Un outil économique, la DSP ou l’aéroport de Grand Case

par Yves KINARD

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Un outil économique, la DSP ou l’aéroport de Grand Case – par Yves KINARD
Par Yves KINARD 29 Avr 2012 04:00

Dans l’article précédent, et pour résumer, je disais qu’une collectivité avait tout intérêt à déléguer au privé un certain nombre de ses missions quand elles ne sont pas spécifiquement du service public pur, c’est-à-dire par définition sans rentabilité.

Entrent dans cette dernière catégorie les infrastructures comme les routes, encore que ce ne soit pas tout à fait vrai, mais j’y reviendrai dans un autre article. Aujourd’hui, je vais parler d’un outil dont disposent les collectivités, qu’elles soient communes, départements ou régions, ou comme nous Collectivité d’Outre Mer ou même l’Etat. Il s’agit de la Délégation de Service Public, ou DSP.

Les collectivités, qu’elles soient Communes ou même l’Etat, ne sont pas faites pour fonctionner dans un système concurrentiel. On peut le regretter, mais la pratique montre que dans la plupart des cas, le privé est plus productif qu’une entité gérée par le service public. Dès lors qu’il s’agit de construire des réseaux routiers et autres, le service public trouve sa justification puisque le bénéfice qu’il va en tirer ne sera pas directement lié à l’infrastructure ni proportionnel. De plus, son entretien conduira à un investissement permanent. Certes, ce n’est pas le service public qui directement construira ces réseaux puisqu’il attribuera au secteur privé des marchés via la procédure d’appel d’offres. Mais il en supportera les coûts quand l’attributaire y fera un bénéfice. Celui de la collectivité se fera ailleurs par une attractivité supplémentaire, un fonctionnement économique renforcé et donc une masse fiscale supplémentaire qui viendra compenser l’investissement.

Néanmoins, on comprend très vite que le service public n’a pas capacité à se substituer dans ses compétences au secteur privé. Mais l’un ne va pas sans l’autre et c’est justement, dans le cadre de projets de développement, que la collectivité se doit de déléguer certaines de ses missions au secteur privé plus réactif qu’elle. On en revient à: la Collectivité doit donner la direction, l’encadrement, l’accompagnement, le contrôle. Mais c’est tout. La Délégation de Service Public est un contrat par lequel une personne morale de droit public confie la gestion d’un service public dont elle a la responsabilité à un délégataire public ou privé, dont la rémunération est substantiellement liée au résultat de l’exploitation du service (article L. 1411-1 du Code Général des Collectivités). Un exemple que l’on peut donner de l’intérêt de cette démarche est le cas de l’aéroport de Grand Case.

Il y a quelques années encore, cette infrastructure avait un fonctionnement erratique. Sans d’ailleurs que l’on puisse vraiment isoler la responsabilité de la Commune à l’époque, mais peut-être plutôt celle des vicissitudes liées à l’histoire même du site passé entre diverses mains dont le Conseil Général, l’Etat, etc… Avec une administration bien peu efficace, l’aéroport faisait malgré tout près de 200.000 visiteurs, mais générait dans le même temps un déficit compris entre 600.000 et 900.000€ chaque année, sans que l’on puisse vraiment le préciser tant les interactions entre la régie aéroportuaire et la Commune étaient emmêlées (personnel mis à disposition par exemple). Sagement, la nouvelle Collectivité a décidé de confier la gestion de l’aéroport au secteur privé. Sagement aussi, elle a choisi de faire monter tout le dossier d’appel d’offres à délégation de service public par un cabinet privé, notamment au niveau des études destinées à élaborer le cahier des charges, le tout sous le contrôle étroit et averti du DGS Pascal Averne. La procédure a ensuite été lancée, et, aux dires de l’actuel Président de la société attributaire gérant l’aéroport, Mr Alain Russel, elle a été exemplaire et même rigoureuse. A mentionner pour la petite histoire que l’initiative de l’opération avait été prise par Daniel Gibbs (en charge de l’aéroport au Pôle Economique), ardent défenseur de l’introduction de la gestion privée dans les grandes infrastructures publiques, avant de se voir privé de son portefeuille.

