Par courrier en date du 27 décembre 201 3, vous m’avez adressé un référé sur la défiscalisation dans le secteur du logement social en outre-mer.
Ce référé prend appui tant sur les travaux conduits pendant l’ enquête réalisée par la Cour en 2012 et 2013 sur les aides au logement en outre-mer que sur la préconisation formulée dans son Rapport public annuel 2012 visant à supprimer les dispositions du code général des impôts relatives à la défiscalisation outre-mer et à rechercher, si le Gouvernement l’estimait nécessaire, un dispositif moins coûteux pour le budget de l’Etat.
Vous interpelez en conséquence le Gouvernement sur l’efficacité et l’efficience des réductions d ‘ impôt prévues aux articles 199 undecies C et 2 17 undecies du code général des impôts au bénéfice de la construction de logements sociaux outre-mer.
Ce référé a retenu toute mon attention et appelle de la part du Gouvernement les réponses suivantes.
Je tiens à souligner que, dès son entrée en fonction, le Gouvernement a pleinement tenu compte des recommandations de la Cour sur les dispositifs fiscaux d’incitation à l’ investissement outre-mer.
Ces dispositifs ont été au programme des premières évaluations conduites dans le cadre de la modernisation de l’action publique. Pilotée par un comité d’orientation présidé par le ministre des outre-mer, cette évaluation a permis de préparer une réforme ambitieuse de ces dispositifs. Tenant compte des recommandations de la Cour, et dans le respect des engagements pris par le Président de la République, le Gouvernement s’est efforcé de concilier la recherche d’une efficience accrue dans l’utilisation de la ressource publique et l’indispensable maintien du soutien de l’ Etat à l’investissement dans ces territoires fortement marqués par la crise.
La réforme présentée par le Gouvernement et adoptée par le Parlement dans le cadre de la loi de finances initiale pour 2014 repose ainsi sur les principes suivants :
1/ une efficience accrue grâce à l’ introduction d’un nouveau mode de financement, sous la forme d ‘un crédit d’ impôt, au seul bénéfice des exploitants ultramarins : ce mécanisme permettra de faire l’économie des coûts significatifs qu’ impliquent, dans le cadre des dispositifs existants, l’intermédiation et la rémunération de l’épargne collectée auprès des contribuables désirant réduire leur cotisation d’ impôt ;
2/ le maintien d’une aide équivalente aux exploitants : le taux des crédits d’impôt en faveur de l’investissement productif et dans le logement social a été calculé de manière à garantir un niveau d’aide, rapporté à la base éligible des projets, comparable à celui des dispositifs existants ;
3/ une démarche d ‘expérimentation : le nouveau crédit d’ impôt se substitue aux dispositifs actuels pour les entreprises les plus importantes dans le secteur productif, il conserve un caractère facultatif et s’ exercera sur option pour les autres. Une évaluation de son efficacité sera menée préalablement à une généralisation de la démarche, le cas échéant ;
4/ la mise en œuvre d’ une série de mesures visant à mieux encadrer et maîtriser le recours aux dispositifs d ‘aide fiscale, qu’ il s‘agisse des dispositifs existants ou des nouveaux mécanismes expérimentaux. Deux de ces mesures concernent plus directement le secteur du logement social :
– l’instauration d‘un plancher de subvention publique par opération bénéficiant du soutien fiscal à l’ investissement, qui donnera à l’Etat un levier de pilotage de la dépense fiscale afférente ;
– l’élaboration d‘une programmation pluriannuelle reposant sur une analyse territorialisée des besoins, permettant d’ optimiser l’allocation des ressources de la politique du logement outre-mer.
Cette réforme importante, emblématique mais aussi respectueuse des équilibres fragiles de territoires dont les économies et le tissu social ont été très durement affectés par la crise, répond à une partie des recommandations formulées au titre du présent référé
Un certain nombre des observations contenues dans celui-ci appellent cependant des précisions détaillées ci-après.
