliatif. Créer de la surveillance sans allouer de moyens aux surveillants, c’est du théâtre kabuki. Globalement, toutes les menaces qui pesaient sur le système financier et qui ont causé la crise de 2008 sont encore là. (Les banques américaines ont beau avoir un peu progressé sur le front de leur capitalisation, ça revient au même puisqu’elles sont liées à des banques européennes encore plus hasardeuses. Et les institutions financières «trop grosses pour faire faillite» sont encore plus nombreuses aujourd’hui qu’avant la crise. Les dérivatifs? Le problème est encore plus grave. La régulation mondiale? Elle n’a pas avancé d’un pouce).
C’est impossible. C’est beaucoup trop.
L’opération a été une réussite. Mais ce fut une erreur, puis une erreur, et encore une erreur pendant plusieurs mois.
Aux États-Unis, tous les politiques le disent. Mais en réalité, la plupart pense: «je veux que les juifs américains croient que j’aime suffisamment Israël pour voter pour moi et me donner de l’argent». Vous pensez qu’on bougera notre ambassade? Qu’ils feront leur premier voyage là-bas? Que les États-Unis se tiendront loyalement aux côtés d’Israël quoiqu’il arrive, même si Israël continue à compliquer les choses avec sa politique de colonisation et que le reste de la région s’achemine vers un semblant de démocratie? Ah ah. C’est du même acabit que le «ton chèque part aujourd’hui» et «je te respecterai encore demain matin».
L’année ayant été exceptionnelle en matière d’hypocrisie, de mauvaise foi, de veulerie et de fausses déclarations, il ne s’agit que d’un tout petit échantillon. Vous avez d’autres exemples? Il nous tarde de les connaître…
David Rothkopf
Traduit par Peggy Sastre – source slate.fr