Acte II
Mais qu’est-ce qui au delà du procès lui-même sera jugé et quelles sont les implications potentielles ? UN SYSTEME
Cela fait maintenant plusieurs mois que la pression imposée sur le système saint-martinois est une réalité, tel que l’ont dénoncé les leaders du groupe RRR dans un courrier au Ministre Valls récemment. On peut décemment estimer que tout cela a commencé avec les soucis qu’ont rencontrés les services de l’urbanisme, ce qui peut paraître hérétique à certains dans la mesure où nous disposons de la compétence en la matière (bien qu’elle n’ait pas encore été mise pleinement en oeuvre à ce jour).
[sws_pullquote_left]Une pression judiciaire croissante depuis l’évolution statutaire qui devait régulariser nos spécificités [/sws_pullquote_left] Le choix de l’évolution statutaire a été dicté par une volonté de meilleure maîtrise du développement de Saint-Martin par sa population en conformité avec ses spécificités, sa culture, son histoire, mais également par le constat qu’un tel développement ne pourrait se faire sans un cadre que ni l’Etat, ni la Guadeloupe n’ont su ou pu poser.
Au-delà du caractère inédit d’une telle évolution au sein de la République qui porte nécessairement les regards sur notre territoire, vouloir intégrer un système impose de se plier aux règles de celui-ci. Est-il dès lors étonnant qu’en ayant fondé l’argumentaire de l’évolution sur la nécessité d’exister pleinement, de pouvoir écrire nos propres règles en l’absence de règles adaptées existantes, la porte ait été en même temps ouverte à une attention particulière de la part de ceux à qui l’on a démontré que leur absence avait nui au développement de l’île ?
Et c’est ainsi que depuis 2008, les chroniques judiciaires ont été localement largement alimentées tandis que plusieurs chantiers, investissements, ou même simples actes “administratifs” ont été stoppés net dans leur envol autonomiste : villas de Terres Basses, le Shore, le BEA, l’affaire Guichard, la Belle Créole, les grands projets “du Soleil”, l’aménagement du front de mer, le port & Co.
Ces coups d’arrêt représentent évidement une perte financière mais ils neutralisent aussi le développement qui aurait du s’appuyer sur les nouvelles compétences acquises.
[sws_pullquote_left] Un fonctionnement “à la saint-martinoise” qui hérite forcément d’une part de non-droit, réminiscence du passé, porte ouverte à beaucoup de dérives potentielles qui a le don de hérisser la République et l’administration [/sws_pullquote_left] L’absence historique de représentation de l’Etat sur le territoire, l’appartenance à une Guadeloupe si lointaine et notre spécificité ne serait-ce que géographique ont contribué à l’instauration d’une part de non-droit, de petits (ou grands) arrangements qui s’ils étaient supportables à une échelle démographique mineure posent aujourd’hui les 40 000 habitants de Saint-Martin comme contrevenants potentiels aux yeux de la loi, à plus ou moins grande échelle.
A titre d’exemple très anecdotique, klaxonner voir s’arrêter au milieu de la chaussée pour se saluer reste une habitude bien ancrée, y compris par ceux qui représentent un certain ordre, alors que cet usage est une infraction au code de la route sanctionnable par une amende. Dans le même ordre d’idée, il y a dix ans encore, il ne serait venu à l’esprit d’aucun gendarme de vous arrêter pour un défaut de port de ceinture que personne ne mettait.
Sur un autre plan, comment prétendre par exemple à un marché public sans être au moins en conformité fiscalo-administrative avec les requis, même ceux imposés par des lois nationales inadaptées au territoire ?
De manière plus conséquente, ne pas payer d’impôts, occuper des lieux, voire construire, en se passant des documents et formalités obligatoires sont autant d’exemples de dérives héritées de la vacuité juridique historique mais qu’il va bien falloir corriger aujourd’hui, en tous cas pour tous ceux qui souhaitent participer au développement.
Mais il ne faut pas se leurrer, la grande campagne de lavage du linge sale en famille risque de voir des cousins très éloignés apparaître dans certains dossiers qui de fait pourraient bien se retrouver enterrés… Les grandes libertés saint-martinoises n’ont certainement pas bénéficié qu’aux “pirates de saint-martinois”.
[sws_pullquote_left]Une volonté réelle et partagée d’instaurer un retour à l’expression du droit républicain sur le territoire de Saint-Martin mais des rythmes, avec des méthodes et une appréhension de la réalité géopolitique différents. [/sws_pullquote_left] Il ne s’agit bien évidemment pas ici d’expliquer que notre évolution statutaire est la cause de tous nos maux et l’unique raison pour laquelle la machine judiciaire resserre son étau, loin de là… Il s’agit plutôt de démontrer à quel point une volonté partagée d’instaurer un retour à l’expression du droit républicain sur le territoire de Saint-Martin, pour des motivations de développement d’un côté, et d’intégration de l’autre, s’exprime de manière si opposée que ses conséquences factuelles sont mal vécues de part et d’autre.
