Cette émotion nationale, largement partagée à travers le monde, a suscité un élan de solidarité, de compassion, et d’unité sans précédent en France (qui a pourtant déjà connu dans le passé, des vagues d’attentats, notamment en 1986). Cette mobilisation à l’échelle mondiale, a fait croire naïvement à certains (politiques, médias et réseaux sociaux) qu’il s’agissait de la défense d’une valeur universelle, alors qu’il n’en est rien dans la réalité. D’ailleurs, cette unité qui n’a jamais été homogène, était dès le départ, une mosaïque, où se superposaient, des postures politiques, des conceptions philosophiques, et des sensibilités culturelles, très différentes. Le mouvement spontané d’indignation et de solidarité, était citoyen au départ, mais il a vite été récupéré par le politique, qui a voulu lui donner une forme institutionnelle, à travers une réponse symbolique républicaine, en référence à l’histoire. Cette association a dénaturé le sens premier de la manifestation (indignation, solidarité humaine, hommage posthume, et protestation), et fait apparaître les premières incohérences. Par ailleurs, la survenance concomitante d’autres évènements de même nature dans le monde, avec une intensité encore plus violente et dramatique, va concurrencer dans l’horreur l’événement de Paris, dont l’actualité et l’intérêt n’était plus exclusif. Le fait pour la France d’avoir été sourde à ce qui se passait ailleurs, a démobilisé la solidarité internationale des peuples concernés par ces évènements. L’enseignement tiré de cette attitude, à tort ou à raison, est que les émotions sont sélectives et que la vie humaine semble avoir une valeur inégale, selon qu’on est un Occidental ou pas. Chacun à l’instar de la France, a préféré porter son intérêt sur la proximité nationale ou régionale, faute de compassion réciproque de la part de l’Occident. Dès lors, les perceptions, les malentendus, les divergences, les égoïsmes, les extrémismes, les nationalismes, les contradictions et les incohérences se sont exprimés. La belle unité a volé en éclat, à l’exception de la condamnation unanime de l’acte d’ôter la vie, pour régler des différences d’appréciation.
Ceci indique que nous sommes entré désormais dans le temps de la réflexion et de l’analyse critique. Celui-ci doit succéder à l’émotion, même si le contexte reste encore sensible et tendu. L’émotion ne doit pas faire obstacle à la réflexion, car la tragédie sanglante que nous venons de vivre, fait surgir des interrogations et des doutes, auxquels nous devons nous efforcer d’apporter des réponses, quand bien même celles-ci seraient incomplètes, voire polémiques. Quand quelque chose d’aussi grave se produit, il faut avoir le courage de se remettre en question et d’examiner les faits tels qu’ils sont, avec sérénité, lucidité et objectivité. Cette obligation est posée, non pas par la nécessité de conserver une unité consensuelle mise à mal par ces questionnements, mais par la nécessité d’éviter que d’autres n’imposent des réponses extrémistes, guerrières, sécuritaires, confiscatoires, discriminatoires, et racistes. Il découle de cette première réflexion, 4 grandes lignes de fracture, qui sont des pistes de compréhension:
Ce concept trouve sa source dans l’histoire des conquêtes de la Révolution Française. Ce qui explique la force de sa symbolique, et la résonance toute particulière qu’elle a produite dans le subconscient collectif. Cependant, il serait abusif de vouloir le réduire à la liberté de la presse, dont l’objet est plus strict, (possibilité d’informer librement). En revanche, si l’on devait lui associer la liberté de penser et de communiquer celle-ci, par quelque moyen d’expression que ce soit, il recouvrirait de fait, une notion plus large, mais aussi plus relative, dont la conséquence immédiate serait de ne pas tout autoriser, comme le ferait un standard absolu. En effet, l’exercice d’une prérogative aussi large, pose des exigences (indépendance et responsabilité) et des limites (sécuritaires, préventives et protectrices). Ainsi, en premier lieu et au plan du droit positif, elle connait des restrictions (loi anti-négationniste, antisémitique, etc….), qui par ces dispositions particulières, tiennent compte de la mémoire historique, de la sensibilité culturelle, des droits reconnus, aux uns et aux autres. Dès la liberté d’expression (politique, artistique, culturelle, religieuse, et d’opinion) peut être restreinte, lorsqu’elle est de nature à entrainer un désordre public ou de mettre à mal la cohésion sociale (Cf. motivation