L’INFORMATION PERMANENTE : QUAND TOUT UN CHACUN DEVIENT ANALYSTE
Nos sociétés sont dévorées par les chaînes d’information permanente. Pas un lieu, pas un pays pour y échapper. Aux USA il y en a plus de 15, en France au moins 3, au Québec 4, en Allemagne 6 etc… Même au Gabon, ou j’étais il y a peu , la télévision locale vous jette dans les griffes de deux réseaux permanents d’information.
Mes enfants, âgés entre 20 et 26 ans, n’ont connu que cela. Mais assez paradoxalement ma vieille mère, qui est décédée à l’âge enviable de 94 ans en janvier dernier, passait la majeure partie de sa journée devant ces écrans qui ressassent les misères de notre monde. Ici, au Québec, les audiences de la fameuse Commission Charbonneau passent en direct et en intégral sur une des chaînes : la cote d’écoute est faramineuse et les émissions sportives peuvent aller se rhabiller.
Il y a peu, alité pour trois jours en Allemagne, je me suis mis sur DW (un canal permanent) avec mon bloc-notes. J’ai ainsi relevé, sur 14heures d’écoute : une nouvelle qui est repassée 83 fois sur les ondes. Était-ce une information d’une gravité exceptionnelle? Oh que non : il s’agissait d’un carambolage sur une autoroute qui avait fait deux morts mais impliquait 43 véhicules en enfilade! Pendant ce temps, les affrontements au Myanmar faisaient des centaines de morts et de blessés mais n’avaient droit qu’à deux passages du même reportage sur 14 heures! Et je pourrai multiplier les exemples de cette information qui ne sait plus distinguer l’anecdote du péril. Sandy, fait les manchettes partout depuis une semaine….parce que cet ouragan a frappé les USA. En comparaison, lorsque Sandy a détruit Cuba et Haïti, les chaînes d’information on traité la nouvelle 120 fois moins que pour les américains. Pourtant Sandy fut meurtrière et dévastatrice au possible dans la Caraïbe.
La concierge
J’avais un professeur de sociologie à l’École de journalisme qui avait inventé le terme « l’analyse de la concierge». (Que tous les concierges me pardonnent!). Et il y de cela plus de40 ans maintenant, à une époque où la multiplicité des informations n’existait pas comme aujourd’hui. Mais c’était le début de l’ère des télévisions spectacles. Un peu l’ancêtre des micros-trottoirs. Mon prof illustrait la banalisation des analyses géopolitiques en disant que n’importe quelle concierge parisienne devenait une analyste de la situation au Liban ou au Vietnam…..pays dont elles avaient vaguement entendu parler chez le boucher du coin. Mais elles étaient capables de développer un avis sur les tenants et aboutissants de ces crises mondiales. Aujourd’hui, les concierges d’alors sont remplacées par le quidam qui a la chance de se retrouver devant le micro tendu par un journaliste ou une caméra avide de facies. Cela dénote, malheureusement, avec quelle légèreté les médias traitent la nouvelle, le peu de recherche qui est accordé de nos jours à établir des reportages sérieux et, finalement, une sorte d’inanité de l’information. Nous avons certes plus d’informations qu’il y a 30 ans, mais son traitement est infantilisant.
Internet en sus
Régulièrement je suis en bataille avec un de mes fils qui est un fan d’internet en ce qui concerne tout ce qui se passe sur la planète. Mes arguments reviennent toujours au même sujet : ce moyen de communication n’est pas une Bible infaillible, mais SEULEMENT un outil parmi d’autres. Pourtant son influence, notamment sur la jeunesse qui ne lit plus que sur écran, peut être dévastatrice. Sont-ils encore en mesure de se forger une opinion balancée, mesurée, objective? Ou s’abreuvent-ils à cette source sur laquelle n’importe qui peut se déclarer journaliste, trader, terroriste et que sais-je encore? Le phénomène des blogs n’est pas vraiment éloigné d’une information si personnalisée qu’elle en devient introspective et nombriliste : je t’écris ce que MOI je ressens sur telle ou telle situation, pas de retour sur une analyse historique ou de confrontations d’avis divergents. Le bloggeur EST la vérité. Et comment arrêter ces affirmations inventées ou mensongères d’un bloggeur? Impossible à faire.
L’exemple du passage de la Roumanie à la démocratie, en 1989, est éponyme d’une information tronquée qui a faillit devenir réalité historique grâce aux premiers balbutiements du net. Rappelons-nous : la révolution gronde à Bucarest en 1989 : le peuple roumain renverse une dictature communiste (ou plutôt ceausescuiste!) qu’il endure depuis des décennies. Mais le déclencheur de la fureur populaire avait été un reportage d’une télévision allemande, repris par internet, qui faisait état de centaines d’assassinats d’ordinaires citoyens de Timisoara, ville située dans l’ouest de la Roumanie, Nous avions même des images de cadavres mutilés et d’autres horreur. Il a fallu attendre un an pour découvrir que ce reportage était un habile montage réalisé par l’opposition au régime de Ceausescu. Bon, me direz-vous, personne ne va pleurer sur la fin de ce régime. Évidemment, mais la méthode n’en est pas moins répugnante.
Au moment même où j’écris, nous revivons des situations similaires en Syrie. Qui peut affirmer sans faillir que, d’un côté comme de l’autre, les protagonistes syriens ne se livrent pas à des maquillages éhontés?
L’objectivité illusoire
Fut un temps pendant lequel tout tournait autour d’une objectivité à atteindre dans l’information. Le fut-elle vraiment un jour? Nous pouvons en douter MAIS il m’apparaît évident qu’elle a déjà été beaucoup mieux servie qu’aujourd’hui. Il faut donc se rendre à l’évidence que : plus d’information ne signifie absolument pas une meilleure information. Comme dans les vieux bons dictons de nos grand-mères, la quantité n’est pas garante de la qualité. Ma fille a pour habitude de clore nos conversations, celles entre mon fils et moi, par un péremptoire : la seule chose que je crois aux infos, ce sont les résultats sportifs! Même là, avec l’affaire Lance Armstrong , il va falloir réviser cette affirmation!
Jean-Yves DUTHEL