Deux entités ont soumissionné et sont vraiment représentatives de ce que j’expliquais dans le précédent article. La première, qui a d’ailleurs remporté le marché, est la société canadienne SNC Lavalin (Montréal). La deuxième était un groupement constitué de la Semsamar et de la CCISM auquel était associé d’une manière un peu informelle, et curieusement, l’aéroport de Juliana (a priori, Juliana aurait juste dit qu’ils étaient d’accord de s’associer, sans que cela aille plus loin d’ailleurs, d’après mes informations).

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SNC Lavalin est un des plus gros groupes d’ingénierie et de construction au monde avec un chiffre d’affaires 2011 qui dépasse les 7 milliards de dollars, des fonds propres de 1,8 milliards, un carnet de commande de plus de 10 milliards et un rendement des capitaux propres de 19,3%…. de quoi laisser rêveur. Un géant centenaire (fondé en 1911) employant à travers le monde plus de 20.000 personnes et qui gère notamment une douzaine d’aéroports, dont plusieurs en France (Lourdes, Tours, Paris-Vatry, Mayotte, Châlon, Toulouse-Francazal, Rouen, Cherbourg, Vannes, Angoulême), ou encore celui de Malte (2 millions de passagers).

A côté de cela, le couple Semsamar/CCISM. La Semsamar est une société d’économie mixte détenue pour 51% par la Collectivité de Saint Martin. Première SEM de l’Outre-Mer, quatrième de France en termes de capitalisation et de fonds propres, il n’en reste pas moins que la comparaison est difficile puisqu’on parle en gros d’une centaine d’employés, d’un chiffre d’affaires qui doit tourner autour de 100 millions pour un résultat net autour de 12. Si la Semsamar est indiscutablement expérimentée dans le domaine du locatif social, de la construction de lycées ou d’hôpitaux, elle n’a, en tous cas, aucune expérience dans le domaine aéronautique. Il en est de même de la CCISM dont il faut souligner qu’elle dépend uniquement pour son financement de la Collectivité et des impôts locaux (centimes additionnels) depuis qu’elle s’est émancipée de la tutelle de Basse-Terre et donc de l’Etat. D’une certaine manière donc, la prise de contrôle de l’aéroport par ce couple n’aurait été pour une bonne part qu’un déplacement de moyens financiers déjà existants ou tributaires de la Collectivité. Donc, peu ou pas d’apports extérieurs. Ceci dit, la Semsamar avait largement les moyens, sur ses fonds propres, de financer l’investissement et certainement ceux de trouver un prestataire technique spécialisé.

Sans doute, ces raisons ont-elles conduit les décisionnaires à choisir le groupe SNC Lavalin. Le contrat de base dans le cadre de la DSP prévoyait la reprise intégrale de la gestion, le versement les deux premières années d’une redevance de 100.000€ et 200.000€ les 23 suivantes, le tout lié à l’engagement d’investissements à hauteur de 10 millions visant à l’amélioration de l’outil et son développement. Rappelons quand même, que dans le cas d’une DSP, le concédant reste propriétaire des investissements réalisés par le délégataire qui doit scrupuleusement suivre le cadre inflexible du cahier des charges. En charge officiellement depuis le 1er avril 2011, la SNC Lavalin a donc créé spécialement une entité locale pour gérer l’aéroport (filiale à 100%). Première mission, mettre en place une station de carburant qui manquait cruellement (opérationnelle depuis le 26 février 2012). Le choix a été fait de réaliser un investissement minimaliste, mais rapide. En effet, dans la limite déclarative des 100 m3, il n’est pas nécessaire de demander une autorisation, toujours longue à obtenir. Laquelle sera demandée lors de la phase des gros travaux et le déplacement de la station avec l’augmentation de sa capacité.

