SOMMEIL (en hommage a Lucien Guillaume)
Petite nouvelle fantastique (en hommage a Lucien Guillaume) Par CHARLI
Une chambre, une armoire, un bureau d’enfant, des livres de bandes dessinées, quelques feuilles gribouillées, un encrier, des plumes, crayons et pinceaux, une chaise en équilibre sous le poids des vêtements, un tapis, une paire de boots, de grosses chaussettes de laine, trois ou quatre posters : moto, voiture et héros, une table de chevet, une lampe, un gros réveil orange, un chauffage d’appoint, une fenêtre entr’ouverte, un rideau filtrant un rayon de pleine lune, un lit ; Nicolas allongé dessus profondément endormi.
Pas un bruit, sinon le Tic Tac du réveil remonté depuis quelques minutes, quelques heures…
Plus loin, au dessus du village, un petit nuage s’agite ; il semble se rapprocher de la fenêtre de la chambre de Nicolas.
Mais oui…maintenant, sa couleur naturelle vire à l’orange, et il semble étendre de longs bras, comme des tentacules de kraken, vers la fenêtre… Et bientôt, il la traverse et pénètre dans la chambre.
Ses bras enveloppent le lit et Nicolas, qui se retrouvent bercés calmement dans l’espace de la chambre. Et cette chambre grandit, ou plutôt le lit, le nuage et Nicolas diminuent tellement qu’on aurait pu facilement les laisser tomber dans l’encrier, sans même s’en apercevoir.
Tous trois survolent maintenant le petit village bien connu de Nicolas ; à droite, son école cachée en partie par le grand clocher de l’église, mais dont la cour de récréation est bien visible ; un peu plus loin, c’est la boulangerie où souvent ses copains et lui vont piller les étals à la sortie des classes. Tout au loin, c’est la campagne avec la route qui mène à la grande ville, mais là, le domaine de Nicolas a ses frontières et cela lui paraîtrait mystérieux s’il ne dormait pas.
La lune a bientôt terminé sa ronde et éclaire une dernière fois de ses rayons le nuage redevenu normal, mais emportant toujours ses passagers sur son dos.
Avec l’obscurité, on a peine à apprécier le paysage, qui se déroule lentement. On entend des vagues déferler en douceur sur une plage sans doute dorée si le soleil n’était lui aussi endormi. Puis c’est la pleine mer, un brise légère annonce que droit devant, une tempête va se lever.
Le nuage se met à pleuvoir jusqu’à sa dernière goutte, et c’est la chute. Nicolas toujours endormi sur son lit tombe maintenant dans une tornade qui étale sa violence jusqu’au fond des mers. Dans une trainée de bulles et d’eaux déchainées, tout deux s’enfoncent dans les entrailles de l’océan, puis ralentissent et remontent lentement à la surface, qui est maintenant calme et lisse comme une mer d’huile ; jamais on n’eut imaginé qu’une tempête battait son plein, il y a quelques instants.
Plus un souffle de vent ; le lit et Nicolas, toujours endormi comme si rien ne s’était passé, voguent au gré des courants marins. Une légère lueur perce l’horizon, sans doute le soleil ; l’aurore ne tardera pas à se lever ; quelques poissons viennent troubler la surface et nous annoncent qu’une journée radieuse va débuter.
Tout au loin, une forme se dresse sur l’horizon. Une ile peut être ? Mais oui, une ile bien sur ! Mais laquelle ? Peut être celle de Robinson Crusoé, ou plutôt une ile déserte ou inconnue des cartes de géographie. Oui c’est cela ! Une ile nouvelle qui sera découverte par Nicolas, s’il se réveille.
Les courants l’ont porté maintenant plus près, et avec une clarté qui se précise de plus en plus, on distingue une plage, et quelque part plus loin, des taches. Peut être des gens où je ne sais quoi d’autre ?
Non, maintenant on distingue mieux ! Ce sont des lits, tous identiques à celui de Nicolas. Toute une armée de lits échoués. Nicolas lui aussi s’échouera au milieu d’eux.
Il fait plus clair, une dernière houle dépose délicatement l’équipage entre deux lits, sans doute là depuis plusieurs années, peut être des siècles. Le soleil pointe son premier rayon de même que Nicolas étire ses bras en baillant. Il vient de se réveiller, se lève et marche sur le sable en direction d’un chemin tout tracé par des petits pieds nus. D’autres enfants sont passés là avant lui !
Le soleil commence sa longue ascension, et nous permet de voir le pyjama de Nicolas ; il est d’une jolie couleur orange. Nicolas disparaît maintenant derrière quelques buissons mais le bruit de ses pas nous parvient très bien ; il marche d’une façon très régulière vers un endroit que lui seul connaît peut être…Une brume s’est levée et ne nous laisse entrevoir de lui qu’une silhouette qui continue imperturbable son chemin, tel un automate. Il n’est plus qu’une ombre difforme à travers ce brouillard si dense, qu’il ne laisse passer du soleil que son disque blanchâtre.
Nicolas marche plus difficilement sans doute toujours sur le chemin tracé… on entend toujours le bruit de pas plus irréguliers que tout à l’heure, comme une mécanique arrivée en fin de course faute de l’avoir remontée. Il est difficile maintenant de distinguer Nicolas. Les pas sont de plus en plus rares, jusqu’au moment où il ne peut plus marcher… un bruit… il a du tomber… plus un seul bruit…
Le soleil bien haut dans le ciel dissipe le brouillard, et lentement éclaire une gigantesque clairière jonchée de réveils éteints. Les uns très vieux et rouillés, les autres presque neufs, d’autres encore sans doute ensevelis depuis des millénaires.
Au premier plan, un joli réveil orange vient de s’éteindre il y a quelques secondes.
Charli année 1976
Ceci est ma toute première nouvelle ; je trouve qu’elle correspond bien à mon ami Lucien Guillaume. Il pourrait être ce Nicolas qui a quitté sa terre natale et vient de s’éteindre sur une ile loin de chez lui,… Je la lui dédicace pour l’occasion.