Le numéro 314 de Saint Barth Magazine est paru ce jour et offre à ses lecteurs une interview du Président de la Collectivité sur les questions politiques et d’actualité locale.
En voici le contenu :
St-Barth Mag : Les cotisations sociales perçues par l’Etat sont bien supérieures aux dépenses de la sécurité sociale pour St Barthélemy. Une réflexion s’était engagée en 2010 quant à la possibilité pour l’île de créer son propre organisme de sécurité sociale. Qu’en est-il aujourd’hui?
B. Magras : Au vu du rapport de l’ORSAG publié en 2011, on s’aperçoit que la Caisse Générale de Sécurité Sociale de la Guadeloupe a engrangé à St Barthélemy, un bénéfice net de plus de 20 millions d’euros, alors que notre Hôpital local rencontre des difficultés pour boucler son budget ! Nous savons d’ores et déjà que le budget de fonctionnement de l’EHPAD sera lui, aussi tributaire des aides financières de la Collectivité, dès lors, la question se pose de savoir si la situation actuelle est satisfaisante ou pas, et quels sont les changements auxquels nous devrions réfléchir. Créer notre propre Caisse de Sécurité Sociale n’est pas une absurdité, bien au contraire. Actuellement l’économie de l’île se porte bien et les dépenses sociales sont maîtrisées, mais il y a des facteurs tels que le vieillissement de la population qui ne doivent pas être négligés. En tout cas l’analyse mérite d’être approfondie.. Selon ses propres déclarations, le Ministre des Outre-Mer souhaite améliorer la loi organique. Si cela se confirme, il faudra en profiter pour revoir ce qui doit être revu et corrigé, et s’il y a lieu, obtenir des avancées dans les domaines de compétences que nous n’avons pas pour l’instant.
St-Barth Mag : La loi pour le mariage pour tous a été promulguée. Quelle est la politique de la Collectivité sur le sujet? Allez-vous officier à l’occasion de la première union du genre, à St Barthélemy?
B. Magras : Dans cette affaire, chacun a sa philosophie. J’étais et je reste opposé au mariage pour tous et je ne compte pas changer d’avis. Mais la loi a été adoptée, nous avons obligation de la respecter. Par conséquent il y aura probablement des mariages homosexuels, mais je ne serai pas l’Officier de l’Etat Civil en fonction.
St-Barth Mag : Dernièrement, l’un des distributeurs de la Bred a fait l’objet d’une tentative de casse. Pensez-vous que la sécurité, atout majeur de l’île, puisse à terme être remise en cause ? Quelles sont les solutions?
B. Magras : Il ne faut pas se faire d’illusion. Lorsqu’une population passe de 3000 habitants en 1980 à 9000 en 2012, les retombées d’une telle évolution ne sont jamais à 100% positives. Même parmi les originaires de St Barthélemy, il y a des dérives. L’arrivée sur l’île de gens ayant des comportements bien à eux, y est pour quelque chose : “”What Monkey see, Monkey do”. Mais il n’est pas trop tard pour agir. Les socio-professionnels doivent prendre leurs responsabilités. Le fait de recruter n’importe qui sans demander d’extrait de casier judiciaire, d’embaucher des gens au mois de novembre pour les mettre à la rue fin avril, la méthode qui consiste à faire venir de St Martin, des étrangers qui ont une carte de séjour délivrée pour la Collectivité de Saint-Martin et qui par conséquent, ne sont pas autorisés à travailler à St Barthélemy, la manoeuvre qui vise à encourager ces étrangers à faire faire leur carte de séjour à St Barthélemy pour obtenir un permis de travail, sans se soucier des conséquences d’un éventuel regroupement familial, auquel s’ajoute la distribution des subsides de la grande générosité française, sont autant de facteurs qui malheureusement contribuent et contribueront progressivement à la déstabilisation sociale de notre île si nous n’y prenons garde. J’ajoute, que sur le territoire français, c’est l’Etat qui est responsable de la sécurité des personnes et des biens. Or, nous ne cessons de réclamer une augmentation des effectifs de la gendarmerie, sans résultats. De notre côté, nous continuerons bien évidemment à faire de notre mieux pour lutter contre ces écarts néfastes.
St-Barth Mag : Concernant la DGC, cette épée de Damoclès, où en sommes-nous aujourd’hui ?
