En prélude au mouvement de grève prévu jeudi 10 février,SXMINFO a rencontré Laurent Bayly,coordinateur du SNES à Saint Martin et enseignant au LPO des îles du Nord,afin de tenter d’analyser et de comprendre les difficultés rencontrées aujourd’hui sur notre île par l’ensemble du corps enseignant.
Quelle est la situation actuelle de l’enseignement à Saint Martin?
Si l’on prend les résultats au brevet (en fin de scolarité obligatoire),les collèges de Saint martin sont très en dessous de la moyenne nationale:42,5 % pour le collège Soualiga,43 % pour le collège du Mont des Accords,48,9 % pour celui de Quartier d’Orléans.La moyenne nationale étant à 82,6 %,on peut donc parler de situation d’échec massif.Les violences qui ont touchent les établissements,comme le collège du Mont des Accords la semaine dernière,tiennent en partie à cet échec.Les principales victimes sont les jeunes eux-mêmes.On peut parler de génération sacrifiée.
Selon vous, les réformes engagées au niveau national ont elles les mêmes conséquences au niveau local?
C’est précisément au niveau local qu’on mesure l’ampleur de la catastrophe.Certaines classes de CP comptent 28 élèves,dont une majorité n’est pas francophone.Le ministre a beau dire que la qualité de l’enseignement n’est pas affectée,sur le terrain on constate des classes de plus en plus nombreuses avec de moins en moins d’enseignants,notamment pour assurer le remplacement des absences.Si l’évolution démographique de Saint Martin interdit les suppressions de postes massives,comme en Guadeloupe ou dans les académies de l’hexagone,on ne crée pas le nombre de postes nécessaires pour enseigner en groupes réduits,mettre en place des dispositifs pour remédier aux difficultés des élèves,assurer les remplacements…De plus le nombre de personnels non enseignants est également insuffisant.Pas assez de surveillants et de CPE pour encadrer les élèves,pas assez d’infirmiers ou d’infirmières,de médecins scolaires pour assurer le suivi sanitaire…Nous établissons un lien direct entre l’échec scolaire,les violences et le manque de moyens humains.À Saint Martin,le taux d’adultes par élèves est 30 à 40 % inférieur à ce que l’on peut trouver dans les académies de l’hexagone.
Les spécificités de l’île sont elles prises en compte par l’académie?
En aucune façon,malheureusement.Les réformes successives ont vidé le classement ZEP de tout moyens supplémentaires…Le rectorat,les chefs d’établissements de l’époque n’ont pas jugé nécessaire d’intégrer les établissements de Saint Martin aux niveaux des dispositifs(Réseau Ambition Réussite,CLAIR).Il y a eu des renoncements lourds de conséquences.Les critères d’effectifs/classe sont les mêmes que dans l’hexagone.On peut remplir une seconde jusqu’à 32 élèves,une première et une terminale jusqu’à 35 alors que beaucoup de nos élèves sont en difficulté sociale,ne sont pas francophones…On se rapproche dangereusement de ce maximum cette année en terminales ES et STG,ce sera le cas l’an prochain en seconde générale et en première.Il est impossible,dans ces conditions,d’adapter notre enseignement aux plus faibles.Nous réclamons 25 élèves par classe maximum en collège,30 au Lycée général.
Les dispositions prises afin d’encourager la mobilité vers Saint Martin sont elles toujours d’actualité?
Il existe une indemnité destinée à compenser l’éloignement et le coût de l’installation,l’IPSI (Indemnité Particulière de Sujétion et d’Installation),versée aux fonctionnaires mutés à Saint Martin depuis 2001.Loin d’être la solution idéale,elle n’en a pas moins permis d’atténuer le “turn-over” dans les établissements.Cette indemnité,le Premier Ministre ne l’a prolongée que jusqu’au 30 juin 2011.En clair cela signifie qu’il va être financièrement très difficile à des enseignants,souvent en début de carrière,de s’installer ici à partir de septembre.Nous prévoyons un déficit de candidatures.Un grand nombre de départs ne seront pas compensés par des arrivées.Recrutons localement me direz vous?Le nombre de contractuels est déjà insuffisant…Pensez que sur une île anglophone,on ne trouve pas de remplaçants pour des enseignants d’anglais,malheureusement malades pour plusieurs semaines…Tous sont déjà affectés.Alors imaginez en lettres,en philosophie,en histoire géographie…La rentrée prochaine risque d’être difficile avec un grand nombre de classes sans professeurs.Nous demandons une vraie réflexion sur l’attractivité de Saint Martin.Nous avons déjà fait des propositions concrètes et constructives à tous les niveaux.
Existe t-il sur notre île une politique et une vision à long terme de l’enseignement?
La COM,il faut le reconnaitre,à dépensé plus d’un million d’euros ces deux dernières années pour la mise aux normes des locaux ou pour l’équipement.Elle a ainsi répondu à nos revendications de 2009,en partie seulement car les travaux avancent très lentement.Cependant l’argent est très mal dépensé, faute de consultation préalable des usagers.Pensez que dans un bâtiment du lycée,récemment rénové,certaines fenêtres ne s’ouvrent pas.Le bâtiment est certes aux normes,mais on y étouffe à certaines heures de la journée..Nous demandons que les représentants des enseignants,des parents d’élèves,bref les citoyens participent à la prise de décision.Voilà une des clefs d’une politique durable de l’éducation.Une cité scolaire doit s’ouvrir à La Savane pour la rentrée 2012.Le Lycée est prévu pour accueillir 600 élèves alors que ce chiffre sera déjà certainement dépassé en 2011…
Nous demandons également que soit développé un enseignement innovant qui prenne en compte le multilinguisme des élèves dès le plus jeune âge…Cela existe au collège et au lycée grâce à la ténacité de quelques enseignants.C’est le calme plat en primaire malgré les demandes des enseignants.Cela explique en grande partie le très faible niveau des élèves à l’entrée en sixième.Les enseignants doivent être formés à appréhender des élèves anglophones,hispanophones,créolophones.Il faut également des enseignements en petits groupes afin de transmettre les bases en français et mathématiques à ceux qui n’arrivent pas à les acquérir.Enfin,il n’y a aucune volonté de développer les enseignements artistiques et sportifs.Cela réclame des moyens mais surtout une réelle ambition…Aujourd’hui,et depuis trop longtemps,le rectorat gère les flux et navigue à vue…Posez vous la question:négliger l’éducation aujourd’hui,combien cela coûtera t-il à la société de demain?
N’hésitez pas nous faire parvenir votre avis sur ces questions et sur ces réponses afin d’enrichir un débat citoyen qui nous concerne tous.
Laurent