de la décision de justice ayant interdit le spectacle de Dieudonné). Nous observons que des « restrictions importantes à la liberté d’expression, sont inscrites dans les lois criminalisant l’insulte, la diffamation, ou l’incitation à la haine, à la discrimination ou à la violence sur des bases religieuses, raciales, ethniques, liées à la nationalité, au handicap, au sexe ou à l’orientation sexuelle » (Jonathan Turley), auxquelles il faut ajouter maintenant, l’apologie du crime et l’incitation au terrorisme. Dès lors, l’identification à la ligne éditoriale de « Charlie Hebdo », à travers le slogan « Je suis Charlie Hebdo » devient problématique, car elle contrevient à l’esprit des règles restrictives, énoncées par le droit positif, duquel elle tire sa légitimé, en ce sens qu’elle est de nature à susciter la colère d’une partie de la communauté nationale, donc de faire courir à l’ordre public un risque déraisonnable, et de mettre à mal la cohésion sociale, car l’Islam est la seconde religion de France (importance démographique). Ensuite, au plan moral et déontologique, le bon usage de ce droit exige comme nous l’avons dit, indépendance et responsabilité. Jean Paul Sartre disait que la liberté engageait la responsabilité, de manière indissociable. Elles sont intiment liées, comme les éléments d’une même pièce. Par ailleurs, la liberté de la presse, ne se justifie que dans un contexte d’oppression ou d’interdiction, mais pas dans un cadre de liberté générale, comme c’est le cas en France. Dès lors, elle correspond à un choix, dénué de toute valeur morale et transgressant une norme déontologique, en se fondant sur un droit absolu, qui donnerait aux sujets de droit, le pouvoir d’accomplir un acte, sans considération des conséquences qui peuvent en découler, pour les autres et pour soi-même. Non seulement une telle interprétation du droit est erronée, mais encore un acte posé dans de telles conditions, n’est ni une démonstration d’intelligence, ni la preuve d’une volonté de paix. Peut-on rire de tout, par exemple d’une infirmité physique ? Selon le droit oui, selon la morale et l’intelligence, non. Il y aurait-il alors deux libertés, l’une juridique et l’autre morale, alors qu’elle devrait être une, et cohérente ? La quête d’une liberté effrénée dans un contexte de modernité, au motif d’une laïcité plus approfondie ou d’une liberté d’expression débridée, a conduit la morale publique à une certaine décadence des mœurs en Occident, (exhibitionnisme, riot pussy, zoophilie, etc. …). Ce modèle doit-il être exporté et imposé au reste du monde, bien qu’il s’y diffuse malheureusement ? En se posant ces questions, la réflexion qui a succédé à l’émotion collective, a brisé le mouvement d’unité, qui avait permis d’assister à une mobilisation internationale, pour dénoncer l’acte odieux des assassinats « de Charlie Hebdo » et de la « porte de Vincennes ». Cette unité s’est très vite désagrégée parce que les uns ne veulent pas servir de caution à des iconoclastes, les autres ne veulent pas être solidaires d’un impérialisme culturel, et d’une discrimination raciale du crime. D’où le présent débat sur le sujet qui soulève bien des passions, preuve qu’il n’est pas consensuel. Certaines voix sont allées très loin dans la récupération politique et la manipulation des émotions, les unes prônant une restriction collective des libertés démocratiques, les autres proposant un racisme déguisé, par un profilage des citoyens selon leur religion, leur ethnicité (origine historique), leur déplacement ou leur fréquentation. Preuve éclatante que la morale, en tant que valeur et norme de comportement est relative, et que la démocratie peut, si nous n’y prenons garde, s’opposer à sa finalité et trahir le peuple, par certaines dérives, tant des libertés (négation du droit d’autrui) que du droit qui les restreint (patriot act, apologie du crime, incitation au terrorisme). On voit bien que l’état de droit nécessite un juste équilibre, et qu’il n’y a que la bêtise humaine, qui soit, en définitive, universelle. Enfin, la cohérence de la valeur de la liberté d’expression, telle qu’elle est défendue par le mouvement « je suis Charlie Hebdo », souffre d’une inconstance chronique, du fait que cette dernière ne prévale pas de manière égale, dans toutes les situations (espace et temps), tant au niveau de l’histoire (esclavage, colonisation, etc…) qu’au niveau de l’actualité ( rapport de force politique dans le monde). Et la France qui le représente et s’en réclame aujourd’hui, n’y échappe pas.
