Hélène Vainqueur-Christophe : “dans les collectivités d’outre-mer, (…) l’obésité représente un véritable fléau !”
Extrait de l’allocution de Madame Vainqueur-Christophe, rapporteuse de la commission des affaires sociales à l’Assemblé Nationale, dans le cadre de la proposition de loi de M.Bruno Le Roux tendant à prohiber la différence de taux de sucre entre la composition des produits manufacturés et vendus dans les régions d’outre-mer et celle des mêmes produits vendus dans l’hexagone .
(…) Je suis très honorée de présenter aujourd’hui cette proposition de loi visant à améliorer la qualité de l’offre alimentaire outre-mer, qui répond à la fois à un enjeu majeur de santé publique sur nos territoires et à une inégalité de traitement flagrante entre les consommateurs ultramarins et les consommateurs hexagonaux.
Je suis d’autant plus honorée de défendre ce texte devant vous, monsieur le ministre des outre-mer, qu’il est directement inspiré de celui que vous aviez soutenu comme député il y a près de deux ans afin d’alerter notre assemblée sur la différence entre les teneurs en sucres des denrées alimentaires commercialisées outre-mer et celles des denrées commercialisées en France hexagonale.
En 2011, la précédente majorité avait rejeté ce texte. Le gouvernement de l’époque avait alors fait prévaloir les stratégies commerciales des industriels de l’agroalimentaire sur les exigences de préservation de la santé des populations ultramarines. Cette attitude était d’autant plus irresponsable que ce texte avait pour objectif de mettre fin à l’injustice qui frappait – et qui continue de frapper – les consommateurs ultramarins, en interdisant que les produits distribués outre-mer soient plus sucrés que les mêmes produits distribués dans l’hexagone.
La question de la teneur en sucres des denrées alimentaires de consommation courante revêt en effet une importance cruciale en termes de santé publique dans les collectivités d’outre-mer, où l’obésité représente un véritable fléau, sans commune mesure avec la situation sanitaire en France hexagonale.
D’après les estimations de l’enquête ObÉpi, près de 7 millions de Français seraient considérés comme obèses, soit le double d’il y a quinze ans. Si cette donnée nationale est éminemment inquiétante, la situation dans les territoires ultramarins est encore plus grave. Les données des enquêtes épidémiologiques menées localement par le docteur André Atallah font état d’une obésité beaucoup plus importante et toujours très dynamique dans les outre-mer, alors qu’elle tend à se stabiliser dans l’hexagone. L’obésité toucherait ainsi 15 à 20 % de la population adulte de la Guadeloupe, de la Réunion et de la Martinique. Plus grave, le surpoids – y compris l’obésité – concerne 23 % des enfants de cinq à quatorze ans en Guadeloupe et 24,5 % de ces enfants en moyenne dans les quatre départements d’outre-mer, à comparer aux 16 % de la France hexagonale. L’obésité seule concerne 10,5 % des enfants des quatre départements d’outre-mer, contre 3 % des enfants en France hexagonale. Au total, sur ces territoires, près d’un quart des enfants et adolescents et plus de la moitié des adultes sont touchés par des problèmes de surcharge pondérale.
Enfin, vous n’êtes pas sans savoir, chers collègues, que l’obésité constitue un facteur de risque aggravant pour le développement de certaines maladies comme le diabète ou l’hypertension artérielle. Le risque d’être traité pour hypertension artérielle est ainsi multiplié par 3,6 chez les personnes obèses. Plus globalement, l’outre-mer présente une surmortalité due aux maladies vasculaires cérébrales ou au diabète par rapport à la France hexagonale.
Face à cette situation, les pouvoirs publics sont demeurés largement impuissants. En dépit des actions mises en œuvre dans le cadre des versions successives du plan national nutrition santé, les objectifs fixés n’ont pas été atteints. Alors que le PNNS 3 est en cours de réalisation, rien n’indique que la situation évolue plus favorablement. Certes, le PNNS 3 s’accompagne d’une déclinaison spécifique pour les outre-mer, mais les mesures prévues n’ont pour l’heure abouti à aucune amélioration concrète sur le terrain. Ce n’est pas un problème d’orientation, c’est un problème de méthode : le changement concret ne passe que par des mesures contraignantes pour les industriels.
Car, je veux le dire ici, si je ne souhaite pas stigmatiser injustement certains opérateurs économiques, je considère qu’il ne faut pas sous-estimer leur responsabilité dans la progression de ce fléau qu’est l’obésité. Comment peut-on lutter efficacement contre cette épidémie en continuant de tolérer que des produits identiques aient une teneur en sucres supérieure outre-mer ? Comment ne pas y voir une inégalité en matière de santé publique, entretenue par un marché alimentaire obscur ?
À titre d’exemple, je souhaiterais porter à votre connaissance le cas d’un soda à l’orange qui contient de 44 à 48 % de sucre en plus dans les départements d’outre-mer que le même produit vendu ici à Paris. Il en va de même pour certains yaourts, qui sont parfois 20 % plus sucrés à Pointe-à-Pitre qu’à Paris. Je renvoie ainsi chacun à l’édifiante enquête menée par le pôle alimentaire régional de Martinique, sous l’égide des conseils régionaux de Guadeloupe et de Martinique.
