Vendredi soir se tenait à la CCI une nouvelle réunion pour le projet de marina. Cela commence à ressembler furieusement au monstre du Loch Ness. Tout le monde en parle, tout le monde la cherche, mais personne ne la voit jamais. Et honnêtement, il faut bien dire que de nombreuses personnes dans l’assemblée ont dû convenir que la rumeur les avait une fois de plus bien mal alléchés. Je n’en veux pour preuve que l’étiolement de l’assemblée au fur et à mesure que la soirée s’allongeait.
C’est du moins ce que j’ai cru comprendre des commentaires ensuite. Je pense résumer l’opinion quasi unanime telle que je l’ai perçue: on aimerait y croire, on aimerait que cela se fasse, mais on n’y croit plus trop. Surtout, imaginez que la vision réaliste, et logique, la situe à l’horizon 2020. Et à l’analyse, de nombreuses raisons viennent appuyer ce défaitisme. Et puisqu’on nous demande notre avis, je vais donner le mien. Je ne sais s’il est vraiment autorisé, mais au moins il s’appuie sur une expérience certaine puisque j’avais moi-même présenté un projet en 2004/2005. Je vais d’ailleurs repartir de cette époque pour souligner ce qui me semble une incohérence dans la démarche actuelle. En effet, le marché d’assistance à maîtrise d’ouvrage octroyé semble déboucher sur une nouvelle étude. C’est-à-dire que l’on part de l’étude qui avait remporté l’appel à marché de définition pour en rediscuter et finaliser un nouveau projet qui sera alors présenté aux investisseurs potentiels. La première question qui se pose est déjà de se demander pourquoi n’a-t-on pas fait cela en 2004 et 2005 alors qu’il y avait au minimum deux projets évoqués: la Semsamar et l’investisseur de l’époque sur base de mon étude. Pourquoi pas en 2008 à l’issue du concours? Puis ensuite à l’époque Jutras? Mais surtout aussi, pourquoi maintenant? La démarche actuelle est curieuse. Logiquement, elle s’intègre dans la gestion d’un projet personnel de la Collectivité que l’on cherche à faire financer par un tiers. Raison d’ailleurs pour laquelle l’assistance à maîtrise d’ouvrage cherche à mieux définir le projet, notamment au niveau de son coût. Autrement dit, on se lance dans des consultations, certes obligatoires, mais surtout peut-être sans suite. Car si le rendement financier en regard des coûts n’apparaît pas probant, il n’y aura rien. Je ne dirai même rien concernant les études de marché dont on ne parle pas beaucoup. Pourtant on devrait. Car comment imaginer dans ce projet une issue salvatrice quand on voit ce qui se construit ou va se construire dans la zone. On aimerait être rassuré car il n’aura échappé à personne qu’une marina, des quais de croisière, ne sont utilisés qu’une partie de l’année. Et le reste, soit la moitié, voire moins, comment fait-on pour faire tourner l’infrastructure? Comment pendant la saison fait-on pour attirer les mégayachts? De tout cela, on n’entend pas beaucoup parler à part quelques échos de nos visites dans les salons. Mais tout commerçant sait qu’il y a un monde entre les prospects et les visiteurs réels.
Je me rappelle toujours ma naïveté lorsque l’investisseur que j’avais trouvé (il est même plus juste de dire, qui m’avait trouvé), évoquant le fait qu’il allait faire travailler son bureau d’études sur le projet, avait rétorqué devant mon étonnement (puisque j’avais déjà dessiné quelque chose) que s’il mettait de l’argent sur la table, c’était pour faire son projet et pas le mien. En fait, j’ai l’impression que c’est encore ce qui va se passer. Quelle raison a-t-on de peaufiner (et financer) un projet de définition alors que l’investisseur viendra avec ses propres critères et son expérience (et c’est lui qui supportera les frais d’étude). C’est de la perte de temps. Il faut maintenant, comme d’ailleurs le dit très bien Mr Ricochin, le coordinateur pour le groupement de l’assistant à maîtrise d’ouvrage, ou encore Guillaume Arnell, dire ce que l’on ne veut pas. En somme faire un cahier des charges à rebours: on veut une marina accueillant la plaisance, la grande plaisance, la mini croisière et les navettes inter îles. On veut aussi que ce port crée un élan économique, qu’il donne du travail à nos entreprises, qu’il crée et pérennise des emplois locaux par la suite. Ce qu’on ne veut pas, c’est un Marigot-sur-Mer cachant la misère derrière ses infrastructures. On veut de l’intégration, on ne veut pas un ghetto de riches, on veut pouvoir s’impliquer, les voir, on veut que cela profite à toute l’île et pas seulement une petite frange. Après, la forme que le port aura, laissons cela à l’investisseur, lequel évoluera entre les règles du cahier des charges.