Nous observons également que l’ONG « reporters sans frontières », qui défend la liberté de la presse pour informer et le droit d’être informé dans le monde, dont le caractère d’utilité publique, n’est contesté par personne, publie régulièrement chaque année, le nombre de journalistes assassinés dans le monde, dans l’exercice de leur métier, sans que cela ne soulève une émotion particulière de la part de ceux qui, aujourd’hui, défendent la liberté d’expression, alors que ces derniers sont morts pour faire respecter leur droit d’être correctement informé. De façon identique, au lendemain des attentats de Paris, 3 journalistes Tunisiens étaient assassinés et le siège d’une chaine de télévision était bombardé en Libye, dans l’indifférence totale de ces mêmes directeurs de conscience d’un jour . Au Nigéria la secte « djihadiste » Boko-Haram tuait, d’une manière encore plus atroce, 2000 personnes en une seule journée. Cette cruauté d’une ampleur inouïe, a été accueillie en Occident, notamment en France, dans un silence abasourdissant. Tous ces évènements n’ont entraîné de la part de l’Occident, ni couverture médiatique conséquente, ni élan massif de solidarité et d’indignation, dans la condamnation, bien que la France aide de nombreux pays dans la lutte contre le terrorisme, comme l’a rappelé opportunément le Président Hollande (déficit de communication et d’émotion ?). Dès lors, il est apparu évident pour beaucoup, que ce n’était pas un principe et des valeurs universels que défendait en réalité la France, voire l’Occident, mais une cause et des intérêts nationaux. Cette attitude a suffit à désolidariser des personnes (intellectuels et objecteurs de conscience) qui ne sont nullement musulmanes, mais qui refusent néanmoins une morale plus que discutable, (négation de la foi et irrespect du sacré), des émotions sélectives (africains et Tiers monde), une hiérarchisation de l’horreur et de la vie humaine. En un mot, comme en mille, une valeur et une conscience, variables en fonction que l’on est directement concerné ou pas, ou que ceux-ci servent notre intérêt ou pas (implication dans des guerres, don l’horreur et le caractère meurtrier n’est pas à démonter).
Cette prétention est insupportable pour beaucoup, car elle relève de la volonté de domination d’un modèle, de la négation de l’identité des autres peuples, d’un mépris culturel qui s’obstine à refuser de reconnaître la différence, qui forge la diversité de la communauté nationale et du monde. En effet, les valeurs morales des uns ne sont pas celles des autres. La liberté d’expression dont il s’agit, repose sur des constructions transmises par un système de valeurs propre à une société donnée, en l’occurrence, celle de la société française. Elle n’est que le reflet d’une culture particulière, d’une histoire nationale particulière, qui fait de la liberté sous toutes ses formes, le principe fondateur de sa République, et au-delà, de l’émancipation de l’homme. Ce qui à l’évidence, lui ôte tout caractère universel. Aussi, « peut-on légitimement penser que l’impudicité (ou l’irrévérence débridée) qui règne en certains endroits de la planète puisse être une valeur de partage, au point de séduire les sociétés puritaines africaines, arabes ou autres ? Les critères moraux de X, ne sont pas forcement les mêmes, que ceux de Y. Ce que je trouve immoral peut être considéré comme acceptable pour l’autre et vice versa. La nudité est proscrite par certaines communautés et non par d’autres. » Pour exemple, en Afrique le sein d’une femme est un symbole maternel, aussi, cette dernière peut le dénuer en public et en tout lieu, pour allaiter son bébé, sans que cela ne choque, ou n’entraine une violation d’une norme morale ou juridique. Par contre, en Occident le sein est un symbole sexuel, le fait de le dénuer en public, heurte les bonnes mœurs (norme culturelle) et est réprimé par le droit (attentat à la pudeur, norme juridique). En revanche, et de manière ironique, se promener dans les lieux publics à moitié nu, ou en exhibant de manière suggestive ses parties intimes, est une pratique acceptée en Occident, au nom de la liberté cette fois, et dans une moindre mesure, de la mode vestimentaire, alors que ce fait social, est rejeté dans les sociétés Africaines et Arabes, où le corps de la femme doit être décemment couvert, au nom du principe de pudeur et d’une sagesse élémentaire (interdiction de provoquer inutilement les pulsions et les émotions humaines). La polygamie est admise en certains lieux, pourtant elle est bannie sous d’autres cieux, ou tout au moins, elle est remplacée par l’infidélité, comme substitutif, sauf chez les personnes ayant conservé une certaine morale. Certaines cultures trouvent aujourd’hui, acceptables au nom de la