Je le redis, cette loi ne cherche pas à priver les industriels de marges de manœuvre, mais elle tend bien à redonner aux consommateurs ultramarins la possibilité de faire les bons choix alimentaires pour leur santé. Je tiens en outre à condamner fermement les arguments employés par les industriels justifiant la nature plus sucrée de leurs produits par une adaptation au goût local, qui se manifesterait par une plus grande appétence pour le sucre. Il n’existe aucun argument scientifique démontrant l’existence d’un quelconque goût particulier des habitants ultramarins pour les aliments riches en sucre. Si cette appétence existe, j’affirme alors qu’elle est savamment entretenue par les industriels, puisque ceux-ci empêchent les consommateurs ultramarins d’avoir accès à des produits moins sucrés.
En l’absence de règle générale applicable à tous, le consommateur reste donc soumis au bon vouloir des industriels de l’agroalimentaire. Les chartes d’engagements de progrès nutritionnel, actuellement en cours de signature, ne nous laissent pas entrevoir des pratiques différentes. Il apparaît donc nécessaire de passer par la loi afin de mettre fin à cette situation inacceptable et de proposer un dispositif juridique à la fois simple et opérationnel qui permette de mieux protéger les consommateurs.
Dans cette perspective, la commission des affaires sociales a souhaité améliorer le dispositif de la proposition de loi tout en en conservant l’esprit.
Elle a tout d’abord rassemblé, au sein de l’article 1er, les dispositions figurant préalablement au sein des deux articles de la proposition de loi qui doivent s’insérer dans le code de la santé publique. Elle a également précisé certaines de ces dispositions.
(…)
L’article L.3232-5 vise tout d’abord à prohiber la présence de teneurs en sucres ajoutés plus élevées dans les produits alimentaires distribués outre-mer que dans les produits similaires de la même marque distribués en France hexagonale. La notion de « teneur en sucres » a été remplacée par celle de « teneur en sucres ajoutés », afin de tenir compte de la situation spécifique des fabricants de produits laitiers outre-mer.
En effet, en raison de la faible production locale de lait frais, les industriels élaborent leurs produits à partir de poudre de lait dont la teneur en lactose, donc en sucre, est supérieure à celle du lait frais. Les yaourts produits localement sont donc naturellement plus riches en sucre. Cela ne doit pas pour autant conduire à pénaliser ces produits locaux, qui sont aussi bons pour la santé. D’autre part, nous avons étendu le champ d’application de cet article à Saint-Barthélémy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon, territoires également touchés par cette injustice.
(…)
Au-delà de ces modifications du dispositif initial, la commission a également introduit deux articles additionnels contribuant à améliorer globalement la qualité de l’offre alimentaire outre-mer.
Le nouvel article 3 vise ainsi à interdire la pratique mise en place par certains industriels consistant à prévoir un double étiquetage des dates limite de consommation des produits alimentaires selon qu’ils sont distribués sur le marché hexagonal ou sur le marché ultramarin. En effet, un produit peut actuellement avoir une DLC plus longue qu’un produit identique de même marque lorsqu’il est destiné à l’outre-mer. Certains écarts relevés pour des yaourts peuvent même atteindre vingt-cinq jours.
Il s’agit à nos yeux d’un double scandale en termes de désinformation du consommateur : le consommateur ultramarin est amené à consommer des yaourts considérés comme périmés dans l’hexagone ; le consommateur hexagonal est quant à lui amené à jeter des yaourts considérés comme encore consommables outre-mer.
Je sais, monsieur le ministre chargé de l’agroalimentaire, que vous avez à cœur de lutter contre les gaspillages alimentaires. Vous ne manquerez donc pas, je suppose, de soutenir l’initiative prise par notre commission, qui vise simplement à rétablir une égalité de traitement entre les consommateurs.
Enfin, l’article 4 recevra également, je le crois, votre assentiment. Il est en effet apparu important à notre commission de favoriser la valorisation des ressources et de la production agricole locales, qui sont appelées à jouer un rôle crucial dans l’amélioration de la qualité nutritionnelle de l’offre alimentaire dans les territoires ultramarins.
La commission a donc souhaité contribuer à cet objectif en promouvant l’approvisionnement des sites de restauration collective par des circuits courts de distribution. L’article 4 rend donc obligatoire la prise en compte du critère de performance en matière de développement des approvisionnements directs en produits de l’agriculture dans l’attribution des marchés publics de restauration collective, alors que cela n’est actuellement que facultatif.
Enfin, le titre de la proposition de loi a été modifié afin de mieux refléter son contenu tel qu’il ressort des travaux de notre commission. C’est pourquoi celle-ci devrait désormais s’intituler « Proposition de loi visant à garantir la qualité de l’offre alimentaire en outre-mer ».
(…)
La proposition de Loi a été adoptée par l’Assemblée Nationale.