ROME — Les Italiens, gavés de talk-shows télévisés pendant des semaines à l’approche des élections, connaissent samedi un temps de “silence électoral”, après une campagne marquée par le tonitruant Beppe Grillo et une incertitude sur l’issue du scrutin, qui inquiète l’Europe.
“Maintenant la parole est aux Italiens”, titre en pleine page La Stampa, alors que la campagne pour les législatives et sénatoriales de dimanche et lundi s’est terminée vendredi à minuit avec les derniers meetings des têtes de liste. A part Silvio Berlusconi, 76 ans, qui a annulé sa prestation à Naples pour cause de conjonctivite, les autres ont joué leur partition.
Le chef du gouvernement sortant, Mario Monti, dans une rencontre publique à Florence, a promis de “réduire le coût du travail pour les nouvelles embauches, développer l’apprentissage, créer un nouveau contrat à durée indéterminée”. Le leader de la gauche, Pier Luigi Bersani (PD), donné favori dans les sondages, a sorti son joker: le réalisateur Nanni Moretti qui a dit vouloir “libérer” les Italiens de Berlusconi.
Mais c’est l’ex-comique Beppe Grillo qui a eu le mot de la fin, devant une marée humaine rassemblée sur la grande place Saint-Jean de Latran à Rome, en hurlant: “Renvoyons-les tous chez eux!”.
L’ancien bateleur, qui canalise la rage des Italiens frappés par le chômage et la récession économique, préconise la mise en place d’un revenu minimum de 1.000 euros, la réduction des salaires des hommes politiques, le retrait de la zone euro, la réduction de la semaine de travail à vingt heures…
Son mouvement “5 étoiles” pourrait se placer en troisième position (17%) derrière le PD (34%) et le PDL de Silvio Berlusconi (30%), selon les derniers sondages connus. Pas assez pour vaincre, mais suffisamment pour compliquer singulièrement la tâche du prochain chef du gouvernement, voire l’empêcher de former un gouvernement stable.
Du coup, ses rivaux ont réservé leurs piques les plus dures contre l’ex-comique à la tignasse bouclée, allant jusqu’à comparer ses diatribes enragées et “populistes” à celles du leader fasciste Benito Mussolini.
Le “Cavaliere”, qui a effectué une remontée spectaculaire dans les sondages, a tenté une dernière manoeuvre en envoyant une lettre à des “millions” d’Italiens, promettant de leur rembourser la très impopulaire taxe foncière rétablie par le gouvernement technique de Mario Monti.
“Si je ne respecte pas cet engagement, les citoyens pourront me faire un procès et demander que je paie, moi. J’ai les capitaux suffisants pour répondre à tous les citoyens”, a promis vendredi le milliardaire. Alors que beaucoup ironisaient sur cette ultime promesse ou s’insurgeaient contre cet “achat de voix”, certains ont commencé à faire la queue à la Poste pour se faire rembourser… En attendant, il est allé faire une petite visite en hélicoptère à Milanello à son équipe, le Milan AC, à la veille d’un derby contre l’Inter dimanche soir.
Eclaboussé par des procès à répétition, le magnat des médias avait dû démissionner en novembre 2011, laissant une Italie au bord de l’asphyxie financière.
Après dix-huis mois de gouvernement technique, la troisième économie de la zone euro a esquivé le gouffre de la dette et le “spread” –écart entre taux d’emprunt italien et allemand– a baissé de moitié, mais le pays est englué dans une profonde récession.
La crainte des marchés est que le vainqueur des élections à la Chambre des députés ne dispose pas d’une majorité suffisante au Sénat, en raison de règles électorales différentes, ce qui rendrait le pays ingouvernable ou pour le moins instable.
Une inquiétude relayée par la presse européenne, à l’image du Soir à Bruxelles, selon lequel “le véritable danger qui guette l’Italie, et donc toute l’Europe, c’est l’instabilité”. Le quotidien belge prévoit “soit une coalition du bon sens et du pragmatisme avec Bersani et Monti, soit l’aventure et le chaos si Berlusconi et/ou Grillo peuvent bloquer le Sénat”.
En Allemagne, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble, dans un entretien au Stuttgarter Zeitung de samedi, a une nouvelle fois exprimé l’espoir que la politique de Mario Monti, qui a généré d'”importantes améliorations”, soit “poursuivie”. Quant au plus grand quotidien d’information polonais Gazeta Wyborcza, il raconte l’ascension de Grillo et Berlusconi sous un titre lapidaire: “Un combat de clowns”.
Recevant le président de la République Giorgio Napolitano, son ultime rencontre avec un chef d’Etat avant sa démission, le pape Benoît XVI a indiqué “prier pour l’Italie” et adressé “ses meilleurs voeux pour le bien” du pays.