Saint-Martin : le mouvement social à venir peut-il devenir une réalité dure pour une finalité positive ?

Igor Rembotte
Par Igor Rembotte 18 Sep 2013 11:25

Saint-Martin : le mouvement social à venir peut-il devenir une réalité dure pour une finalité positive ?

180913-BTPAucun trouble social réel n’est venu perturber l’artificielle quiétude de Saint-Martin depuis 2000. Quelques marches blanches, une ou deux opérations escargot, quelques grévounettes à la CTOS et un Président Gumbs pris d’un doux assaut dans son bureau… Et pourtant, nous savons tous et la Préfecture en premier lieu, que nous sommes sur un territoire à la capacité explosive évidente.

Comme ils nous l’indiquent clairement dans leur communiqué de presse, les professionnels du BTP n’ont plus de recours face à leurs problèmes qui en fait dépassent largement le strict cadre de leur activité et ont la dimension de notre jeune Collectivité.

Depuis le début de leur action d’information, de sensibilisation, ils réfrènent certains artisans, certains entrepreneurs qui sont aujourd’hui dans une telle situation qu’ils étaient déjà prêts il y a trois ans à passer à des actions plus démonstratives que celles qui consistent à se réincarner en limaces sur des routes qui sont empruntées par un public qui n’est pas forcément la cible des revendications, et qui subit déjà en ce moment les conséquences de travaux divers.

Face à l’appel des professionnels du BTP adressé à la population dans son ensemble pour un ultime conciliabule à la CCISM ce jeudi à 18h, il est une réaction assez commune : beaucoup aimeraient encore croire que quelque chose va émerger de cette réunion, mais beaucoup plus encore estiment que rien ne sortira de tout cela et que ces professionnels se feront “endormir” par une petite promesse leur garantissant une petite vie à court terme… en l’occurrence il pourrait bien s’agir d’une relance par la Semsamar des travaux liés aux 142 logement au dessus de l’hôpital.


Quels écueils rencontrent l’association du BTP pour fédérer efficacement ?

– La culture et les mentalités –

La population saint-martinoise est historiquement pacifiste et résiliente. Peu de peuples peuvent en effet se targuer d’avoir réussi plus de deux siècles de coexistence appuyée sur les quelques lignes du traité de Concordia (qui attend toujours sa réactualisation, en passant). Le constat de la gravité de la situation et de la carence d’issues est largement partagé. L’heure sera-t-elle jugée suffisamment grave pour dépasser l’attentisme et la passivité ambiants ?

– Les égos –

La société Saint-Martinoise est devenue à ce point complexe, certains diront moderne, que la portance de la grogne sera revendiquée par tous les opportunistes, déstabilisant l’édifice que tente de construire l’association du BTP autour de la cause saint-martinoise. Dans un contexte mondial où l’on assiste bien à la fin d’un système, l’évolution statutaire n’était-elle pas l’occasion inespérée d’une refondation sociétale ?

– Le corporatisme –

La capacité d’élévation de chaque corps de métier ne permettra sans doute pas d’intégrer le fait que la cause est commune et jeudi soir, nous ne manquerons pas d’assister à des interventions du type “vous faites ça pour vous, et Nous alors ? ”.

Qu’on le veuille ou non, un mouvement dur s’appuie sur des hommes et des matériels… et il faut bien admettre que sans leur appui, nous assisterons à une manifestation de Hyundaï tout juste à même de bloquer des abris bus.

Les professionnels du BTP vont devoir réussir le tour de force de fédérer ceux qui ne le sont pas, de trouver le soutien des transporteurs, des pêcheurs, des parents d’élève, des chômeurs, des mal-payés, des travailleurs à qui il ne reste que le black, de la population…

– Le communautarisme –

Sans vouloir démesurément encenser l’association du BTP, nous devons lui reconnaître qu’elle affiche une image de mixité qui malheureusement se raréfie à Saint-Martin alors même que ce devrait être une des principales richesses de l’île. Il leur reste alors à espérer que toutes les composantes de la société saint-martinoise se sentiront suffisamment concernées et représentées pour se retrouver dans cette opération de la dernière chance, que cette dernière saura dépasser les clivages et les replis sur soi auxquels l’on assiste de plus en plus.

– L’absence de vision ou l’absence de communication autour de l’après –

Il va surtout falloir qu’ils soient à même de répondre à une simple question : bloquer oui… mais après ? Car l’attente de ceux qui n’ont plus suffisamment de travail et de revenus pour se maintenir, et de ceux qui refusent de voir l’île nivelée par le bas est là : que faire ensuite, comment capter les subsides des quelques marchés existants, comment assumer les éventuels projets privés avec les compétences locales tout en étant compétitifs ? Comment créer le sursaut qui débloquera la situation que tous disent désespérée et inexorable ?