liberté et de la modernité, les liaisons entre personnes de même sexe, et acceptent même l’adultère (qui n’est plus un délit), la pornographie, la prostitution, tout en essayant de les encadrer au nom de la morale, alors qu’ailleurs, elles sont considérées comme une abomination, pour l’instant du moins. Certains peuples trouvent normal de tuer les personnes condamnées à la peine capitale par la (leur) justice, pour des actes qualifiés de graves, par la morale publique. Preuve que la dimension morale des actes est toujours présente dans notre appréciation de ceux-ci, alors qu’elle correspond elle-même, à un moment de notre histoire. Ainsi, d’autres, qui autrefois, la pratiquaient, ont depuis reconsidéré leur opinion sur ce type de justice assassine, et regardent désormais ceux qui continuent de la pratiquer, comme des « barbares ». « Preuve que la morale n’est ni figée, ni universelle. Elle est évolutive. Prétendre à un certain moment de cette évolution, avoir atteint un stade qui nous autorise, sous couvert de mondialisation, à nous considérer comme la boussole de l’humanité, au point de vouloir imposer notre manière de vivre et de penser comme archétype « civilisationnel », c’est faire preuve de vanité et de mépris» (cf. Ecclésiaste, ODCI). Vouloir l’imposer aux autres est une forme de violence culturelle, d’impérialisme culturel, de colonisation culturelle, et d’intolérance intellectuelle. Vouloir embrigader toutes les civilisations du monde, dans un moule de pensée unique, un ordre bien pensant et politiquement correct du point de vue de l’Occident, c’est vouloir imposer la domination d’un modèle qui nie l’identité des autres peuples, et cela renvoie aux pages sombres de l’histoire l’humanité (esclavage, guerres saintes, colonisation). Cette prétention est perçue dans le monde musulman, comme une tentative, de « civiliser » l’Islam, de le déposséder de son patrimoine culturel et de sa tradition, jugée rétrograde et obscurantiste par l’Occident. Cette perspective, conduit à penser sous cet angle, que l’affaire « Charlie Hebdo » est une confrontation des intolérances et des extrémismes, car de la même manière, que les prescriptions et les traditions, qui font interdiction de dessiner le Prophète SAAWS, à plus forte raison de le caricaturer, est une valeur interne à l’Islam, qui à ce titre, ne lie que l’Islam lui-même et sa « Oumah » (le peuple musulman transfrontalier), et seulement lui. Cette prescription ne saurait s’appliquer aux autres religions et cultures. De la même manière, la liberté d’expression dans sa conception et sa forme française ou occidentale, ne concerne et ne lie exclusivement que le peuple Français et l’Occident. Vouloir en faire une norme universelle, ou vouloir l’imposer aux autres, en refusant la réciprocité de ce principe d’exclusivité, est tout aussi inacceptable et insupportable, de la part de l’un comme de l’autre. C’est de l’intolérance doublée au cas d’espèce, d’ignorance. Nous sommes dans la confrontation des modèles, avec leurs extrémismes et leurs intolérances. En revanche, l’acte d’ôter la vie dans cette confrontation des systèmes de références, est contraire aux valeurs les plus fondamentales de l’homme, que ce soit en Islam ou en Occident, dans la spiritualité ou dans la laïcité, et c’est précisément le religieux qui a été le premier à sacraliser la vie. Les États sécularisés ne se réclament pas encore de cette sacralité, puisqu’ils l‘opposent à la laïcité et à la liberté, car c’est au nom de ces dernières, que l’on peut se moquer du sacré et insulter la foi. Or, contrairement aux apparences, l’unanimité sur le cas « Charlie Hebdo » porte davantage sur la sacralité de la vie (principe religieux), et non sur l’universalisme de la liberté d’expression (principe laïque). Paradoxalement, c’est au nom d’un principe religieux, que se fait la condamnation des attentats de « Chalie Hebdo » et de la « Porte de Vincennes), et non d’un principe de laïcité, comme on a bien voulu le faire croire (politique et médias). Or, les États sont mal fondés à se réclamer de la sacralité de la vie, car il font des guerres, qui tuent massivement des innocents, au nom d’autres principes et valeurs qu’ils placent au-dessus de la vie humaine, et légitiment l’acte de tuer dans ses valeurs patriotiques (décoration du soldat qui gagne la guerre par exemple, en oubliant qu’il a massacré et détruit des vies) et dans son droit (chaise électrique, guillotine, ). D’ailleurs, les djihadistes engagés dans des guerres de libération territoriales (Palestine, Afghanistan, etc..) assimilent leurs actes « terroristes » à des actes patriotiques. En institutionnalisant l’indignation sous l’égide d’un État, en l’occurrence la France, certaines contradictions devenaient manifestes.
