Paris. 72ème anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv’

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Par Ministère 20 Juil 2014 16:35

Paris. 72ème anniversaire de la rafle du Vél’ d’Hiv’

Dimanche 20 juillet 2014

Allocution de Manuel VALLS, Premier ministre


Mesdames, messieurs les ministres,

Monsieur le président de l’Assemblée nationale,

Mesdames, messieurs les parlementaires,

Madame la maire de Paris,

Messieurs les présidents du CRIF et du Consistoire Central israélite de France,

Monsieur le Grand rabbin,

Mesdames, messieurs,

L’honneur d’une nation, sa grandeur c’est de reconnaître ce qui, un jour, a fait son déshonneur. Le déshonneur de la France, ce lieu en porte la cicatrice béante, c’est d’avoir été complice de l’occupant, en envoyant vers une mort certaine des femmes, des hommes, des enfants, parce qu’ils étaient juifs.

C’est cette horreur, ce déshonneur que nous regardons aujourd’hui en face, comme nous le faisons depuis 1993 et l’instauration d’une journée nationale commémorative. Et c’est l’honneur de la France d’assumer son histoire, de se rassembler dans le souvenir des disparus pour transmettre la mémoire de la Shoah, cette destruction des Juifs qui porta atteinte à l’essence même de ce qu’est l’humanité.

Et comment ici ne pas repenser aux larmes des enfants arrêtés, qui ne comprenaient pas ce que leur voulaient les « grands » ? Comment ne pas imaginer la terreur des adultes parqués, qui pressentaient le sort qui leur était réservé ? Lieu de larmes, de terreur, lieu de départs vers la mort, tel fut le Vélodrome d’Hiver en ce mois de juillet 1942, il y a 72 ans.

Pendant longtemps, la réalité de l’extermination des Juifs de France a été tue, l’époque de l’après-guerre était à l’indifférence. Sous une chape de plomb, on a remisé les mémoires.

On a voulu oublier les morts des camps. On a invité les survivants au silence. La France ne voulait ni voir, ni savoir. Sans doute pensait-elle que pour se reconstruire, il fallait tirer un trait sur le passé.

C’est seulement 30 ans plus tard, à l’initiative notamment de Serge et Béate KLARSFELD – que le président de la République honorera cet après-midi – que les consciences ont commencé à s’éveiller. La France a pu, pas à pas, prendre la juste mesure de ce qui s’était passé. Et nous devons être profondément reconnaissants envers le président Jacques CHIRAC qui, en 1995, a eu enfin le courage de nous libérer de nous-mêmes en établissant la vérité. Oui, les 16 et 17 juillet 1942, la France s’est compromise. C’est elle, et elle seule, ici, qui a commis l’irréparable. Le président François HOLLANDE, il y a deux ans, pour le 70ème anniversaire de la rafle du Vel d’Hiv, a su trouver, lui aussi, les mots justes et forts pour lever les incompréhensions de notre passé. Ces mots, ceux de deux présidents de la République devraient être écrits à la place de ceux qui sont inscrits sur cette stèle.

La rafle du Vel d’Hiv ne fut pas la première ni la dernière rafle, mais elle fut la plus massive, la plus méthodique, par le nombre de personnes arrêtées, par le dispositif mis en place et surtout par cette décision, pour la première fois, d’arrêter les femmes et les enfants, tous les enfants, même les nourrissons.

Depuis la France, entre 1940 et 1944, à la demande des autorités nazies, 76.000 juifs français ou étrangers dont 11.000 enfants ont été déportés. Sur ces 76.000, seuls 2.000 rentreront. Ce bilan effroyable met nos consciences face à un terrible gouffre, celui de ces 74.000 absents, et face à une terrible question : comment la France, terre d’accueil et de refuge pour les Juifs, pays de leur émancipation qui fit d’eux de citoyens à part entière, a-t-elle pu devenir, en si peu de temps, ce territoire hostile ?

Pour en arriver là, il a fallu le déchainement de la haine. Il a fallu que les morsures de la barbarie l’emportent sur les valeurs universelles. Il a fallu le naufrage d’une classe politique qui crut trouver son salut dans la collaboration. Elle fut une déroute morale, un reniement, une ignominie.

Oui, la France était à Vichy. Et elle était à Paris. Là, des gens, des personnages hargneux, animés des pires préjugés théorisaient la supériorité de certains Hommes sur d’autres Hommes, et appelaient à la « haine du juif ». Ils croyaient en une patrie pure, purifiée, fantasmée, en la prétendue nécessité de la régénérer et de chasser les ennemis qui se cachaient en son sein. Mais, au milieu de l’horreur il y eut la dignité. Au milieu du déshonneur, il y eut la grandeur.