Le Gouvernement ne partage pas le constat d’inefficacité que dresse le référé s’agissant de la construction de logements sociaux.
L’essentiel de ce constat repose sur l’évolution du nombre total de logements locatifs sociaux produits entre 2011 et 2012. Cette approche, fondée sur deux années consécutives, tend à minorer l’impact de la politique de soutien au logement social, que permet mieux d’apprécier une période plus longue. Si une stabilisation du nombre de logements financés est effectivement observable en 2012, ce nombre est passé de 4814 à 7386 en l’espace de trois ans, soit une augmentation de 53% par rapport à 2009. L’ extension à ce secteur du dispositif d’incitation fiscale à l’ investissement a donc bien eu un impact substantiel sur la hausse des rythmes de production.
Il convient en outre de compléter l’examen de ce critère volumétrique par une analyse plus qualitative de la typologie des logements produits.
La politique de soutien engagée par l’Etat n’a pas été détournée de son objectif. Elle a produit ses effets les plus marquants dans le parc « très social », réservé aux ménages dont les revenus sont les plus modestes.
Entre 2009 et 2012, le rythme annuel des logements locatifs très sociaux (LLTS) financés est ainsi passé de 1285 à 2771, soit une augmentation de 115% en quatre ans, qui s’est poursuivie en 2012.
A l’échelle des territoires ultramarins, où la problématique de l’accès à un logement décent se pose avec acuité, cette politique a donc produit des effets extrêmement significatifs. Par exemple, à la Réunion, le nombre de LLTS financés a augmenté de 95% entre 2010 et 2011.
Les moyens ont été mobilisés, d’ une part, pour équilibrer le financement des opérations très sociales, dont les loyers de sortie sont les plus faibles. D’autre part, ils ont permis d’ absorber l’ augmentation importante des prix de revient des logements sociaux à compter de 2010 sous l’ effet de plusieurs facteurs qu’a mis en lumière une étude sur les coûts de la construction financée par le ministère des outre-mer et le ministère de l’égalité des territoires et du logement :
– le coût du foncier brut et viabilisé qui a augmenté de 28% en euros constants entre 2008 et 2011,
– les normes de construction (réglementation thermique, acoustique et aération applicable dans les DOM, réglementation parasismique … ) qui ont contribué à une augmentation des prix de revient des logements à la Réunion comprise entre 5 et 10%,
– les surcoûts pouvant résulter de l’éloignement et notamment ceux liés au transport, à l’ importation des matériaux compte tenu de la place prépondérante du béton dans les procédés de construction.
De manière générale, l’aide fiscale a ainsi permis d’équilibrer des opérations plus complexes et plus chères sans peser sur les loyers, comme le montre le bilan qui suit concernant les LLTS financés entre 2010 et 2012 à la Réunion.
Le recours aux seules subventions de la « ligne budgétaire unique » (LBU) gérée par le ministère des outre-mer au titre de la politique du logement dans ces territoires n’aurait pas permis de financer ces opérations. Grâce à l’ aide fiscale, non seulement ces opérations ont pu être équilibrées mais il a en plus été possible de maîtriser les loyers de sortie, voire d’obtenir des montants inférieurs de plus de 2% aux loyers plafonds pour 2011 et 2012.
Outre son effet sur l’offre de logement, l’aide fiscale a donc également permis d’absorber des coûts de production croissants tout en solvabilisant la demande, ce que rendait particulièrement nécessaire et urgent l’ampleur des besoins – en large partie encore insatisfaits – dans ce domaine.
Une analyse croisée du nombre de logements financés avec leur prix de revient moyen à l’ échelle des cinq DOM pour les années 2010 à 2012 permet de remettre en perspective l’observation de la Cour selon laquelle l’augmentation globale de la ressource publique mobilisée n’a pas contribué à dynan1iser la production en 2012.
