AILLEURS C’EST ICI – LES MYTHES SAINT-MARTINOIS.
Il est étrange de constater à quel point la fierté de nombreux saint-martinois qui se proclament «les vrais» est inversement proportionnelle à leur capacité d’analyse sociétale. Nous disions quelques 3000 «originaux», additionnés d’autour de 5000 «anciens français», familles installées dans l’île depuis plusieurs centaines d’années et qui restent, avec leur cour, les vrais maîtres du jeu, nouveaux métros, autour de 7 à 10 000, venus chercher dans la Caraïbe l’Eldorado perdu en Europe, et, cette masse impalpable d’immigrants de toutes origines qui, disons le, forme, dans les faits, la majorité des habitants de Saint-Martin.
Il n’y a là aucun des fondements qui forment une Nation : ni passé commun, ni volonté de définir le même avenir, ni langue commune. Une sorte de patchwork laissé à lui-même et qui ne réagit à aucune solidarité. Le colonialisme français – selon Lévi-Strauss, c’était le plus imbécile de tous – a, pour maintenir calme et farniente, surtout évité d’encourager toute velléité de mise en commun d’une vision de «pays». Mais il n’a pu agir qu’en complicité directe ou indirecte avec beaucoup d’acteurs locaux, et pas seulement les «blancs».
Mais le mythe de la «fondation» d’un pays de Saint-Martin est tenace. En fait, il a permis et permet encore, le maintien dans la dépendance. Il ne s’est pas incarné dans les faits et n’a pas créé la solidarité nécessaire pour y arriver. C’est un leurre actuellement. Il ne devrait pas l’être car l’espoir d’un avenir commun pour les saint-martinois, tous les saint-martinois, est la seule issue possible au développement. Ce leurre est tellement puissant qu’il a abouti, prématurément, à l’adoption de l’article 74. Cette nouvelle donne arrange beaucoup de clans et, malheureusement, plusieurs esprits droits sont aussi tombés dans le piège. En premier lieu la caste dirigeante – représentée par LCF, l’ancien Maire, les familles fortunées locales et l’État – pouvait ainsi donner au peuple l’illusion d’une plus grande autonomie. Car il s’agit bien d’une illusion. Aujourd’hui, plus de cinq ans après l’entrée en pratique de ce nouveau statut, les saint-martinois sont plus dépendants de la métropole que jamais! Et ce sont leurs leaders qui doivent assumer tout le backlash qui accompagne le manque de ressources financières. Que le Conseil territorial en soit arrivé à devoir adopter un budget déficitaire – il n’avait du reste aucun autre choix – illustre parfaitement le fonds des choses.
Pourtant, dans cette transmission de pouvoirs il y a des gagnants : les plus fortunés en argent et en pouvoir. La première mandature, on le sait, en était une de gabegie et d’improvisations maladroites, de parjure de la métropole aussi. Mais elle aura permis d’installer aux commandes une nomenklatura locale de petits entrepreneurs (devenus grands) et d’apparatchiks, payés par les fonds publics pour augmenter leurs fortunes personnelles. Leur outil de prédilection : la SEMSAMAR. C’est un cas classique dans les pays africains ou postcoloniaux.
Second gagnant de cette nouvelle formule : l’État français. Celui-ci, comme l’on dit ici, doit «être mort de rire». Il a, avec 74, réalisé un coup fumant. Cela lui coût beaucoup moins cher, lui enlève officiellement le poids de la responsabilité de ses épaules….mais lui laisse toujours les décisions réelles. Cela n’ira pas en s’améliorant, pouvoir socialiste ou non.
Enfin troisième gagnant du leurre : la nouvelle élite locale incarnée par le RRR. Étrange animal politique que ce non-parti. Souvent à la marge du pouvoir, avec une critique uniquement orale, il représente le syncrétisme religieux local. Les deux premiers acteurs ont très bien saisi l’enjeu : si ce RRR se maintenait dans l’opposition il serait, tôt ou tard, entrainé par sa base à la révolte contre le système. Vaut donc mieux le faire accéder au pouvoir, ainsi il tiendra le couvercle sur la marmite autant que faire se peu. Et les trois derniers mois de la nouvelle administration illustre parfaitement la théorie.
Il n’y a que la jeunesse saint-martinoise qui puisse renverser la tendance…(à suivre)
Jean-Yves DUTHEL