Il y a donc un an que Lavalin est aux commandes et on pouvait légitimement se demander, vu l’absence d’informations, ce que cela devenait. En fait, durant cette année, un énorme travail de préparation a été mené. Il faut quand même savoir que le nouvel exploitant a trouvé un aéroport qui n’avait de nom que celui qu’on voulait bien lui donner. En effet, l’aéroport n’était pas classé, la piste non homologuée, l’exploitant précédent non certifié. Ajoutons à cela qu’aucun plan de masse et des réseaux, n’existait. Aucun document n’était disponible au sujet des nuisances, des accès ou de l’emprise de l’aéroport. On croit rêver. C’est donc tout cela que le nouvel exploitant s’est attelé à revoir tout en étudiant la modification de l’infrastructure pour l’adapter, parfois même, aux normes qu’elle ne respectait pas toujours. Même dans la construction proprement dite, le nouvel exploitant a trouvé des aberrations: les entreprises du BTP ayant oeuvré précédemment sur le site n’avaient pas toujours respecté les règles de l’art. On comprend mieux l’ampleur du travail qu’a réalisé Alain Russel, le Président du nouvel exploitant, dans cette phase préparatoire d’un an seulement, ce qui n’est pas mal. Il est à noter que Mr Russel est particulièrement compétent avec presque 40 ans années d’expérience dans le domaine aéronautique (23 ans à l’aéroport de Nice, 13 comme directeur à Strasbourg, et depuis 4 ans chez Lavalin).

Contrairement à ce que j’avais pu écrire ironiquement en 2009, on ne va pas raser l’aéroport et reconstruire. En fait, tout le travail de conception de la nouvelle aérogare a porté sur un agrandissement de 300 m2 à la droite de l’actuelle (à la place du parking derrière la tour de contrôle), sur la reprise des varangues côté piste pour agrandir les halls et sur une réorganisation générale des commerces, bureaux et comptoirs des compagnies. Ceux-ci vont être déplacés et se trouver en face des banques d’enregistrement, comme cela se fait partout, permettant au personnel des compagnies d’avoir une vue directe sur les contrôles passagers. Les commerces vont être rassemblés dans le couloir. Les tapis bagages vont être aussi repensés, mis en conformité et toute la salle des arrivées réorganisée plus logiquement. La salle d’embarquement sera agrandie et un vrai bar sandwicherie y trouvera place, ce qui était une demande des passagers. Au total, l’aérogare voit sa surface augmenter de 25%. Livraison prévue, 1er trimestre 2014. C’est à l’extérieur que les choses seront plus importantes avec, dès début 2013, la mise en service d’une première extension de l’aire de stationnement de l’aviation d’affaires dont la capacité sera presque doublée (17 avions au lieu de 9) et mi-2014, la mise en place d’un véritable service de secours et d’incendie dans un bâtiment dédié sur lequel d’ailleurs sera implantée la nouvelle tour de contrôle qui pourra enfin mériter son nom. Par la suite, grâce à la mise à disposition des terrains nécessaires pour l’aéroport, par la Collectivité, une nouvelle extension accueillera la zone d’aviation générale et d’affaires comprenant 27 postes de stationnement, une aérogare dédiée, des hangars, un centre de maintenance avions et la station de carburant, permettant ainsi de disposer de cinq emplacements pour les avions commerciaux réguliers autour de l’aérogare actuelle. A noter que la piste sera un peu allongée pour être en conformité et fera au total 1640 m pour une longueur homologuée de 1500. Cela devrait d’ailleurs conduire au déplacement de l’actuelle route en provenance du rond point de Hope Estate.

Le tout premier travail a été de mettre de l’ordre dans la gestion interne. Si le nouvel opérateur a repris tout le personnel, lui laissant d’ailleurs, quand il était originaire de l’administration de la Collectivité, le choix durant deux ans d’y retourner ou pas, il a par contre revu tous les contrats et revu certaines stratégies, reprenant à son compte certaines missions autrefois dévolues au privé, mais reprises pour l’attribuer au personnel qu’il s’était engagé à conserver.

