A cette occasion, Daniel Gibbs est intervenu en sa qualité de secrétaire territorial de l’UMP à Saint-Martin et Secrétaire national de l’UMP, pour évoquer les problématiques de Saint-Martin, et plus largement des territoires ultramarins.
Vous trouverez ci-dessous le texte de son intervention au cours de cette réunion.
Monsieur le Président,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de l’opportunité qui m’est offerte ce matin, d’aborder le volet « outremer », relatif à l’épineux sujet de l’immigration, sous toutes ses formes, sur lequel nous sommes amenés à travailler.
Un sujet complexe autant que sensible et qui préoccupe une très grande majorité de nos concitoyens et particulièrement de nos concitoyens ultramarins.
Je ne parlerai pas ici, du volet de l’immigration régulière outre-mer, pour concentrer plutôt mon intervention sur les 2 aspects majeurs que sont la question de l’asile, et celle de l’immigration irrégulière dans nos territoires ultramarins.
Et comme vous n’ignorez rien de la complexité et de la grande diversité de nos territoires outre-mer, je centraliserai principalement mon intervention, sur les situations particulières mais ô combien symptomatiques de Mayotte, de la Guyane et de Saint-Martin.
En outre-mer, comme dans l’Hexagone, le contrôle de l’immigration et l’assimilation républicaine en panne sont deux défis cruciaux que doit relever l’UMP.
Outre-mer, le sujet ne doit pas être pris à la légère : car la question de l’immigration illégale outre-mer, source de nombreuses tensions et d’exaspérations, est une question peut-être plus sensible encore qu’en métropole. C’est même un sujet majeur, qui a été trop négligé par les gouvernements successifs, malgré des avancées sur le plan de la répression votées sous la précédente législature. La reconquête des outre-mer passe par la prise en considération des problématiques spécifiques de ces territoires et la lutte contre l’immigration irrégulière est une question majeure.
Pour entrer plus dans le détail, j’aborderai tout d’abord la question du droit d’asile outre-mer.
Bien que peu médiatisée, la demande d’asile outre-mer était en 2010, la 3ème plus importante en France après celle de l’Île-de- France et de la région Rhône-Alpes, avec 2800 demandes de protection internationale.
En parcourant les pistes proposées dans notre document de travail, je voudrais tout d’abord revenir sur la proposition de création d’une « Agence de l’Asile ». Si je suis favorable à la création de cette nouvelle institution nécessaire, je voudrais simplement que l’on n’oublie pas de créer de véritables antennes, voire une entité à part entière, de cette agence en outre-mer, pour la zone Antilles, pour Mayotte et pour la Guyane. Car globalement, l’accès à la protection internationale est devenu en quelques années un sujet brûlant en outre-mer et la hausse croissante des demandes d’asile mettent à la peine les pouvoirs publics que ce soit dans le traitement des dossiers ou en termes de dispositifs d’accueil, très insuffisants…
Une autre proposition émanant de ce document de travail qui a retenu toute mon attention, est la création d’une « carte à puce Asile », qui vaudra pour toute la procédure, le versement des aides et l’autorisation de maintien sur le territoire et qui devra être actualisée en temps réel, sous peine de suspensions des versements des allocations.
Cette proposition me séduit d’autant plus, que j’ai proposé localement, à Saint-Martin, de mettre sur pied un système similaire pour les bénéficiaires de prestations sociales. Pourquoi ?
Parce que dans cette belle Collectivité d’outre-mer que j’ai l’honneur de représenter, et qui présente la particularité d’être séparée en 2 territoires foncièrement différents, les prestations sociales « s’envolent » majoritairement pour Haïti ou la République Dominicaine via la Western Union, ou sont dépensées dans les commerces de la partie hollandaise de l’île qui fonctionne en dollars et qui est donc plus concurrentielle. Cela représente une fuite de capitaux de plusieurs millions d’euros par an, qui pourraient profiter à l’économie de la partie française et cela permettrait d’avoir un contrôle sur ces prestations…
Un point rapide à présent sur la question cruciale de l’immigration clandestine dans les outre-mer.
Quelques chiffres d’abord : parmi les quatre centres de rétention administrative (CRA) outre-mer, il en existe un à Mayotte et un autre en Guyane et parmi les 6 locaux de rétention administrative (LRA) outre-mer, il y en a un en Guyane et un autre à Saint- Martin, qui sont gérés par la PAF.
Les territoires outre-mer sont les premiers confrontés au phénomène de l’immigration irrégulière. Le nombre d’expulsions chaque année équivaut à la moitié des expulsions réalisées sur l’ensemble du territoire national. Difficile de vous communiquer des chiffres fiables : le nombre de clandestins résidant dans les territoires ultramarins ne fait l’objet que d’estimations car pouvoirs publics n’ont pas d’outils statistiques crédibles.
Si j’ai pris les cas symptomatiques de Mayotte, de la Guyane et de Saint-Martin, c’est parce que la problématique de l’immigration irrégulière y est particulièrement délicate. On estime ainsi que plus d’un quart de la population de Mayotte, de Saint-Martin, de Guyane serait ainsi en situation irrégulière.
Un phénomène qui s’explique par la situation géographie, historique, culturelle et économique de ces territoires situés hors de l’espace Schengen.