– L’insécurité et la violence –

Comment garantir à un mouvement d’ampleur une absence de dérive sur un territoire où les témoignages de violence sont légions, où les armes à feu échappent au contrôle, ou l’on meurt pour une cigarette ? Si les médias nationaux soulèvent en ce moment que le territoire leader en terme de criminalité est la Guadeloupe, c’est qu’ils n’ont toujours pas décidé de porter le regard sur Saint-Martin, le déplacement de Manuel Valls, Ministre de l’Intérieur, les incitera peut être à user des leviers qu’ils sont à l’échelle nationale pour que nous sortions enfin de l’ornière dans laquelle nous nous enfonçons dans le plus grand silence.


Les professionnels du BTP, qui historiquement ont pu se livrer à une âpre concurrence lorsque l’argent était là, ont déjà apporté une part de la réponse en se structurant et en se constituant en association. Ils sont aussi aujourd’hui à même pour faire face “aux grands groupes venus d’ailleurs” de répondre ensemble à certains marchés publics pour que l’argent public investi localement enrichisse effectivement un territoire qui ne peut plus s’en passer. Face à l’adversité, le rassemblement reste la réponse la plus efficace, à condition de partager la cause …

Puisqu’il faut appeler un chat un chat, les premiers concernés devraient être les saint-martinois dont la culture disparaît peu à peu (faut-il évoquer ici l’absence totale de manifestation dans le cadre des journées du patrimoine ????), dont la capacité à travailler chez eux diminue au quotidien depuis que des territoires périphériques ont jeté leur dévolu sur Saint-Martin et depuis une évolution statutaire qui tourne à la grande arnaque en terme de trésorerie et de moyens concédés dans l’accompagnement.

Didier Lake résumait récemment très bien le principal écueil que rencontrerait une manifestation locale sans précédent : “Pensez-vous qu’une entreprise Saint-Martinoise puisse remporter un marché en Guadeloupe ?”

La réponse est évidemment NON car l’unité des Guadeloupéens face à ce qu’ils peuvent considérer comme une agression est réelle. La principale difficulté d’une manifestation locale est donc là : la population Saint-Martinoise n’est pas soudée alors que sur un caillou aussi exigü que le notre, ce serait une clef majeure pour que nous soyions entendus.

L’unité présente un autre avantage majeur : la dilution de responsabilités. Car ce qui inquiète l’état, c’est le trouble à l’ordre public et il faut bien avouer qu’en cas de grand mouvement social, surtout sur ce qui constitue un cul de sac géographique, les dérapages éventuels donneront lieu à une recherche de responsabilité et à des sanctions judiciaires.

Sans unité et sans un mouvement de toute la population, la prise de risque ne sera pas assumée par cette poignée d’hommes qui depuis trois ans s’arme de patience et privilégie le dialogue.

Enfin, un autre mouvement est en train de prendre corps sous l’impulsion du truculent Jacques Hamlet qui organise pour le 11 novembre, Saint-Martin’s Day prochain une grande marche qui trouve ses fondements dans des motivations très proches de celles des entrepreneurs : “Nous avons choisi une forme d’indépendance parce que nous ne sommes pas la Guadeloupe et nous ne sommes pas la France (ndlr : ce qui ne signifie pas que nous ne sommes pas français), si cette évolution statutaire n’est pas assumée par la France et la Guadeloupe alors nous sommes tombés dans un piège. Le 74 dans ces conditions, ça ne marche pas.”

Les semaines et mois à venir seront donc mouvementés.

Face à ces vélléités de changement qui émanent de sources différentes et qui n’ont pas été apaisées par les résultats électoraux façon jeux du cirque (entendez par là que les jeux avaient une certaine propension à garder le peuple calme et à museler ses revendications), la rédaction se pose une question : comment 40 000 résidents saint-martinois ne seraient-ils pas prêts à vivre quelques moments durs dans la solidarité et pour un avenir meilleur alors que ces mêmes personnes sont prêtes chaque année à affronter ensemble un cyclone éventuel et partagent un attachement vrai, quelque soit son origine, pour Saint-Martin ?

Ailleurs, des hommes et des femmes osent se mettre en première ligne pour revendiquer le droit de vivre décemment, un cordon d’élus responsables au premier rang qui mettent dans le bras de fer tout le poids de leur fonction… Alors, Saint-Martin plus qu’ailleurs ?

Igor Rembotte
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