A) – Au plan de la politique intérieure, la France et l’Europe, sont confrontées à un phénomène nouveau, le « djihadisme » de ses ressortissants pour une cause et des intérêts qui ne sont pas les leurs, on parle de 5.000 personnes. Le phénomène inquiète, mais pose surtout la question de savoir, comment ces États en sont venus, à ce que ses propres ressortissants se retournent contre eux, et en viennent à lever les armes contre leur propre patrie, comme dans le cas de « Charlie Hebdo ». Il interpelle leur capacité d’intégration, qui questionne à la fois, leurs pratiques sociales discriminatoires et leurs politiques publiques d’intégration, mais surtout de correction des inégalités et de promotion des minorités. Le constat d’échec est patent, et le président Barack Obama, a pointé, à juste raison, le fait que les musulmans et les citoyens issus de l’immigration (maghrébine et noire), n’étaient pas acceptés et considérés en l’Europe, comme des citoyens Français ou Européens à part entière. La conséquence immédiate de cette attitude sociale, est de faire que ceux-ci ne se sentent pas à leur tour, véritablement Français et Européen. Cette situation pousse les plus vulnérables à rechercher une identité marginale en dehors de l’identité nationale, car ils sont l’objet au quotidien d’amalgames, de stigmates sociaux, mais surtout d’une catégorisation et d’un racisme insidieux. Ces comportements ne constituent pas une spécificité Française ou Européenne, on les observent aussi, dans les pays Arabes, aux USA, en Russie, en Chine et ailleurs, à l’égard soit des noirs, soit des musulmans, soit des deux. La différence provient du fait que ces minorités, dans le cas qui nous occupe, sont (devenues) des nationaux. En les excluant économiquement (précarité et conditions miséreuses), en les parquant dans la périphérie (banlieue et ghettos), et en les culpabilisant constamment, ils en sont arrivés à se détacher des normes et valeurs qui fondent l’unité et la cohésion de la communauté nationale (sentiment d’appartenance, harmonie du vivre ensemble, partage d’intérêts et des valeurs). Il est profondément injuste de faires porter aux musulmans nationaux, et à tous les musulmans en général, la responsabilité des actes d’une minorité de fanatiques et de criminels. Personne n’a le droit de pousser des concitoyens à baisser la tête, à cause de leurs convictions religieuses, dans un pays laïque (impartialité de l’État) qui prône la liberté de conscience, de culte, et d’expression. Cette injustice sociale est douloureusement vécue par les Français issus de l’immigration (Arabes ou Noirs). Ce racisme est même parfois assumé publiquement. Ainsi, nous avons pu voir en Italie, une ministre d’origine africaine, menacée et insultée, tant par ses collègues ministres que par les populations dites autochtones, dont le seul tort était d’être noire, et d’occuper un poste ministériel. En France on a vu la garde des sceaux, Madame Taubira, ministre de la Justice, être traitée de singe (stéréotype du noir dans l’imaginaire Occidental). Mais, on l’a aussi vu ailleurs, notamment aux USA où un sénateur a violemment interrompu le Président Obama, en le traitant de menteur. On pourrait multiplier les exemples, même les espaces de communion et de ferveur collectives, tels que les stades de football, ne sont pas épargnés (certains joueurs tels que Étto, ont été traités de singes). Ces discriminations « biologisantes », ces assignations identitaires, ces caricatures simplistes et déformatrices de l’autre (musulman=terroriste potentiel) sont dangereux en ce sens, qu’ils minent la cohésion des sociétés occidentales, et qu’ils fabriquent en leur sein, des révoltes multiformes, qui conduisent aux extrémismes et à la radicalisation. Ce sont des représentations monolithiques de cet « autre », cet étranger d’une « citoyenneté d’une autre catégorie » (les Français sur papier dit le Front National), de cet être « différent » de nous, par la biologie et la culture, qui pourtant, est notre concitoyen, avec lequel nous devont vivre en harmonie. Ces attitudes diffuses et sournoises, tendent à rassurer, ceux qui ne sont plus en phase avec les évolutions de la société et du monde, quant à la conservation de leur propre identité, qui leur donnaient autrefois, une tonalité de sécurité et une impression d’unité et de cohésion, alors que dans la réalité historique et