Car la France elle était aussi à Londres incarnée par DE GAULLE. Elle était en Outre-Mer.

Elle s’était surtout abritée dans les coeurs des résistants, dans les coeurs des Justes, de ces femmes, de ces hommes qui, sans même hésiter – nous venons de l’entendre –, au péril de leur propre vie, s’exposèrent à tous les risques. Par leurs gestes anonymes, multipliés dans chaque recoin de la France, leurs gestes tout à la fois simples et héroïques, des milliers de vies ont pu être sauvées.

Et ces gestes anonymes, il faut nous les représenter : l’image d’une main qui conduit un juif vers une cache, l’image de ces femmes ou de ces hommes qui ne dénoncent pas leurs protégés, même sous la menace d’un officier nazi, l’image de ces enfants confiés avec déchirement à des familles, à des instituteurs, à des curés, à des bonnes soeurs pour qu’ils puissent survivre.

On trouve caché dans un joli livre de Pauline DE PANGE ces mots qui résument au fond tout le sens de ce que nous faisons aujourd’hui, des mots qui devraient en permanence nous inspirer. Pauline DE PANGE disait : « je dédie ces images à mes petits-enfants afin qu’ils se rendent compte de l’accélération de l’histoire, et qu’ils apprennent à mieux discerner dans les incertitudes actuelles ce qui se passe et ce qui est éternel ».

Dans le flot des événements, dans ce monde où tout va désormais beaucoup trop vite et où plus rien n’est remis en perspective, c’est au fond cela le message des Justes. Même si les repères vacillent, nous devons toujours savoir distinguer ce qui passe de ce qui est éternel ; et ce qui est éternel ce sont nos valeurs et nos principes.

C’est grâce aux Justes, aux résistants, aux combattants de la France libre, à ces parlementaires trop peu nombreux qui refusèrent de saborder la République, mais aussi à tous ces héros inconnus – il y en eut dans l’administration, la police ou la gendarmerie – que notre idéal est resté intact, qu’il a pu renaître. Nous avons le devoir d’être à la hauteur de leur combat, à la hauteur de leur sacrifice.

Et être à la hauteur, c’est d’abord veiller scrupuleusement à ce que la réalité historique de la Shoah ne soit jamais contestée par ces professionnels du mensonge. C’est veiller également à ce qu’elle ne soit pas relativisée ou livrée aux mains coupables de ceux qui la caricaturent, la banalisent, en font le sujet de plaisanteries infâmes. Rire ainsi de la Shoah, c’est insulter les morts, c’est insulter les survivants et c’est donc insulter la France. Et ne rien faire face à ces insultes qui salissent les mémoires serait une faiblesse impardonnable.

Etre à la hauteur, c’est transmettre inlassablement – et en particulier aux jeunes générations – le souvenir de ce que fut la barbarie nazie. Aux six millions de Juifs assassinés s’ajoutent des millions d’autres victimes. En France, des résistants, des francs-maçons, des religieux, des Tziganes, des homosexuels ont été déportés. Cette vérité doit être également dite, rappelée, martelée, sans cesse.

Dans un monde fait d’un trop plein d’images, la mémoire est souvent fragile et elle réclame donc notre part de volontarisme, et je dirais même d’abnégation pour qu’elle vive pleinement et soit mise au service de notre présent. Et c’est bien sûr, en premier lieu, à l’école de la République de transmettre, d’enseigner, d’éveiller les consciences sans que personne ne mette d’obstacle sur sa route. Jamais, dans aucune classe, la Shoah ne devrait et ne doit faire débat. Elle doit être enseignée comme toute vérité historique incontestable.

Nous avons pour cela des lieux : le Mémorial de la Shoah, le Mémorial de Drancy ou le camp des Milles à Aix-en-Provence. Ces lieux appartiennent à chacun d’entre nous. Ils sont ouverts sur notre époque. Avec pédagogie, exigence, vigilance, ils rappellent quelles sont les valeurs de respect, de tolérance, de refus des fanatismes que nous devons défendre et promouvoir.

