François Fénelon écrit en 1694:
Ce texte magnifique de François Fénelon écrit en 1694 est d’une actualité déconcertante :
«Souvenez-vous, ô Télémaque, qu’il y a deux choses pernicieuses, dans le gouvernement des peuples, aux quelles on apporte presque jamais
aucun remède : la Première est une Autorité Injuste et trop Violente
dans les Rois, la Seconde est le Luxe qui Corrompt les Mœurs.
Quand les Rois s’accoutument à ne connaître plus d’Autres Lois que leur
Volonté Absolue, et qu’ils ne mettent plus de frein à leur passion, ils
peuvent Tout : mais à force de tout pouvoir, ils sapent les fondements
de leur puissance, ils n’ont plus de règles certaines ni de maximes de
gouvernement. Chacun les flatte à l’envie, ils n’ont plus de Peuple :
il ne leur reste que des Esclaves. Qui leur dira la Vérité ? Qui
donnera des bornes à ce torrent ? Tout cède, les Sages s’enfuient, se
cachent et gémissent. Il n’y a qu’une Révolution – soudaine et violente
– qui puisse ramener dans son cours cette puissance débordée : souvent,
même, le coup qui pourrait la modérer l’abat sans ressource. Rien ne
menace tant d’une chute qu’une autorité que l’on pousse trop loin :
elle est comme un arc trop tendu, qui se rompt tout à coup.
L’Autre Mal, presque incurable, est le Luxe. Comme la trop grande autorité
empoisonne les Rois, le Luxe empoisonne toute une Nation. L’on dit que
ce luxe sert à nourrir les Pauvres aux dépends des Riches : comme si
les Pauvres ne pouvaient pas gagner leur vie plus utilement, sans
amollir les Riches par des raffinements. Toute une Nation s’accoutume à
regarder comme les Nécessités de la Vie les Choses les Plus Superflues : ce sont tous les jours de nouvelles nécessités que l’on s’invente.»
Cet ouvrage voué à l’éducation de l’héritier du trône, que Fénelon n’avait pas voulu rendre public, lui avait été soustrait par un domestique infidèle.
Au début de 1699, Fénelon perdit son poste de précepteur du duc de Bourgogne, (petit-fils de Louis XIV et son éventuel héritier) et quand, en avril, son Télémaque fut publié (d’abord anonymement et sans son autorisation), Louis XIV y vit une satire de son règne, arrêta l’impression et disgracia l’auteur : Fénelon fut banni de la cour….