Fin du monde. Par Bruno Frappat

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Fin du monde. Par Bruno Frappat
Par Autre 21 Déc 2012 19:42

Avant-Après
Cela fait tout de même bizarre d’écrire avant la « fin du monde », en sachant que l’on sera lu après. Si tout se passe bien, évidemment. C’est-à-dire si les illuminés, les benêts et les escrocs qui manipulent la crédulité humaine en sont pour leurs frais. Si la foule évacue en bon ordre, malgré son dépit, Bugarach, village de l’Aude qui en a par-dessus la tête de la sottise et de la notoriété.

Parfois, pourquoi le cacher ?, on aurait non des peurs mais des envies de « fin du monde ». De dire : « chiche ! » à ceux qui la redoutent, à ceux qui l’annoncent, à ceux qui la promeuvent comme un produit à la mode. De toute façon il est clair qu’elle se produira un jour, sans doute dans quelques milliards d’années, quand le soleil se lassera de nous éclairer et de nous chauffer gratis et que l’espèce humaine, ses pompes et ses œuvres, parachèvera dans l’éther glacial sa prétentieuse domination sur la Terre.

Pourquoi « chiche » ? Parce que certains matins le monde nous donne le sentiment d’être un brouillon raté de ce qu’il aurait pu être. Parce que l’accumulation de la misère, l’incongruité des inégalités, la malfaisance des puissants, l’obscénité des richesses, la plantureuse bêtise des idées convenues, les innombrables tours de la violence, le poids des haines, l’ampleur des égoïsmes, parce que tout cela nous fait regretter que le monde soit comme il est et perdure sous sa forme actuelle. Parce que ces matins-là, on a envie de se boucher les yeux face à la désespérance et de se pincer le nez face à la pestilence. Parce qu’il est un peu moche, ce monde qui n’en finit pas.

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Prenons cependant le problème par un autre bout. Plutôt qu’un souhait irréalisable à ce stade (et dont la réalisation ne dépend pas de nous), renonçons provisoirement à toute idée de « fin du monde » et bornons-nous à aspirer à une « fin de monde ». Le rêve n’est pas inatteignable. Il est licite. Beaucoup dépend de chacun de nous. Chacun peut, dans le petit canton de l’univers qu’il occupe provisoirement (car tous nous mourrons avant la fin du ou d’un monde…) peut œuvrer à changer la face de la terre. Établir autour de lui l’innocence des premiers matins du monde. Se laisser gagner par la bienveillance. Batailler contre la guerre et la violence. Témoigner dans sa propre existence des qualités qu’il demande ordinairement aux autres.

Chacun peut modifier pour son propre compte la hiérarchie des valeurs. Bannir la libido dominandi de ses aspirations. Faire le pied de nez aux importants, aux parasites, aux godelureaux de l’opulence et du gaspillage. Lutter contre toutes les formes de dictature : politique, culturelle, économique, médiatique. Résister pied à pied contre les illusions et le toc des modes, des technologies inutiles. Refuser les facilités de la marchandisation de tout. Placer ses espérances loin de son compte en banque. Bref, changer le monde. Si chacun s’y emploie, de place en place c’est la face de la terre qui en sera bouleversée.

Faute de quoi, si par lassitude, pessimisme, fatalisme, nous laissons perdurer les malfaiteurs qui prétendent gouverner nos vies, nos esprits et nos cœurs, rien ne changera. Les dictateurs continueront leur sale besogne. Les superficiels donneront le la . Les méchants persévéreront dans leur prééminence et Satan continuera de mener le bal, comme il a l’air de vouloir le faire depuis l’aube des temps. Alors, fin du monde, non. Ce n’est pas à notre portée. Mais fin d’un monde, oui, nous en sommes capables.

Innocents

Exemple simple et tragique. Ce n’est pas la fatalité qui a assassiné les enfants de l’école de Newtown. Le massacre de ces innocents (ils avaient presque tous six ans !) n’est pas l’effet d’un « Fatum » échappant à la volonté humaine. Il est l’effet d’un système sociopolitique mis en place en Amérique en… 1791. Cette année-là, pendant que nous faisions notre Révolution (pas encore pourrie par la Terreur à venir), les Américains adoptaient le second amendement de leur Constitution. Celui par lequel ils étaient autorisés, en cas de création de milices, à posséder toutes les armes qu’ils jugeraient nécessaires. Cela au nom de la protection des libertés, religion dominante de ce peuple alors en gestation.

Mais, oubliées les milices, cette liberté, comme toutes les autres libertés sur lesquelles se fonde l’idéologie dominante des Américains, est devenue sacrée. Un donné immuable. Irrévocable. Comme la liberté du commerce, comme la liberté d’entreprendre, comme la liberté d’expression, elle est devenue un absolu et, comme tout absolu, un tabou. Et voici l’Amérique, deux cent vingt ans plus tard, bourrée d’armes de tout calibre. Et la voici prisonnière d’un lobby qui fronce le sourcil à chaque élection et, dernièrement, a conseillé à ses quatre millions d’adhérents de voter Romney et pas Obama, pourtant d’une prudence de Sioux sur ce dossier.

Les choses vont-elles changer ? Les larmes du président américain face au deuil de ce village tranquille du Connecticut où un désaxé, venu avec trois armes légalement détenues par sa mère, après avoir tué celle-ci, s’est rendu tranquillement dans une école pour tirer dans le tas. Un tas d’enfants. On a constaté aussitôt que le lobby cherchait des causes hors de la cause principale : la psychiatrie, les jeux vidéo, etc. Il était du simple bon sens de se dire que si ce gamin détraqué n’avait pas eu d’armes à portée de la main il n’aurait pas procédé au massacre des innocents. Obama aura-t-il enfin le courage de s’attaquer au scandale ? Il l’annonce vaguement. Mais vous verrez se dresser sur sa route (s’il l’emprunte) l’armée immense des intérêts et des fanatiques de la liberté sans entraves. Dans un monde nouveau, dans un monde repris sur de nouvelles bases, il faudrait bien préciser, d’emblée, que la liberté ne saurait être un absolu. Sinon, ça recommencera.

Enfant

Parmi tout le bruit et la fureur de notre monde, une petite lumière semble briller à l’horizon, là-bas, du côté du Levant. Un enfant réchappé du massacre s’annonce comme devant bientôt débarquer sur terre. On devine ses premiers vagissements. On sait la tendresse inquiète de sa mère. On se demande déjà comment il va s’en sortir, face aux méchants. On devine l’ampleur de la tâche qui sera la sienne : changer l’homme, changer de monde. C’est un chantier immense qui s’offre devant lui. Il aura besoin de notre aide, de notre soutien, de notre travail. Pour un contrat de longue durée, sans faiblesse, sans renoncements, sans abattement si des échecs se rencontrent. Il faudra être résistant si nous voulons en finir avec cette caricature de monde qu’est si souvent le nôtre. Noël est là ? Ce n’est pas la fin du monde, mais le début du monde. Au travail, frères humains !

Br. F. – La croix

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