Ainsi je lisais la semaine passée qu’un taxi hollandais avait récolté une amende de 600€ pour avoir transporté plus de passagers qu’autorisés par son permis et s’en était ému auprès de son gouvernement, à l’exaspération légitime du nouveau Commandant de Gendarmerie qui doit ainsi découvrir les sortes de passes droits institutionnalisés sur l’île au nom du fameux et obsolète Traité de Concordia. Il y a quelques temps, c’étaient les permis poids lourds hollandais utilisés par des transporteurs français (deux surtout) qui, menacés de ne plus être convertibles, ont entraîné un blocage routier vite résolu par un Préfet soucieux d’éviter, sans doute comme tous ses prédécesseurs, de faire des vagues. Dans le même temps, la polémique de la convertibilité des permis de Saba a aussi émaillé la chronique, débouchant comme chaque fois sur…. une dérogation. Parfois tempérée d’ailleurs par une échéance ultime que tout le monde oubliera bien vite.
De passage en Guadeloupe, et alors que je visitais un chantier naval, le patron me présentait un bateau de pêche de 12m construit par ses soins. Je fus étonné par la motorisation de 400 chevaux. Il faut savoir que pour barrer un bateau de pêche, il faut avoir un brevet maritime appelé Capitaine 200, ou un titre plus ancien comme Capacitaire, qui permettent de conduire des bateaux motorisés jusqu’à 250 kilowatts (env. 340 cv). L’explication est simple: là-bas en Guadeloupe, les pêcheurs sans doute plus intelligents que les nôtres, ont souvent ce brevet et dans le cas du bateau présenté, le Capitaine 500. Dans le même temps, nos braves pêcheurs locaux, à part l’un ou l’autre, n’ont que le CIN PCM (Certificat d’Instruction Nautique, l’élémentaire, et le Permis Côtier Moteur qui est un brevet plaisance) et fonctionnent donc allègrement…. sur dérogation, vous l’aviez deviné. Inutile de dire que les illégaux n’ont rien du tout ou alors juste le PCM puisque pêchant avec des bateaux de plaisance dans le cadre juridiquement bien défini du braconnage et dans la plus complète indifférence des autorités. C’est pareil à Pinel où une poignée de privilégiés se partagent un juteux marché en ne respectant que très peu la législation. On se souvient qu’à une époque, la Commune avait financé ces fameux Capitaine 200 (quand même 5 à 6000€ chacun). Peu ont terminés, et ceux qui l’ont fait sont partis, paraît-il, du côté hollandais comme capitaines sur les bateaux de charter. Aujourd’hui, ceux qui restent naviguent sur des bateaux dans un état lamentable, sans brevets, et avec… une dérogation évidemment.
Le constat est simple. Sous prétexte de préserver la paix sociale, de respecter le besoin d’une évolution adaptée, on ne fait, ni plus ni moins, que miner l’espace économique. Car tous ces dérogataires monopolisent des places que des jeunes plus dynamiques et mieux formés pourraient occuper et pour qui la formation a coûté cher . Encore faut-il, peut-être, que ces mêmes jeunes aient suivi une scolarité ailleurs qu’ici car l’on sait que le niveau de sortie y est généralement médiocre. Je sais que cela va faire hurler les professeurs qui font du mieux qu’ils peuvent, mais eux aussi sont victimes de ce système de dérogation avec des postes pourvus par des vacataires qui n’ont généralement comme seul diplôme que leur bonne volonté, mais aucune formation à la pédagogie. Comment alors s’étonner qu’il soit de notoriété publique que le niveau du bac aux Antilles est inférieur à celui de Métropole? A part quelques bons éléments bien suivis par les parents et appuyés par des cours particuliers et qui s’en sortent, comment expliquer que la plupart des parents responsables (métropolitains ou étrangers) retournent en France ou dans leur pays d’origine pour que leurs enfants aient une scolarité de bon niveau? Pour ne pas être en reste, les saints martinois lucides font de même, soit vers la France, soit vers les Etats Unis ou le Canada.
Il me revient qu’un de nos ex-candidats, par ailleurs instituteur en délicatesse avec l’orthographe, la grammaire et la syntaxe, prônait ouvertement de permettre à des professeurs incomplètement formés, mais saint martinois, de revenir sur leur île enseigner (car bilingues, et sur dérogation, bien entendu) ? En d’autres termes, conduire la politique économique et éducative sur le registre des dérogations nous construit ni plus ni moins qu’une société au rabais, injuste par essence car ne respectant pas l’effort de ceux qui ont souscrit au contrat de société qui est d’être en ordre avec la loi. Comment s’étonner alors que rien ne fonctionne ici et qu’une minorité volontairement inadaptée impose sa loi à une majorité respectueuse du consensus social?
Yves KINARD