sociologique, l’identité française est plurielle et évolutive. « La croyance que rien ne change, provient soit d’une mauvaise vue, soit d’une mauvaise foi. La première se corrige, la seconde se combat (F. Nietzsche). De fait, toute la complexité du problème est là, car ces attitudes traduisent d’avantage des peurs et des doutes, que de l’intolérance à l’égard de cet « autre moi », d’un nouveau type, alors même, que le phénomène des migrations, augmente en intensité dans le nouveau contexte de la mondialisation. Dès lors, « il augmente l’insécurité et les peurs de façon proportionnelle, et contribue à développer des réactions souvent irrationnelles, et en tout cas, peu raisonnables. Les cercles de nos appartenances se sont inversement et proportionnellement restreints, et sont devenus de plus en plus exclusivistes : nous devons avoir une identité, appartenir à une communauté, à un groupe, et nous lui devons notre absolue loyauté. » (T. Ramadan). C’est précisément dans ces cercles périphériques de l’exclusion sociale, que se tissent les solidarités communautaires et se construisent les nouvelles identités marginales, en rupture, voire en opposition, avec les valeurs de la communauté nationale et de la cohésion sociale de l’ensemble citoyen. Ces dernières produisent à leur tour, en réaction aux préjugés négatifs et culpabilisants qui les frappent, des rejets défensifs et symétriques, qui cristallisent leurs révoltes et frustrations. Le milieu carcéral, comme réponse politique, sert d’amplificateur à la marginalisation et à la radicalisation, et prédispose à l’opportunisme du recrutement ou de l’engagement djihadiste, pour affirmer sa nouvelle identité. Le défi de la France et de l’Europe est donc de construire une nation, sur une identité plurielle (religieuse, culturelle et ethnique).
B) – Au plan de la politique extérieure : Il est certain, que la présence de la France, aux côtés de certaines puissances occidentales (américaines et Européennes), sur des théâtres de combat, où opèrent des « djihadistes », en fait un ennemi, pour ceux-ci. La France qui l’a peut-être oublié, redécouvre brutalement qu’elle est en guerre. En choisissant la force, la violence, et la terreur conventionnelle d’État, pour la mener, au nom d’un modèle de règlement des différends pouvant surgir dans le monde, nous nous sommes enfoncé dans une impasse meurtrière, régie par la Loi du plus fort. La trompeuse légalité des résolutions de l’ONU, autorisant l’usage de la force, ne s’applique qu’aux États les plus faibles. Par ailleurs, certains États comme Israël, peuvent les fouler au pied sans conséquence aucune. Ce déséquilibre dans l’administration de la justice internationale, interpelle la conscience du Tiers Monde (les ¾ de l’humanité), et démontre à l’évidence une volonté de domination par la force, qu’une opinion majoritaire rejette. Lorsqu’on renonce aux instruments diplomatiques et politiques pour résoudre les crises, et qu’on prend la fâcheuse habitude de jeter des bombes sur la tête « des autres », sous des prétextes fallacieux qui cachent en réalité des intérêts, il faut s’attendre quelque part, à ce que ces opprimés, réagissent à un moment ou un autre, avec les moyens qu’ils ont auront choisi et dont ils disposent. Avant les attentats du 11 Septembre 2OO1 aux USA, le seul foyer « djihadiste » identifié comme tel, était la République Islamique d’Afghanistan des moudjahiddin (1992_1996 et des talibans1997-2001), engagé dans des guerres de libération et d’indépendance. La modification substantielle de cette donne, est intervenue après la première guerre d’Irak (tempête du désert menée au nom de la démocratie), avec l’installation de bases militaires Américaines en Arabie Saoudite, terre sainte de l’Islam. Depuis lors, nous avons réussi avec ce modèle ou cette politique, à multiplier lesdits foyers par 10. Il résulte de ce constat, que la dissémination de la violence terroriste, en est la conséquence, et celle-ci engage la responsabilité de l’Occident. Quand W. Bush, sur le fondement d’un mensonge avéré, et sur la base de motifs contestables, décide de détruire l’Irak pour éliminer Sadam Hussein, c’est des centaines de milliers de vies de personnes innocentes qui sont détruites, sans que cela ne soulève une indignation, de ceux qui prétendent aujourd’hui, défendre la valeur de la vie humaine, et sans que la conscience Française et