B. Magras : Hélas, nous ne sommes pas au bout de nos peines. En effet, malgré les multiples courriers, les entretiens que nous avons eus et les propositions que nous avons formulées, depuis 2008, les Gouvernements successifs sont tous restés sourds… Pire, dès sa prise de fonction, pour éviter la déchéance quadriennale, notre Ministre des Outre-Mer s’est empressé de donner ordre au Préfet de la Guadeloupe, d’émettre les titres de perception qui jusqu’alors, n’avaient jamais été émis. Ce sont donc cinq titres que nous avons reçus pour un montant supérieur à 22 millions d’euros. Un recours gracieux a été adressé à la DRFIP. Il a été rejeté. La procédure suivra son cours devant le tribunal administratif puis en conseil d’Etat. Néanmoins, pour des raisons de bonne gestion, les sommes qui nous sont réclamées par l’Etat seront provisionnées dans l’attente de la décision finale. Actuellement, l’Etat collecte à Saint-Barthélemy, l’impôt des non-résidents fiscaux, l’impôt des résidents ayant des revenus en Métropole et dans les DOM, il prélève la CSG, la CRDS, sur les revenus du travail, du capital ainsi que sur les transactions immobilières. Parallèlement, il nous réclame une Dotation Globale de Compensation annuelle de 5.7 millions d’euros, actualisée d’année en année. Manifestement, le Gouvernement a décidé d’asphyxier la Collectivité de Saint-Barthélemy et de mettre à genoux les entreprises de l’île. Même le fonctionnement de l’EHPAD sera compromis si nous ne trouvons pas une solution acceptable. Face à cette situation, il y a, c’est évident, une réflexion à mener sur l’éventualité d’aller plus en avant dans une forme d’autonomie qui nous permettrait d’assumer de nouvelles compétences en matière de droit social, de droit du travail ainsi que dans tous les domaines qui conditionnent aujourd’hui la survie économique de l’île. Mais soyons précis, rien ne pourra se faire sans une large information et une forte adhésion de la population.
St-Barth Mag : dont 2.9 millions pour la Guadeloupe…
B. Magras : En effet, sur les 5.7 millions de la DGC, 2.9 millions servent à abonder la dotation de décentralisation de la Guadeloupe. Autrement dit, les habitants de Saint-Barthélemy sont condamnés à payer deux fois. En effet, non seulement ils doivent compenser au budget de la Collectivité, le montant des aides financières qui provenaient du Département et de la Région lorsque que l’île était Commune de la Guadeloupe, mais ils sont aussi condamnés à abonder la Dotation Globale de Décentralisation de la Guadeloupe. C’est la manière astucieuse qu’a trouvé l’Etat pour compenser la baisse de ses dotations qui auraient dû intervenir suite au détachement d’une partie de la population de la Guadeloupe. Même si cette manoeuvre devait être conforme au droit, elle est moralement malhonnête.
St-Barth Mag : Est-ce que vous pensez comme beaucoup, que la DGC est une manière déguisée de la part de l’Etat, de prélever l’impôt sur les revenus ?
B. Magras : C’est surtout une atteinte à l’autonomie fiscale d’une Collectivité régie par l’Article 74 de la Constitution. Une Question Prioritaire de Constitutionnalité devra être posée sur ce point.
St-Barth Mag : Le marché U va être aggrandi, passant de 800 m2 à 1795 m2. Selon vous, ce projet signifiera-t-il le déclin des supérettes de l’île ?
B. Magras : Certains le craignent et leur crainte est légitime. On ne peut pas exclure le risque, qu’à terme, ce projet mette en difficulté certains petits commerces. Ceci étant, par rapport aux premières esquisses, le projet a été revu à la baisse. Les arguments mis en avant par les porteurs du projet, reposent sur le niveau croissant de la fréquentation du magasin actuel, sur le respect des normes en matière de sécurité, ( largeur des couloirs de circulation, hygiène et conservation des produits etc…) Parallèlement, il y a une démarche commerciale visant à diversifier les produits afin que les consommateurs aient un plus grand choix et ne soient pas condamnés à acheter uniquement des produits U. A deux reprises, la Commission Territoriale d’Aménagement Commercial, présidée de droit par le Préfet, s’est réunie et a rejeté les dossiers qui lui ont été présentés. Un nouveau projet, conçu par un architecte local, avec des surfaces revues à la baisse, une intégration dans le site plus adaptée aux contraintes environnementales a été soumis à l’analyse de la CTAC qui s’est réunie le vendredi 2 août. Celle-ci a émis majoritairement un avis favorable. La Direction Régionale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, qui a été consultée, a aussi émis un avis favorable. Vous comprendrez qu’il arrive un moment où les élus ne peuvent pas se contenter de faire de l’obstruction systématique. Enfin, j’ajoute que même si derrière ce projet, se trouve le puissant mécanisme de la grande distribution, nous sommes face à un investissement porté par une famille métropolitaine récemment installée à Saint-Barthélemy. Je ne crois pas que celle-ci puisse prendre le risque de déstabiliser la paix sociale d’une île où elle a choisi de s’installer. D’ailleurs le sujet a été abordé et des engagements très clairs ont été pris en ce sens, par les promoteurs du projet. Pour ma part, je n’ai pas pour habitude de faire de procès d’intention à quiconque.. Néanmoins, nous serons très vigilants, lors de l’instruction du dossier de permis de construire.
