Saint-Martin. Vrai faux débat pour la révision de la Loi Organique
Deux points d’orgue étaient développés par le Député Daniel Gibbes lors de sa conférence de presse du mercredi 29 janvier dernier : la révision de la Loi Organique proposée avec beaucoup de largesse en juin 2013 lors de sa visite par le Ministre des Outre-mer Victorin Lurel et la création d’une mission parlementaire dédiée à Saint-Martin.
Ce qui alors pouvait sembler comme une certaine largesse consentie par le Ministre, une belle annonce pour cette visite, semble en fait répondre à des motivations bien plus ministérielles et gouvernementales puisque la volonté de Victorin Lurel de “toiletter” les lois organiques de Saint-Pierre et Miquelon, Saint-Barthélemy et Saint-Martin a été selon le Député Gibbes affirmée par ce ministre en début d’année.
Il est à noter que Victorin Lurel l’avait d’ailleurs déjà annoncé lors de la Journée outre-mer qui s’est tenue en novembre 2013 : “ J’ai demandé et j’ai reçu mandat pour présenter un projet, si j’ose dire, de toilettage des lois organiques des îles du Nord. (…) On ne dort pas, je peux vous l’assurer, qu’il s’agisse d’accompagner le redressement des finances de Saint-Martin” . Et lors de ses voeux, le Ministre a ainsi confirmé que “2014 sera aussi l’année de la réforme des lois organiques de Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre et Miquelon.”
Loi Organique : que souhaitent les élus et la gouvernance de Saint-Martin
Sur le sujet, les positions sont diverses, parfois imprécises et même changeantes. Le premier à avoir souhaité quelques modifications est le Sénateur Fleming qui avait même transmis une proposition de loi au Conseil Territorial présidé alors par Frantz Gumbs mais n’avait pas reçu d’écho à cette proposition, pas plus d’ailleurs depuis le changement de mandatures (Alain Richardson et Aline Hanson ayant été également destinataires de cette proposition en leur qualité respective de président du CT). Le Sénateur Fleming y prônait le fait de disposer aussi de la compétence environnementale ainsi que de celles dévolues à la détermination de l’assiette fiscale et au recouvrement. Pourquoi l’environnement ? Parce que le code de l’urbanisme et le code de l’environnement sont très interdépendants. En ce sens, la tâche à laquelle s’attelle la Collectivité depuis quelques mois et qui vise à se doter d’un code de l’urbanisme (dont nous avons la compétence) qui soit en phase avec nos spécificités risque d’être particulièrement ardue puisqu’il nous faut toujours être en adéquation avec un code de l’environnement sur lequel nous n’avons pas compétence.
Concernant la détermination de l’assiette fiscale et le recouvrement de l’impôt, l’incapacité de l’état, qui est aujourd’hui quelque part le “prestataire” de la Collectivité en la matière, à gérer ces deux éléments pour les amener à un niveau raisonnable de crédibilité et de performance motivait à l’époque la position sénatoriale. Il semble toutefois que récemment, et éclairé par ce pseudo cadeau ministériel, le Sénateur ait fait quelques pas de retrait vis à vis de sa proposition avant de quitter ses fonctions au Palais du Luxembourg.
La position de la Collectivité au travers de sa Présidente nous sera connue dès le 10 février à venir puisque le Député Daniel Gibbes entendra les attentes de la Gouvernance en la matière pour pouvoir les mieux défendre au sein de l’Assemblée Nationale une fois que le projet sera suffisamment mûr pour y être porté. Daniel Gibbes insistait sur l’importance qu’il soit fait en sorte que les élus de la Collectivité s’approprient le sujet, élus qu’il compte aussi solliciter dans le cadre d’un projet de Loi relatif à la compétitivité des entreprises Outre-mer conformément à une sollicitation qui lui a été faite par Victorin Lurel.
