Saint-Martin. 10 ans après le référendum : Dépendance, Indépendance, Interdépendance…
Dépendance, Indépendance ou Interdépendance ?
Cela fait aujourd’hui 10 ans que les électeurs de Saint-Martin ont répondu à une consultation populaire sur l’évolution statutaire, sur la base de l’article 74 de la Constitution.
Rappelons que cette soumission au régime de l’article 74 résulte d’une consultation populaire à l’initiative du Gouvernement français, le 7 décembre 2003, sur l’ensemble des Antilles. Alors que la Guadeloupe et la Martinique ont rejeté le projet de réforme institutionnelle préconisant la création d’une collectivité administrée par une assemblée unique se substituant aux départements et régions, régie par l’article 73 de la Constitution, (avec 72,98 % et 50,48% de “NON”), les deux îles de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, au contraire, avec respectivement 95,51 % et 76,17 % de “OUI”, ont choisi de devenir des Collectivités à part entière, régies par l’article 74. En réalité, si l’on tient compte du taux de participation des votants; les résultats étaient de 95,51%x 78,71% = 75,16% du total des inscrits pour Saint-Barthélemy et de 76,17% x 44,18% = 33,65 % du total des inscrits pour Saint-Martin.
Certes on pourrait mettre en cause la validité de la liste électorale (comprenant des personnes décédées, des doubles inscriptions ou des inscrits ayant quitté l’île définitivement), mais on ne peut que constater que l’article 74 n’a été voté que par un tiers des électeurs inscrits de Saint-Martin (et par les trois quarts des électeurs de Saint-Barthélemy).
La question qui était posée était la suivante : “Approuvez-vous le projet de création à Saint-Martin d’une collectivité d’outre-mer régie par l’article 74 de la Constitution, se substituant à la Commune, au Département et à la Région, et dont le statut sera défini par une loi organique qui détermineranotamment les compétences de la collectivité et les conditions dans lesquelles les lois et règlements y sont applicables ?” Autrement dit, l’Etat demandait aux électeurs de voter pour un cadre sans contenu, de parier sur l’inconnu !
En même temps, Saint-Martin étant commune de Guadeloupe, les électeurs devaient aussi répondre à la question du référendum concernant la Guadeloupe “Approuvez-vous le projet de création en Guadeloupe d’une collectivité territoriale régie par l’article 73 de la Constitution, et donc par le principe de l’identité législative avec possibilité d’adaptations, et se substituant au département et à la région dans les conditions prévues par cet article ?” Et, sur les conseils du Maire de la Commune, Albert Fleming, proche de Lucette Michaux-Chevry, les électeurs de Saint-Martin ont majoritairement répondu “NON” à cette deuxième question.
On pourrait, à juste titre, se poser la question du résultat du vote de Saint-Martin si, au lieu du choix de l’article 74, l’Etat lui avait proposé, comme en Guadeloupe, la création d’une Collectivité sur la base de l’article 73 avec possibilités d’adaptations, en garantissant son indépendance de la Guadeloupe…
Car en effet les électeurs de Saint-Martin n’ont pas tant voté pour le choix de l’article 74 que pour l’occasion donnée par ce référendum de pouvoir enfin devenir indépendants de la Guadeloupe.
Mais, dans les faits, en 2013, dix ans après ce référendum, Saint-Martin reste toujours dépendante de la Guadeloupe.
En effet, le Préfet de St-Barthélemy et de St-Martin n’est qu’un Préfet “délégué” qui dépend du Préfet ou de la Préfète de la Région Guadeloupe, alors que nous avons maintenant un Préfet “titularisé”.
Les décisions financières de l’Etat sont toujours prises en Guadeloupe, alors que la Préfecture de Saint-Martin pourrait saisir informatiquement et gérer localement les engagements et les crédits de paiement des subventions de l’Europe et de l’Etat.
Il en va de même pour les services juridiques, les organismes sociaux, les établissements bancaires, etc… qui restent inféodés à leurs directions implantées dans “l’île du sud”. Malgré les études engagées et les acquisitions foncières faites par la Collectivité, il n’y a toujours pas de RSMA, ni de Tribunal de Première Instance, ni de centre de détention, ni de nouvelle cité scolaire sur notre territoire.
La responsabilité de l’Etat sur la situation actuelle de notre Collectivité est manifeste, car, entre le référendum du 7 décembre 2003 et le 15 juillet 2007, date de naissance de notre Collectivité, il n’y a eu ni accompagnement ni assistance de l’Etat pour la formation des hommes. 90% des agents de la Collectivité sont de catégorie C et les agents de catégorie A se comptent sur les doigts des deux mains !
Comment a-t-on pu penser, en haut lieu, que l’on pouvait passer du jour au lendemain du stade de simple Commune à celui d’une Collectivité récupérant les compétences d’une Région, d’un Département et certaines compétences de l’Etat ? Il aurait fallu que celui-ci propose des formations dans d’autres collectivités et détache à Saint-Martin des “homologues” pour accompagner et former les agents de notre Collectivité dans les différents domaines de compétence, comme le fait actuellement le Gouvernement des Pays-Bas auprès des différents Ministères du “pays” de Sint-Maarten.