En effet, le fonctionnaire ou l’autorité qui arrive de métropole ou d’ailleurs, avec des références systémiques naturellement intégrées, ne peut que constater l’inadéquation du territoire avec la loi française (et on vous passe les contraintes européennes) et à juste titre dévouer sa fonction au rétablissement du droit, en particulier dans un contexte national où la moralisation et la transparence sont les mots d’ordre.
Mais ce dévouement, parfois ce zèle, viennent naturellement à l’encontre de ceux qui vivent depuis toujours sur un territoire traditionnellement boudé par la France et qui ont osé la responsabilité en 2003 en pensant sauvegarder une façon de vivre par la capacité à légiférer “at home” pour finalement vivre une pression plus vive que par le passé.
Si l’on voulait caricaturer, on vous peindrait ici des justiciers, yeux bandés à l’instar de Thémis, drapés d’une cape tricolore déterminés à planter le glaive de la justice sur un territoire dont ils ne peuvent, faute d’ancienneté, connaître la réalité historique et pour lequel leur intérêt est circonscrit à sa seule appartenance à la République Française, ou à une évolution de carrière. En face, des citoyens, des administratifs, des élus, des Hommes d’affaires … des bâtisseurs de bonne volonté, dont les outils sont lestés par le poids de l’histoire, le réalisme géopolitique et, admettons-le, les liens familiaux.
[sws_pullquote_left]Des méthodes de l’appareil judiciaire qui heurtent les sensibilités locales [/sws_pullquote_left] Ainsi, à volonté partagée et nécessité avérée, pourquoi Saint-Martin se sent aujourd’hui juridiquement harcelée tandis que la Loi estime qu’il est de son devoir de restaurer un droit indispensable sur ce territoire pas suffisamment porteur des valeurs républicaines ?
Un ami avocat lançait récemment une courte phrase : “Le droit, c’est la vie” ; localement, il monte une autre phrase amère : “Le droit français, c’est la mort du saint-martinois”.
Le retour au droit plein et entier reste localement une question de méthodes. Celles de l’appareil judiciaire heurtent évidemment les sensibilités locales au-delà de la nouveauté qu’elles représentent et pour toutes les raisons évoquées ci-dessus mais imposent aussi des compétences nouvelles qui ne se sont pas forgées au fil du temps.
De plus, sur un territoire tel que Saint-Martin, les interconnexions sont légion et les imbrications nombreuses ; le risque de faire écrouler tout le château en déplaçant une seule carte est permanent. D’autant que comme déjà mentionné, les espaces locaux ont aussi su bien souvent servir des causes bien plus vastes.
Glisser d’un système où le nom ou la fonction suffisaient a intimer le respect et incarnaient l’autorité à une société où la conscience s’élève dans un cadre plus ouvert, mais moins respectueux de ces héritages, ne peut se faire sans grincement de dents ni sans inquiétude ; surtout lorsque les représentants de la loi n’hésitent pas à agir de manière non différenciée quels que soient la cible et l’objet. Ainsi, avons-nous pu entendre le récit d’élus ayant partagé la cellule de toxicomanes, de fonctionnaires déférés menottes aux poignets, de perquisitions musclées et de saisies sans parcimonie …
Le procès de ce jour, et qui se poursuivra demain, viendra donc poser un précédent sur la façon dont le droit pourrait être réinstauré à Saint-Martin : en application stricte de codes parfaitement adaptés ailleurs mais faisant fi de notre histoire ou avec la bienveillance d’une mère patrie qui souhaite que son tout petit parvienne à parler et grandir malgré le manque d’attention consenti dans ses premières années d’existence.
Le choix de l’évolution statutaire ne répondait en rien à une volonté de développement à la française mais bien à une nécessité d’intégration des spécificités locales dans l’ensemble des lois républicaines pour sauvegarder un confort et un style de vie qui ne sont pas ceux du Vercors et qui participent des opportunités de développement de notre petite île dans son environnement.
Aussi, au regard , et en dépit, du caractère inexorable et obligatoire de la “mise en légalité” de Saint-Martin, l’urgence est plus qu’avérée pour la Collectivité d’incarner pleinement ses responsabilités, dans l’espace conféré, en s’attelant en particulier à l’élaboration des codes inscrits dans ses domaines de compétences pour pouvoir d’une part oeuvrer dans un cadre adapté et d’autre part élargir son domaine d’action le cas échéant en s’appuyant sur ses parlementaires ; tout comme il est plus qu’urgent que le territoire soit doté d’outils de statistiques comme d’expertise et de stratégie.
Paule Saint Onge n’a t-elle pas dit : “Comme on devient horriblement raisonnable lorsqu’on y est contraint” ?