Les objectifs que s’est fixé le nouveau gestionnaire (issus du cahier des charges) sont de développer dans un premier temps le concept de “night stops” favorisé maintenant par la présence de carburant avion sur le site. Il reste à obtenir l’homologation pour le VFR de nuit qui permettra de faire atterrir des avions jusqu’à environ 21h30 (Juliana, en charge du contrôle aérien dans la zone, ferme à 22h). Gros avantage, cela permettra d’allonger la journée de travail, quand on va en Guadeloupe ou Martinique par exemple, avec des avions qui pourront partir très tôt. Le deuxième objectif est de solliciter les compagnies en vue de renforcer les liaisons inter îles et ouvrir de nouvelles destinations. L’extension du parking des avions d’affaires permettra d’attirer une clientèle qui ne souhaite pas laisser son avion dans le contexte difficile de Juliana. Avec déjà actuellement 2 à 3.000 mouvements de ce type d’avions, l’objectif est d’augmenter très sensiblement la fréquentation.

D’une manière plus générale, si aujourd’hui l’aéroport, malgré ses dysfonctionnements, attirait quand même environ 200.000 passagers, preuve qu’il répond bien à un besoin, l’objectif auquel s’est engagé le nouveau gestionnaire est de doubler en 25 ans le nombre de voyageurs.

Bien entendu, tout cela pouvant relever du voeu pieux, il faudra voir la réalité de l’exploitation et la mesurer dans les années à venir. Pourtant, l’expérience vérifiable sur les autres plateformes dont SNC Lavalin a la responsabilité, plaide plutôt en faveur du fait que la Collectivité a fait un bon choix.

Il est bon, pour terminer, de se pencher sur cette dernière question, celle du choix. Même si l’avenir nous apportera la concrétisation et la vérification du discours actuel, force est d’admettre que, d’une gestion déficitaire de 600.000€ (pour être gentil), on passe dès la première année à un résultat positif pour la Collectivité de 100.000€. L’un dans l’autre, on peut quand même dire que la différence avant et après est de près de 1 million. Pas négligeable. Par ailleurs, au final, la Collectivité se retrouve avec un actif brut de 10 millions en plus. Sans oublier que ces 10 millions sont injectés pour la majorité dans l’économie locale puisque les prestataires pour l’exécution des travaux seront sans doute pour la plupart saint martinois, mais vraisemblablement soumis à appels d’offres auxquels il faudra satisfaire, loi de la concurrence européenne oblige.

A comparer avec les mêmes moyens qu’auraient dû mobiliser le couple Semsamar/CCISM, mais qui étaient déjà des moyens disponibles localement. Autant donc les affecter à du vrai service public comme un lycée ou une extension de l’hôpital. Bien entendu, cela remet un peu en question le statut de la Sem qui, comme toute société de droit privé, doit faire du bénéfice, mais on en parlera une autre fois.

Enfin, plus globalement, le dynamisme de la plateforme devrait attirer indirectement des sous dans les caisses de la Collectivité puisque plus de trafic passagers et donc de passages sur l’île génère forcément des recettes fiscales supplémentaires par les achats faits dans les commerces et les services. On peut donc très certainement doubler, voire tripler l’impact d’un outil comme celui-là lorsqu’il fonctionne. Mais c’est aussi la démonstration de la théorie que j’exposais et dont, en toute modestie, je ne suis pas du tout l’inventeur. Je peux même vous dire que, d’après mes informations, certaines instances comme la CCISM ou le CESC arrivent aux mêmes conclusions, comme aussi l’administration de la COM. Mais toutes, inexplicablement, rechignent à les étaler sur la place publique. Sans même parler de les mettre en application. C’est pourtant le seul moyen de mobiliser l’électorat….

Yves KINARD

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