Occidentale ne s’émeuve. Après cette opération l’Irak est devenu un vaste chantier pour les « djihadistes » de tous bords. Quand pour faire taire Kadhafi et l’éliminer, la France et l’OTAN, en violation flagrante des décision de l’ONU, et au mépris du droit international public, décident, pour des motifs toujours contestables, de détruire la Libye et avec elle, des centaines de milliers de vies humaines, ceux qui aujourd’hui défendent le respect de la vie et le principe de la liberté, étaient silencieux et approuvaient. Après cette opération, la Libye est devenue aussi, un vaste chaos et un vivier terroriste très fertile, où foisonnent toutes sortes de djihadistes, au point qu’on ne sait plus, qui est qui, et qui y fait quoi. Quand on a voulu abattre le régime de Damas, l’Occident a soutenu et armé son opposition, créant ainsi une guerre civile qui a fait encore des centaines de milliers de victimes innocentes, détruit un pays, et fait de celui-ci encore, un vaste chantier terroriste, qui a permis la naissance et la formation de l’E.I, qui vient précisément de frapper la France par sa branche yéménite. Il ressort de ce qui précède, que ces guerres injustes, sont massivement meurtrières, on parle de crimes contre l’humanité, et que les champs où fleurissent le terrorisme et le « djihadisme », sont fabriqués de toutes pièces par l’Occident. L’E.I. est l’enfant, certes monstrueux (Villepin), mais l’enfant tout de même de l’Occident et non de l’Islam. La Palestine est dans une guerre de résistance et d’indépendance, elle se bat pour un territoire et pour exister en tant qu’État-nation, on ne peut pas objectivement l’assimiler à un mouvement terroriste, comme le fait l’Occident, par complaisance. Toute cette réalité est perçue, comme une forme d’injustice, mais surtout de hiérarchisation de la valeur qu’on donne à la vie, selon qu’on est directement concerné ou pas, selon que cela se passe sur notre territoire national ou pas. Cette hiérarchisation de l’horreur en fonction des aires géographiques, des auteurs de ces crimes massifs, et des peuples qui les subissent, à décrédibiliser la défense des valeurs que la France avance, dans le cas de « Charlie Hebdo » et a provoqué une désolidarisation, en face d’une émotion sélective et nationaliste. Aujourd’hui la responsabilité de l’Occident est clairement interpellée dans la création et la dissémination du terrorisme dans le monde. Le rôle hypocrite et déformateur de la presse Occidentale est également mis en cause à cette occasion, car non seulement elle ne situe pas objectivement la problématique, mais elle défend des intérêts partisans. Ce cynisme n’est plus accepté dans le monde. Malcom X, disait à juste raison, « si vous n’êtes pas vigilants, les médias arriveront à vous faire détester les gens opprimés, et à vous faire aimer ceux qui les oppriment » et Jean Paul Sartre d’ajouter, « je déteste les victimes quand elles respectent leurs bourreaux ». Elles apparaissent d’autant plus méprisables aux yeux de leurs peuples, lorsqu’elles veulent défendre ces derniers. Ceci explique pourquoi les pays musulmans ont condamné, mais sans accepter la provocation qui a suivi ce drame, cette façon de dire « on a pas peur, on continue dans la caricature du Prophète SAAWS », qui est une bonne chose en soi, pour l’âme de la nation (regain de vitalité et sursaut) comme disait Renan, mais un très mauvais signal pour les autres, qui n’ont jamais adhérer à cette ligne éditoriale et cette vision du monde. Le monde musulman qui a payé le plus lourd tribu au terrorisme et au fanatisme, (Algérie, Soudan, Mali, Nigeria, Irak, Afghanistan, Libye, Syrie, etc …), on parle de millions de morts, n’accepte pas non plus de recevoir de leçons, ou d’être pointé d’un doigt accusateur, tandis qu’aucune mobilisation pour leur cause, ne les a jamais soutenu dans sa lutte contre le terrorisme. D’ailleurs, beaucoup s’interrogent sur les circuits de financement du terrorisme. On ne lève pas une armée de 50.000 hommes, sans ressources, sans logistique et sans équipement. D’où viennent ces armes, quand on sait que ces groupes n’en fabriquent pas ? D’où viennent les financements nécessaires à l’acquisition de ces armes ? Toute réponse politique, qui s’en écarte, pour confisquer la démocratie (promotion de la peur, inquisition policière, et restriction des libertés), occulte, ou élude en réalité le problème. En