Le député Gibbes semble quand à lui frileux quant à une nouvelle modification de la Loi Organique tant il semble que nous éprouvions bien des difficultés à incarner les compétences dont nous avons d’ores et déjà hérité. Mais il semble aussi quelque peu suspicieux vis à vis de cette volonté ministérielle et évoque le fait que ce “toilettage” de la Loi Organique pourrait aussi venir nous supprimer quelques compétences, suppression motivée par un manque de performances ou par des soucis de trésorerie par trop récurrents pour ne pas dire permanents; car là est bien l’objectif affiché du toilettage ministériel : le redressement des finances de Saint-Martin.
En marge de cette position des élus, le Président de la deuxième assemblée de Saint-Martin, le Conseil Economique Social et Environnemental, Monsieur Georges Gumbs annonçait à qui voulait bien l’entendre que pour sa part, il défendrait une proposition qui irait dans le sens d’une modification du mode de gouvernance. En effet, le Président Gumbs prône un changement profond de nos institutions locales, allant vers un rapprochement organisationnel avec celles de Sint Maarten. Sur la forme, cela semble assez cohérent puisque depuis 7 ans maintenant, on en est encore bien souvent à se demander à quoi servent certains outils comme les conseils de quartier ou le CESC lui-même. Sur le fond, ce serait aussi pour ceux qui éprouvent quelques difficultés à être plébiscités par les urnes l’occasion d’accéder au pouvoir par nomination locale… et l’on sait ce que cela peut amener de risques de collusion et de petits arrangements entre amis. Notons que le Préfet Chopin avait annoncé lors de son audition par le CESC qu’il saisirait celui-ci sur la question d’une éventuelle modification de la Loi Organique et que le Président Gumbs a donc déjà du planché personnellement sur la question. Et c’est certainement ce qui motivait entre autres l’audition du Sénateur Fleming “par la deuxième institution de Saint-Martin” pas plus tard que la semaine dernière.
Enfin, Louis Mussington, l’homme qui aujourd’hui porte la représentation du Parti Socialiste local à bout de bras (notons que cette existence PS ne sait d’ailleurs pas exactement comment se définir puisque les communiqués de presse sont signés la section/fédération PS), estime pour sa part que la frilosité du Député n’a pas lieu d’être pour deux motifs particuliers : le premier est que l’on ne peut décemment penser qu’un gouvernement PS retire des droits à notre petite population et le second est plus subjectif puisque basé sur notre spécificité qui nous mettrait à l’abri de tout errement… Ainsi, il livrait en septembre dernier à l’excellent FAXinfo les propos suivants : “Il(le Député) estime que modifier la loi organique revient à ouvrir une boîte de pandore et que cela va se traduire par des retraits de compétences. C’est une aberration, le gouvernement ne pourra pas procéder à un retrait de compétences sans l’avis de la population ou des décideurs du peuple. (…) Il n’y a rien qui peut porter atteinte à notre autonomie, à nos compétences, et à la reconnaissance de nos spécificités.”
Quoiqu’il en soit, l’amendement de la loi organique sera cette fois, semble-t-il, à l’initiative du Gouvernement au contraire des précédents qui avaient été initiés par le Conseil territorial au travers du Sénateur de Saint-Martin. L’histoire ne dit pas si le Conseil Territorial, ou même la majorité, travaille actuellement au sujet ; ni de quelle manière les élus locaux contribuent à l’élaboration du texte. Il faut pourtant rester conscients que la voie ouverte par le Député Gibbes reste limitée. En effet, dans le cas d’un projet de loi (déposé au Parlement par le Gouvernement) élaboré uniquement à Paris par Paris, les desiderata des élus du CT transmis au Député seront soumis sous forme d’amendements qui devront, avant d’arriver dans l’hémicycle, passer le filtre de la Commission des lois avant d’être éventuellement défendus en séance. Or, n’oublions pas que (pour l’instant) le député de Saint-Martin siège dans les rangs de l’opposition…
Il serait appréciable et apprécié que toilettage donne lieu à une version de la Loi Organique qui permette à l’état d’ôter le petit caillou qu’est Saint-Martin dans sa chaussure droite d’abord, passé à gauche maintenant et qui empêche les gouvernements successifs de s’atteler au dossier de la compensation négative décidée pour faire face à l’afflux de compétences nouvelles.