La hausse de la ressource publique allouée en 2012 reflète en effet celle du prix de revient des logements sur une période de 24 mois et la croissance continue du nombre de logements financés au titre des segments les plus sociaux du marché, où cette hausse des prix a été la plus sensible. Ainsi la stabilisation globale des volumes d ‘agréments en 2012 ne doit pas occulter la croissance continue du nombre de logements financés dans le parc très social (LL TS) et social (LLS) : respectivement + 11 % et + 10% en 2012. Or ces deux segments sont ceux qui ont connu la plus forte hausse en termes de prix de revient moyen en 201 1 et 2012 (+ 2 1% pour les LLTS, +8.2% pour les LLS). L’analyse de la ressource publique mobilisée en 2012 doit tenir compte de la variation des prix de revient sur deux années consécutives : les agréments octroyés en 2012 concernant pour une part très significative des dossiers déposés en 2011 (La part des dossiers agréés en année concernant des opérations déposées en N-1 atteint 80% pour les agréments au niveau central (données DEGEOM))
Il convient par ailleurs de reconsidérer l’analyse selon laquelle la diminution des crédits affectés à la construction de logements entre 2010 et 2012 n’aurait pas profité aux autres champs couverts par la LBU.
L’ exécution budgétaire 2010, à laque lle fait référence la Cour, est conjoncture llement majorée des créd its du plan de relance des économies ultramarines. Décidé en 2009 suite à la crise sociale qu’ ont connue ces ten-itoires, le plan a mobilisé 175 ME du programme 123 en 2009 et 2010, dont 50 ME en faveur d’ opérations relatives au logement social. Sur 50 ME, 19 ME ont été engagés en 2010.
Hors plan de relance, la consommation des autorisations d’engagement au ti tre de la LBU est passée de 259 ME en 2010 à 246 M€ en 2012 auxquels il faut aj outer 5 M€ de dossiers bloqués à l’engagement en fin de gestion pour des raisons administratives et régularisés en tout début d’ année 2013. La réalité de la consommation au titre de 2012 est donc de l’ordre de 251 ME, soit un montant très proche de celui de 2010.
Corrigés des effets du plan de relance, les crédits affectés à la construction neuve et ceux affectés à la rénovation et la réhabilitation des logements anciens ont évolué dans des proportions inverses et homogènes (- 37 ME pour la construction neuve et + 32 ME pour la réhabilitation/rénovation).
Ainsi, l’aide fiscale a permis de consacrer des moyens budgétaires importants à la réhabilitation.
Tout en soutenant la dynamique de construction de logements neufs, elle a rendu possible le redéploiement de moyens significatifs au profit de dispositifs ne bénéficiant pas de financement alternatifs : le nombre de logements améliorés et réhabilités financés par la LBU a crû de 47% entre 2010 et 2012, passant de 3985 à 5865.
Enfin, et de manière plus accessoire, il faut considérer avec prudence les conclusions fondées sur l’examen du nombre de logements mis en chantier et livrés depuis 2010.
Ces indicateurs sont soumis à de fortes variations annuelles qui ne reflètent pas de manière linéaire les évolutions du rythme de la construction.
Le nombre de logements mis en chantier et livrés depuis 2010 intègre à la fois des opérations engagées antérieurement et postérieurement à la loi pour le développement économique des outre-mer de 2009. Or un décalage plus ou moins impo11ant peut intervenir entre le financement d’ une opération, sa mise en chantier et sa livraison. C’est ainsi qu’une opération ne bénéficiant que de la LBU (c’est le cas de celles engagées avant 2010) verra sa livraison intervenir dans un délai pouvant aller jusqu’à 48 mois, quand celle d’ une opération bénéficiant de l’aide fiscale ne doit pas excéder 24 mois après l’achèvement des fondations.
Dans ces conditions, de tels indicateurs agrègent des données hétérogènes qui en rendent l’ interprétation malaisée, contrairement à la référence, méthodologiquement plus solide, du nombre de logements financés.
Jean-Marc AYRAULT
Premier Ministre