Alors, fait-on cela actuellement? Peut-être. Mais dans le discours, de l’avis de nombreuses personnes, ce n’est pas clair et plutôt embrouillé. Les questions posées obtiennent des réponses qui démontrent l’impréparation du sujet. Quand je souligne publiquement qu’il y a un risque concernant la loi “littoral” qui rattache les endiguements à une utilisation portuaire, les uns et les autres se noient dans des réponses embarrassées guère rassurantes pour le public. Il faudra attendre une autre question pour s’entendre dire qu’en fait, la Collectivité étant maintenant propriétaire de sa zone portuaire, elle a la compétence pour modifier une loi qui veut que les endiguements dans une enceinte portuaire soient eux aussi consacrés à un usage portuaire. Si j’ai donc bien compris, les endiguements vont pouvoir être utilisés pour recevoir de l’habitat, ce qui n’est normalement pas possible dans le cadre de la loi “littoral” ou dans le cadre portuaire comme c’est le cas partout ailleurs en France. Un bon point pour nous, mais qu’il a fallu attendre pour se l’entendre expliquer.
On en revient donc au point de départ que l’étude de définition supportait ou aurait dû supporter: combien cela va-t-il coûter et combien l’investisseur pourra-t-il tirer de l’exploitation des zones générées sur la mer? A ce sujet, je me pose une autre question. Si la qualité de l’environnement de la zone sud ne laisse aucune inquiétude pour une utilisation hôtelière, il n’en va pas de même de la partie nord. Comment imaginer que l’on va faire une zone d’un niveau moyen à élevé en face du patchwork innommable de Galisbay, entre la route de bord de mer rejoignant le rond point et la rue de Hollande avec l’anarchie des constructions hétéroclites, voire illégales, des dépôts sauvages de débris, de parcs d’engins de travaux publics, etc..? Comment imaginer des immeubles de 30m de haut devant le Grand Saint Martin? Plutôt que d’endiguer, pourquoi ne nettoierait-on pas toute cette zone pour la rendre constructible (elle l’est déjà au PLU, mais de là à la pratique..) sans avoir tous les soucis éventuels liés à la construction sur un remblai marin? L’étang lui-même, sur l’exutoire de Concordia Spring, pourrait être conservé et transformé en une zone verte tampon autour de laquelle des constructions de qualité pourraient trouver une place même plus importante tout en masquant la vue vers la centrale thermique et l’usine à eau. Le coût des expropriations serait sans doute moins élevé que celui de l’endiguement. Et la zone pourrait faire partie du contrat avec l’investisseur. Cela éviterait de construire devant le Grand Saint Martin et de se poser la question de l’effet des exutoires sur une hypothétique plage. A ce sujet, j’ai entendu des énormités concernant la génération de plages. Nous avons un spécialiste bien connu localement qui pourrait vous expliquer qu’il y a peu de chances de voir à ces endroits une plage pérenne.
Un autre point à soulever est ce qui ressemble à une cité administrative sur le terre-plein nord. Pourquoi donc aller la construire si loin de la ville? Pourquoi ne pas y placer plutôt un hôtel de ville dédié à l’apparat et aux réceptions, en conservant en centre ville l’administration au service de la population? Pourquoi aussi déjà limiter la hauteur de la digue de protection? Les 5m seraient trop haut et gâcheraient la vue sur Anguilla. D’abord pour ce qu’on en voit, et puis je constate que déjà maintenant les amoureux de la vue viennent se promener sur la digue. Enfin, il y a de nombreuses remarques à faire sur ce projet qui a le mérite d’exister, mais je pense qu’actuellement il manque un tantinet de pédagogie pour bien comprendre les enjeux de la démarche actuelle. Les consultations viennent de commencer, et l’on nous promet pour septembre des données mieux étayées. Alors espérons, car pour ma part, comme celle de beaucoup d’autres, je reste un peu sur ma faim en attente d’une vraie proposition structurée en accord avec toutes les parties prenantes.
Yves KINARD