effet, « Les États-Unis ainsi que les pays européens n’ont aucun problème à négocier avec la sorte d’islamisme, promue par les salafi littéralistes que l’on trouve dans de nombreuses pétromonarchies: ces régimes peuvent bien s’opposer à la démocratie ainsi qu’au pluralisme, ils n’entravent néanmoins, d’aucune manière les intérêts économiques et géostratégiques occidentaux dans la région, ou au niveau international. Ils comptent même sur le soutien de l’Occident pour survivre: cette dépendance utile est suffisante à l’Occident pour justifier une alliance objective – avec ou sans démocratie ». (Tariq ramadan) j’ajouterais: « ou qu’ils financent ou pas le terrorisme, et certains groupes « djihadistes ». L’Occident, fait d’ailleurs la même chose, en croyant soutenir des oppositions au régimes qui gênent ses intérêts. Les cas de la Syrie et de la Libye sont là, pour nous le rappeler. Toute réponse sociale visant à normaliser la stigmatisation, ne fait en réalité que mettre du feu sur l’huile, en poussant des concitoyens à l’extrémisme et à la radicalisation. À force d’assignations, les gens finissent par devenir, ce qu’on dit et pense d’eux. Ils s’approprient l’identité qu’on leur donne de l’extérieur, « Les gens nous font et nous mangent » disait le philosophe Alain.
Beaucoup de contradictions sont apparues à l’observation de l’union sacrée, voulue par la France. L’on ne saurait se réunir pour défendre la liberté d’expression, en excluant de ce mouvement unitaire, une frange de la population Française, représentée par le Front National (20%), même si l’on ne partage pas ses convictions et ses idées. Cette exclusion n’est ni un symbole d’unité, ni un symbole de liberté. On ne saurait réunir, sans prêter à sourire, des personnalités qui nient les libertés démocratiques à leurs propres peuples (certains Présidents Africains) et qui se montrent peu soucieux de la mort de milliers de leurs propres frères, par la même méthode assassine et cruelle (Boko-Haram, Nigeria), ou des personnalités qui bafouent impunément les droit humanitaires et refusent aux autres une existence en tant qu’État-nation (Président Israélien). Mais le plus triste et le plus choquant de cette récupération politique, fut le fait de voir un défilé Républicain, qui affirme sa laïcité et son unité, finir dans un lieu de culte particulier (une synagogue) . Si les victimes Juives de l’hypermarché Kasher (paix à leur âme) sont Françaises, pourquoi exprimer sa compassion et sa solidarité en dehors de l’espace Républicain, comme pour les policiers morts en service et les journalistes de Charlie Hebdo (paix à leur âme) ? Si elles sont Israéliennes pourquoi ne pas exprimer celles-ci, à l’ambassade d’Israël en France comme c’est l’usage dans les relations entre États ? En légitimant une identité plurielle, comment la refuser « aux autres » ? En légitimant un communautarisme, qui se heurte au principe constitutionnel de l’égalité des citoyens, comment s’y opposer en même temps, sans incohérence ? En se rendant dans une synagogue, non pas à titre personnel ou individuel, mais en tant que représentation nationale, comment affirmer en même temps l’impartialité et la laïcité de l’État ? En prenant le temps de l’analyse critique, pour examiner sérieusement les faits, on comprend que le chemin à parcourir est long, et on comprend aussi, que la mobilisation et l’unité se dissolve, en face d’une confrontation de symboles, comportant autant de contradictions. Un autre grand symbole, en la personne du pape, a déclaré un principe et une position (le respect de la foi des autres), que s’ils avaient été tenus par toute autre personne que lui, aurait valu à son auteur, réprobation, suspicion, voire accusation pour justification à la tuerie de Paris. Toujours dans le registre des symboles, la mise en garde et en examen de Dieudonné est venue contredire une fois de plus, la liberté d’expression qu’on prétend défendre, et démontrer l’application sans discernement, d’une loi répressive, visant des cibles prédéfinies. Tous ces faits ont fini par décrédibilisé le mouvement, et il en est sorti qu’une seule chose, la condamnation unanime de l’attentat à la vie, sur la base d’un principe religieux, la sacralité de la vie, qui fonde notre humanité, avec une valeur égale pour tous les hommes, quels qu’il soient, et où qu’ils soient.
Auteur : SOUMAREY Pierre
Écrivain et Essayiste