St-Barth Mag : Votre chef de cabinet, C. Beaupère, quitte St Barthélemy pour d’autres fonctions en octobre prochain. Pourquoi un départ en cours de mandat ? Qui sera son successeur ?
B. Magras : Je n’ai pas de successeur prévu, donc pas de nom et pas de décision pour l’instant. Christophe Beaupère est un garçon particulièrement efficace, loyal, et très honnêtement, je regrette de le perdre. Ses obligations familiales l’emmènent ailleurs. Parallèlement, sa jeunesse, ses ambitions comme ses compétences indéniables lui promettent un bel avenir. Il manquera également à la fédération UMP de St Barthélemy pour laquelle, par son abnégation et son travail, il représentait la pièce maitresse.
St-Barth Mag : Vous exprimiez votre lassitude de la politique en 2012. Récemment, vous avez quitté la tête de la fédération UMP à St Barthélemy. En toute sincérité, allez-vous terminer votre mandat ?
B. Magras : Je me pose la même question. Je m’aperçois de plus en plus, qu’être Président de la Collectivité, confère moins de droits. Quelle que soit l’honnêteté des décisions que l’on prend, il y a soupçon. D’ailleurs certains développent même leur fond de commerce en mettant en avant de soi-disant “Conflits d’intérêt” ! Tout cela devient terriblement fatigant. Par ailleurs, il y a le fameux projet de loi sur la transparence qui accrédite l’idée que tous les responsables politiques sont des corrompus en puissance, tous des “Cahuzac” ! Un nouveau métier sera même créé : les “lanceurs d’alerte” ! Depuis 2007, je déclare mon patrimoine à la Commission pour la transparence financière de la vie politique. Que les élus aient l’obligation de faire une déclaration de patrimoine à leur entrée en fonction et une à la sortie, cela me paraît naturel. Qu’il y ait une Haute Autorité, qui puisse vérifier et contrôler les conditions d’un éventuel enrichissement en cours de mandat, c’est indispensable. Par contre, même si je n’ai rien à cacher, je n’adhère pas à la démarche qui consiste à voir publier mon patrimoine parce que je suis Président de la Collectivité. Comme tout un chacun, j’ai aussi droit à ma vie privée.
St-Barth Mag : Concrètement, si la loi sur la transparence (en matière de biens et de patrimoine) devait s’appliquer à St Barthélemy, vous pourriez démissionner?
B. Magras : J’attends de voir le contenu de la loi. Après son adoption en dernière lecture, je prendrai ma décision. Mais contrairement au bruit qui circule, je n’ai pas l’intention de faire de grandes annonces le 24 août.
St-Barth Mag : Si votre départ, comme on vient de l’évoquer, se concrétisait, y aurait-il des élections anticipées? Quelle serait l’alternative ?
B. Magras : Si je décidais de partir, il y aurait une élection interne au sein du Conseil Territorial pour élire un Président et un nouveau Conseil exécutif. Le renouvellement général du Conseil Territorial interviendra quant à lui, en 2017.
St-Barth Mag : Voyez-vous quelqu’un qui serait capable de prendre les rennes ?
B. Magras : Bien évidemment qu’il y a d’autres élus capables de prendre la relève. Chacun apportera sa touche personnelle, c’est tout.
St-Barth Mag : Sur une vision à long terme, comment imaginez- vous l’avenir de St Barthélemy ?
B. Magras : Tout dépend des décisions qui seront prises. St Barthélemy a de beaux jours devant elle, si on arrive à sauvegarder les critères sur lesquels repose aujourd’hui, sa notoriété. On a parlé de la securité des personnes et des biens. Il faut aussi que les socio-professionnels prennent conscience de la nécessité absolue de maintenir la stabilité sociale. En aidant à la formation des jeunes (en partenariat avec la CEM), en créant des emplois stables et correctement rémunérés. Il faudra surtout ne pas tomber dans le piège d’un sur-développement. C’est égoïste de s’exprimer ainsi, mais Saint-Barthélemy a été protégée par le passé, parce que l’île était difficile d’accès, que le coût de la vie était plus élevé qu’ailleurs, que l’urbanisme a été harmonieusement conçu et maîtrisé, et que dans son ensemble, la population a tiré profit du développement économique, d’où la bonne stabilité sociale de l’île. Si on y ajoute la propreté, la gastronomie française et la sécurité des personnes et des biens, nous avons fait le tour de ce qui justifie aujourd’hui son succès. Chacun doit prendre conscience des enjeux et assumer ses responsabilités, car de nombreuses autres îles font des efforts et représentent de réels concurrents. L’avenir est dans l’action !
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