Ainsi, pour rappel, la Guyane, dont l’attractivité repose en partie sur l’orpaillage clandestin, possède 1000 kilomètres de frontières terrestres avec le Surinam et le Brésil, quand son PIB est 13 fois supérieur à celui du Surinam et 39 fois plus élevé que celui d’Haïti.
A Saint-Martin, la divergence entre les 2 parties de l’île en matière de visas favorise une immigration clandestine importante. Le traité de Concordia de 1648 entre la France et les Pays-Bas, encore applicable, a toujours été interprété comme établissant une libre circulation entre les deux parties de l’île. La frontière terrestre séparant les parties française et hollandaise n’est ainsi ni matérialisée ni contrôlée. Pourtant à Sint Marteen, les règles de circulation des étrangers sont différentes du régime français : les ressortissants de plusieurs pays de la région n’y sont pas soumis à visa, contrairement à ce qui est exigé par la France. Or l’aéroport international Princess Julianna est situé dans la partie hollandaise, alors que celui situé dans la partie française, Grand Case, se limite au trafic régional.
Côté chiffres, l’INSEE estime que 5 à 8000 clandestins vivent partie française sur 40 000 habitants et 15 à 20 000 clandestins vivent côté hollandais sur 55 000 habitants.
Quant à l’île de Mayotte, elle est le département français qui à lui tout seul alimente plus de la moitié des reconduites à la frontière chaque année : 22 000 reconduites en 2012 ! Alors que la population est de 186 000 personnes, le nombre de personnes reconduites depuis cette île est devenu très important, atteignant près de 20 000 en 2009, dont plus de 3 000 mineurs, après avoir été multiplié par 2,5 en 4 ans. L’on connaît également la forte attractivité sociale de Mayotte, dont l’histoire est indissociable de celle de l’archipel des Comores et où le PIB par habitant, bien que faible, reste 9 fois supérieur à celui des îles voisines.
Alors, quelles sont les conséquences de cette pression migratoire dans ces trois territoires ?
Et bien d’abord, la charge financière qui plombe les budgets des collectivités ultramarines, car la dotation globale de fonctionnement versée par l’Etat est calculée en fonction du nombre d’habitants recensés par l’INSEE, auquel échappe une part importante de la population irrégulière.
La conséquence de cette forte pression migratoire, c’est aussi la dégradation des services publics : à Saint-Martin, il faut poser une demi-journée de congés pour acheter des timbres au bureau de poste de Marigot ! A l’hôpital de Saint-Martin, la moitié des hospitalisations est le fait d’étrangers, ce taux atteignant 70% en service gynéco-obstétrique, qui compte près de 1000 naissances par an. 44% des patients sont dépourvus de toute couverture sociale. A Mayotte, le nombre d’élèves scolarisés est passé de 2000 à 60 000 en 30 ans, dont un tiers a des parents clandestins. En Guyane enfin, des milliers d’enfants restent déscolarisés, faute de places dans les structures scolaires…
Ces 3 territoires restent des îlots de prospérité dans des océans de misère. Malgré la législation dérogatoire en matière d’exécution des reconduites à la frontière et de recours contre ces derniers et les moyens accrus en termes d’effectifs policiers notamment, la problématique demeure inchangée et provoque de fortes tensions communautaristes dans ces territoires outremer.
A situation exceptionnelle, il faut une législation plus particulière encore, car malgré les avancées et le durcissement par le biais de mesures dérogatoires, le problème est loin d’être résolu et les afflux migratoires sont toujours plus nombreux.
En un mot, je vous le dis : outre-mer, le tout répressif ne fonctionne pas et le renforcement des moyens des forces de sécurité ne suffisent pas à répondre à la problématique.
A quoi je crois ?
Et bien je crois, qu’à ces mesures répressives qu’il faut bien entendu conserver, il faut des moyens judiciaires accrus, parce qu’on n’a pas assez de magistrats et que les prisons et les CRA débordent…
Je pense aussi que sur le plan législatif, il faut aller plus loin dans la différenciation des règles applicables dans les territoires outre-mer du reste du territoire français, dans les domaines de la nationalité, de l’état civil et des prestations sociales.
J’affirme également qu’un travail de fond doit être mené en matière de diplomatie : les relations avec les Etats voisins constituent l’une des clés d’une maîtrise des flux migratoires irréguliers régulée et efficace. Alors certes, quelques initiatives ont été prises ces dernières années, comme la création en 2001 des fonds de coopération régionale destinés à soutenir les projets facilitant les échanges entre les collectivités françaises d’outre-mer et les Etats voisins, mais les résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux.
Enfin, il nous faudra relever le défi de la coopération économique régionale : chaque année, 50 à 70 millions d’euros sont consacrés à la lutte contre l’immigration clandestine et les reconduites à la frontière, quand 20 millions d’euros seulement, sont consacrés à la coopération. Pourquoi ne pas développer ce volet crucial de la coopération économique régionale, qui ne représente aujourd’hui que 0,3% des crédits de la mission outre-mer du PLF 2014 ?
Voici donc quelques-unes de mes réflexions personnelles d’élu ultramarin : je sais que nous travaillerons de concert pour prendre en considération la situation d’urgence et les particularités de ces territoires, qui ont trop souvent le sentiment d’être les délaissés de la République.
Je vous remercie de votre attention.