La dotation générale de compensation des transferts de charge n’a de “dotation” que le nom puisqu’elle est négative et représente une charge pour la nouvelle Collectivité. En attente d’une décision du Conseil d’Etat, depuis deux ans, les bases de calcul de cette dotation sont à revoir complètement car elles ne prennent pas en compte les transferts de charges de l’ex-commune, ni certains éléments qui permettaient jadis à la Commune de St-Martin d’équilibrer son budget, à savoir :
– la subvention de redistribution de l’octroi de mer,
– le coefficient K pour île sèche, qui permettait de réduire le coût de production et de distribution de l’eau potable produite par une usine de dessalement d’eau de mer
Les transferts de charge des nouvelles compétences transférées depuis le 1er avril 2012 (Urbanisme, construction, habitat, logement, d’une part, et énergie d’autre part) doivent aussi faire l’objet de la mise en place urgente d’une commission paritaire d’évaluation des transferts de compétence et de décrets d’application.
L’article 6345-3 de notre loi organique prévoit la création d’une commission paritaire pour élaborer un plan de rattrapage sur la rénovation et la construction d’équipements structurants visant à permettre notre développement économique. Mais depuis 2007, aucun décret n’a été signé pour la mise en place de cette commission et l’élaboration d’un plan de rattrapage structurel.
Signalons enfin que l’Etat n’a aucun objectif de performance à St-Martin, notamment dans l’assiette, le recouvrement et le contrôle de l’impôt, ce qui grève considérablement les ressources de la Collectivité.
Bref, tout montre que Saint-Martin, soeur siamoise de Sint-Maarten, reste toujours “abandonnée”, que notre Etat jacobin et centralisateur n’est pas enclin à vouloir “relever le défi” (pour reprendre les termes du Ministre de l’Intérieur) et que nous avons vraiment l’impression d’être considérés comme les “bâtards de la République française” !
Pourtant, Saint-Martin a de nombreux atouts qui pourraient faire d’elle une vitrine de la France et de l’Europe vis à vis du marché nord-américain et caribéen, voire, inversement, d’être pour de nombreuses sociétés américaines ou caribéennes le marche-pied d’une présence en France ou en Europe :
– notre nationalité française est bien antérieure à celle de l’Alsace, de la Savoie, de la Corse, de Nice, ou d’autres territoires de la République,
– nous sommes en Europe, mais en dehors du territoire douanier européen,
– nous sommes à la fois dans la zone Euro et dans la zone Dollar, du fait de notre situation géopolitique avec des liaisons aériennes directes et fréquentes vers l’Europe et l’Amérique du Nord
– nous sommes une île binationale (franco-hollandaise avec une frontière purement symbolique) qui pratique, comme en Europe, la libre circulation des biens et des personnes depuis 365 ans,
– nous sommes la seule collectivité anglophone de France
– notre population est cosmopolite, polyglotte, multiculturelle et regroupe plus d’une centaine de nationalités différentes,
– nous sommes reconnus et appréciés pour nos qualités d’accueil, d’ouverture et de tolérance (qui deviennent peut-être des défauts ?),
– nous sommes des citoyens du Monde, c’est à dire que nous ne considérons pas seulement comme français et européens, mais aussi comme américains (notre principale ressource, le tourisme, dépend à 75% du Canada et des Etats-Unis) et caribéens (cf. le nombre de naissance dans notre hôpital, le nombre d’enfants scolarisés et les îles voisines avec lesquelles nous avons de nombreux liens)
– notre jeunesse a de fortes potentialités. Dans le domaine sportif, par exemple, de jeunes athlètes saint martinois sont champions de France et retenus pour les prochains J.O.).
– etc.. etc..
En conclusion, 10 ans après le référendum du 7 décembre 2003, il devient indispensable que la Collectivité de Saint-Martin exige du Gouvenement une réunion interministérielle pour faire un état des lieux des conditions d’application de notre loi organique régie par cet article 74, et les renégocie pour mieux gérer ses interdépendances (avec la France, la Guadeloupe, Sint-Maarten et la Caraïbe) et relancer son développement socio-économique.
Faute de quoi, nous ne serons bientôt plus qu’une zone-dortoir de la partie hollandaise avec de très sérieux risques sécuritaires et d’explosion sociale, à très brève échéance.
Comme St-Pierre et Miquelon ou Mayotte, qui ont pu faire pression sur le Gouvernement français pour un changement de statut, pourquoi ne pas envisager nous aussi un nouveau référendum sur l’évolution statutaire de St-Martin, sur de nouvelles bases ?
René-Jean Duret,
Président du groupe majoritaire des élus RRR du Conseil Territorial