S’affranchir de toutes les formes d’esclavage… une utopie ?
A quelques jours de la commémoration de l’abolition de l’esclavage dans sa forme coloniale, et notre devoir de mémoire collectif rempli, nous ne pouvons pourtant nous empêcher de constater que l’esclavage n’est pas totalement aboli dans notre société et qu’il y prend des chemins bien différents.
En effet, si l’esclavage physique dans sa notion de propriété d’hommes par d’autres alors omnipotents n’est plus admissible dans nos consciences occidentales bien pensantes, on ne peut pourtant nier que dans ce qu’il comporte de privation de liberté, de choix, l’esclavage existe encore sous des formes variées, et bien plus proche de nous que nous ne voulons bien l’admettre.
L’ONU estime ainsi à 200 à 250 millions d’esclaves adultes à travers le monde, auxquels s’ajouteraient 250 à 300 millions d’enfants de 5 à 14 ans au travail.
L’aberration en la matière est que depuis son abolition, l’esclavage n’a jamais trouvé place dans la législation française comme s’il avait de fait disparu de nos sociétés modernes. Mais face à la recrudescence des cas de servitude moderne, ce vide juridique a été comblé le 15 mai dernier par un amendement créant un crime d’esclavage et de servitude, puni de 15 ans de réclusion et soutenu dans les deux assemblées de façon transversale : “le fait d’exercer sur une personne les attributs du droit de propriété ou de maintenir une personne dans un état de sujétion continuelle en la contraignant à une prestation de travail ou sexuelle, ou la mendicité ou à toute prestation non rémunérée”.
Il faut savoir que l’Europe avait déjà épinglé la France sur cette carence de notre législation.
L’esclavage dit moderne est malheureusement de plus en plus répandu dans la mesure où les crises touchant certains territoires amènent leur lot de pauvreté, de désespoir et de migrations vers des terres plus prometteuses.
Difficile à Saint-Martin de ne pas se sentir concernés, nous sommes convaincus que la lecture de ce post vous évoquera comme à nous quelques souvenirs très proches de vous.
Ces populations fuyant leurs pays d’origine constituent la première cible de la servitude domestique car bien souvent vulnérables : sans papiers, ignorant les lois du territoire qui les accueille légalement ou moins, parfois ne maîtrisant pas la langue ou trop peu …
Bien des cas de passeports séquestrés ou de promesses de régularisation tiennent ainsi des hommes et des femmes en situation de soumission mais peu défraient la chronique.
Ces hommes et ces femmes en situation de vulnérabilité trouvent rarement les moyens d’échapper à leur situation et encore plus rarement l’axe de la justice… comment porter plainte lorsque l’on est en situation irrégulière ?
Les abus sont fréquents : Confiscation de l’autorisation de travail et des papiers d’identité, séquestration, refus de verser le salaire promis, et diverses formes de violence ou d’escroqueries (promesse de papier ou preuve d’emploi pourtant fictif monnayés notamment). Ces gens vivent paradoxalement en plein milieu de sociétés occidentales ou occidentalisées, où justement, il y a une législation sur les conditions de travail, et des lois qui pourraient, plus ou moins, les protéger, mais ils n’osent pas, ils ne peuvent pas et ils ne savent pas saisir les autorités compétentes.
Venus d’ailleurs pour trouver ici ce dont ils manquent pour finalement repartir vers d’autres cieux encore, non sans avoir auparavant trimé en marge de toutes les lois et de s’être fait finalement raquetté les quelques économies pour financer un tout aussi illégal voyage vers Saint-Thomas… laissant parfois ici un enfant ou deux confiés aux bons soins d’un proche doté de papiers.
Les conditions de l’esclavage moderne sont d’autant plus insidieuses et terribles que les barreaux de ces prisons sont immatérielles, et donc difficiles à briser. Cet esclavage revêt ainsi plusieurs aspects qui non seulement peuvent le rendre insoupçonnable mais en plus touchent à un tabou historique.
Si les médias témoignent au quotidien de la réalité de cette forme d’avilissement, ils ne se font l’écho que de ce qu’il faut bien considérer comme la part émergée d’une réalité bien plus vaste.
Ainsi, à un moment où le maire d’Osaka (Japon) défraie la chronique en affirmant que l’esclavage sexuel est “une nécessité”, il serait illusoire de croire que Saint-Martin échappe à ce fléau. Chacun d’entre nous sait, a su ou a vu à sa porte (voire dans ses murs) des situations iniques qui pourraient être assimilées à de l’asservissement.
Et là, je sens bien que vos regards se portent inévitablement vers la partie hollandaise et ses établissements spécialisés, ceux qui n’ont pas pignon sur rue… ou pas vraiment, mais Sint Maarten ne dispose pas du monopole en la matière. Saint-Martin dispose aussi de son lot de femmes, jeunes ou moins, hommes, enfants qui par nécessité financière doivent faire commerce de leurs corps en échange de quelques dollars, en particulier en ces temps de récession.
Le propos n’est pas ici de juger la légitimité, l’intérêt, ni même les dérives de ces pratiques. Il s’agit surtout d’ouvrir nos yeux à-demi clos sur cette réalité qui occupe nos rues, même très passantes… Mais nous éviterons ici soigneusement de nous demander si les établissements auxquels nous pensons sont en règle fiscale notamment et si le produit de leurs “ventes” est à quelque moment redistribué sur le territoire tant le drame est avant tout humain.
Nous visons seulement à réveiller les consciences, rappeler que même si l’on peut et doit célébrer l’abolition de l’esclavage au-delà des débats locaux autour de sa date réelle, voire même de sa réalité différenciée à Saint-Martin, on doit également et surtout en tirer les leçons.
La traite humaine, abolie en 1848, est sans conteste fondée sur des principes racistes, communautaristes, d’intolérance et de soif de pouvoir et d’argent. N’est-il pas surprenant de constater à quel point ces mots résonnent encore dans notre actualité quelques 165 ans plus tard alors que l’on se drape volontiers dans la fierté de leur abolition ?