Etre à la hauteur, c’est enfin lutter sans relâche contre l’antisémitisme sous toutes ses formes. A l’antisémitisme « historique », « traditionnel », cette vieille maladie de l’Europe qui, de siècle en siècle, a prospéré jusqu’à conduire à Sobibor, Treblinka, Belzec ou à Auschwitz, s’ajoute un antisémitisme d’une forme nouvelle qu’il est hors de question de nier ou de cacher, et qu’il faut regarder en face. Il se répand sur internet, sur les réseaux sociaux, il se répand aussi dans nos quartiers populaires, auprès d’une jeunesse souvent sans repères, sans conscience de l’histoire et qui cache sa « haine du Juif » derrière un antisionisme de façade et derrière la haine de l’Etat d’Israël.

Cette confluence entre les antisémitismes nous commande d’agir sans la moindre hésitation, car l’évidence est là sous nos yeux. Il n’y a pas à tergiverser, analyser, à débattre. Il nous faut d’abord agir, éduquer, rappeler, partager mais aussi sévir et, si nécessaire, interdire au nom même de l’ordre républicain, de l’autorité nécessaire pour rappeler nos valeurs.

Ce qui s’est passé hier encore à Paris, des débordements inacceptables, justifie d’autant plus le choix qui a été fait, avec courage, par le ministre de l’Intérieur, d’interdire une manifestation. La France ne laissera pas les esprits provocateurs alimenter je ne sais quel conflit entre les communautés. Ce n’est pas cela, la France. La France, c’est la République.

Et la France ce sont des valeurs, qui sont des valeurs plus que jamais universelles.

La lutte contre l’antisémitisme, ce n’est pas seulement le combat des Juifs, c’est le combat de chacun d’entre nous, de toute une nation. Et aujourd’hui tout particulièrement, j’en appelle à notre responsabilité collective, celle de tous les responsables politiques, mais aussi celle de tous nos compatriotes. Et j’en appelle à un véritable sursaut de la société.

Oui, c’est une cause nationale.

Je sais, je sais les craintes, l’angoisse des Juifs de France, je connais leurs perplexités qui sont devenues une douleur quotidienne. Après le meurtre d’Ilan HALIMI, après les crimes de Toulouse, après les attaques, les profanations, les violences, les insultes, ils regardent leur pays, leur propre pays, la France, en s’interrogeant. Ils se demandent si l’Histoire n’est pas sur le point de se répéter, arrivant même, pour beaucoup, à nourrir le projet de partir, et pour d’autres à le réaliser. Ils attendent alors de l’Etat, de ses plus hautes autorités, d’être rassurés et protégés.

Ce qui s’est passé dimanche dernier, dans les rues de Paris, sont des faits d’une extrême gravité. Rue des Tournelles, dans ce quartier qui fut le lieu des rafles et des arrestations, et rue de la Roquette, à deux pas du gymnase Japy, qui fut un premier lieu de rassemblement avant le Vél’ d’Hiv’, on a entendu : « Mort aux Juifs ». Une fois de plus, une fois de trop ! On s’en est pris, à nouveau, à des synagogues, pas seulement avec des mots, mais avec des gestes, avec la volonté de s’attaquer à ce qu’est une synagogue, c’est à dire un lieu de paix, en voulant, au fond, au nom d’un conflit qui a lieu à des milliers de kilomètres, mettre de nouveau les Juifs hors de notre territoire national. Mais nos synagogues, comme nos églises, nos temples, nos mosquées, ce sont notre patrimoine commun, ce sont des parties indivisibles de la France, protégées par notre idéal de laïcité.

Du haut de cette tribune, dans ce lieu dont je mesure le poids qu’il donne à mes mots, et dans ces circonstances lourdes, je veux inviter les Juifs de France à avoir confiance en leur pays, en sa détermination à ne jamais céder. Ici, après le chaos, la communauté juive de France a su se reconstruire, relever la tête, et aller de l’avant. Elle a su briller à nouveau, au coeur de la diaspora. Les Juifs de France, les Français juifs, sont d’abord la France. Et sans eux, la France ne serait plus elle-même.

Et la France, c’est la République, qui protège toutes les confessions, tous les citoyens, quelle que soit leur origine ou leur croyance. Et c’est ce message qui doit plus que jamais nous rassembler.

Dans ce lieu de souffrances, regardant notre histoire, ensemble, avec lucidité, nous l’affirmons : s’en prendre à un Juif parce qu’il est juif, c’est s’attaquer à la France. Et parce

qu’elle sait le déshonneur de ne pas veiller sur ses enfants, parce qu’elle se souvient, la France répondra avec la plus grande force, la plus grande intransigeance, en tous lieux, et toujours.

Vive la République, et vive la France !

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