Echevinage systématique et dénaturation de la justice par les pairs, délais de traitement des affaires encore allongés au lieu d’être raccourcis… dans les conseils de prud’hommes, le projet de loi Macron et sa réforme des prud’hommes font peur.
Rendre la justice prud’homale plus qualitative – 65 % des décisions sont portées en appel – et réduire les délais de traitement des affaires, alors que la France est régulièrement condamnée pour cette lenteur.
Tels sont les deux objectifs affichés de la réforme proposée dans le projet de loi activité et croissance, qui est étudié à l’Assemblée nationale en commission spéciale à partir de ce 12 janvier, et soumis au vote des députés à partir du 26 janvier. Une réforme qui est loin de faire consensus.
Premier point d’achoppement, le recours plus fréquent au juge professionnel.
Actuellement, la procédure débute par une phase devant un bureau de conciliation. Si aucun accord n’est trouvé, les parties passent alors devant un bureau de jugement (BJ) : la fameuse audience publique. Si aucune décision ne ressort du BJ car il y a partage des voix, l’affaire est envoyée devant une formation de départage, avec un juge professionnel départiteur. Le projet de loi Macron prévoit la possibilité, si toutes les parties sont d’accord, de passer directement de la conciliation à cette formation mêlant conseillers prud’hommes et juge professionnel.
La fédération note comme : “Une entorse au principe du jugement par les pairs, ce renvoi direct au juge départiteur”,
En outre la FIPCOM souligne que ce dispositif va à l’encontre du principe du “juge naturel” qui veut que l’on ne choisisse pas son juge.
Quand, dans les conseils de province, comme celui de Basse terre, où il n’y a qu’un seul juge départiteur, les parties sauront de fait qui sera le juge professionnel qui traitera leur affaire.”
“Un juge professionnel n’a jamais mis les pieds dans une entreprise”
Du côté des juristes défenseurs de salariés ou d’employeurs dans les Prud’hommes, la réforme aurait a priori de quoi réjouir : le juge professionnel a tendance à appliquer la loi plus strictement, à se référer sagement à la jurisprudence de la cour de Cassation.
“On sait d’avance mieux à quoi s’en tenir », pourrait on admettre. Mais parfois, la loi, la jurisprudence, sont trop violentes. Il faut temporiser. Les conseillers prud’hommes ont une façon plus humaine de traiter les affaires.”
Une position plus compréhensible par le fait que les conseillers connaissent la réalité de la vie en entreprise ce qui leur permet d’avoir un regard différent dans l’appréciation des faits. Ils peuvent savoir si une faute est vraiment grave ou pas, si la sanction est vraiment proportionnelle à la faute. Dans quel cadre, le problème est survenu.
Un juge professionnel qui n’a jamais mis les pieds dans une entreprise, ne dispose pas du recul nécessaire à l’appréciation de la situation.
Procédure accélérée
Dans le but de raccourcir les délais de traitement des affaires
– il faut en moyenne quinze mois pour qu’une affaire soit traitée,
– vingt-sept mois en cas de départage
– le projet de loi Macron instaure également une procédure accélérée lorsque le litige porte sur un licenciement ou une demande de résiliation judiciaire (c’est-à-dire la majorité des affaires).
– Concrètement, il s’agit, lorsqu’il y a échec de la conciliation et que les deux parties sont d’accord pour le faire, de pouvoir passer devant un bureau de jugement en formation restreinte, comprenant seulement un conseiller salarié et un conseiller employeur (contre deux et deux, dans une formation classique).
– Cette formation restreinte devrait statuer dans un délai de trois mois. S’il estimait que le dossier ne relève pas de sa formation, ou en cas de partage entre les deux juges, l’affaire serait envoyée en départage.
Des renvois multiples à prévoir
Par expérience, nous jugeons le délai prévu de trois mois donné au BJ pour rendre son jugement trop court.
“Il y aura énormément de renvois pour cause de contradictoire non respecté, et cela ne va pas être de nature à raccourcir les délais !”
Une affaire n’est en effet jugée que si les adversaires se sont communiqués mutuellement leurs arguments et leurs preuves. Et cette “mise en état” prend du temps.
Nous constatons que les avocats n’ont pas d’autres choix que de prendre le plus de dossiers possibles, ils n’ont pas le temps d’aller aussi vite.
Il risque donc en effet d’y avoir beaucoup de renvois.
” Vouloir imposer des délais ultra courts n’est pas nouveau, et reste souvent un voeu pieux.
La loi datant de juillet 2014, instaure, dans une volonté d’accélérer la procédure prud’homale en matière de prise d’acte de rupture du contrat de travail, l’obligation, pour le bureau de jugement devant lequel l’affaire est porté sans conciliation préalable, de statuer au fond dans le délai d’un mois suivant la saisine. Un délai absolument pas respecté aujourd’hui.
“Ce qu’il faudrait, c’est, comme le préconisait le rapport Lacabarats rendu à Christine Taubira il y a quelques mois, une mise en l’état réelle, autrement dit une obligation pour les parties, avec sanctions à la clé en cas de manquement, de communiquer les pièces en temps voulu.
Le constat est unanime: la juridiction du travail, dans son mode d’organisation actuel, ne fonctionne pas dans des conditions conformes aux exigences des standards européens et connait de graves carences.
Faire traîner les dossiers est devenu un moyen de défense des avocats, qui se permettent de communiquer les pièces la veille de l’audience.”
Manque de moyens.
Au-delà du délai, la mise en place même d’une formation restreinte n’est pas vue d’un bon oeil. “Pourquoi ajouter de la complexité là où ce n’est pas nécessaire ?
On crée un nouvel itinéraire, sans faire disparaître la voie classique.” Avoir deux fois moins de juges par audience permettrait de traiter deux fois plus d’affaires, nous répondra-t-on. !!
A condition que soit octroyés des ressources supplémentaires à une justice du travail pas réputée pour être la plus riche.
Le Conseil de Basse Terre souffre comme les autres Conseils de l’hexagone de manque de moyens matériel, technique, humain “Au départ nous allons devoir organiser des audiences en plus, qui vont se superposer à celles déjà prévues. Or, nous ne pouvons que constater que nous manquons de salles et de greffiers, de moyen et de matériel informatique. Etc… « Dès le départ, nous allons donc prendre du retard.” La procédure accélérée pourrait donc conduire à l’effet inverse à celui recherché.
Formation initiale des conseillers prud’hommes
A côté de ces mesures assez largement contestées, d’autres trouvent davantage d’écho. C’est le cas de la professionnalisation des conseillers prud’hommes, avec l’instauration d’une formation initiale. Les employeurs devraient accorder pour cela cinq jours d’absence à leurs collaborateurs conseillers. Tout conseiller qui n’aurait pas satisfait à l’obligation de formation initiale serait réputé “démissionnaire”. “Même si la durée prévue de cinq jours s’avère un peu ridicule, cette formation initiale est une nécessité car on constate malheureusement un niveau de compétence inégal entre les conseillers”
Procédures disciplinaires
Le texte envisage également un renforcement des procédures disciplinaires à l’encontre des conseillers prud’hommes, n’oublions pas que avec l’instauration d’une commission nationale de discipline pouvant délivrer des sanctions allant du blâme à la déchéance en passant par la suspension. Mais également, en dehors de toute action disciplinaire, la possibilité pour les premiers présidents de Cour d’Appel, de donner un avertissement aux conseillers prud’hommes des conseils relevant du ressort de leur juridiction.
Rappelons que les conseillers prud’hommes exercent à titre bénévole.
“Evidemment la majorité des conseillers prend des décisions raisonnables, mais quand ce n’est pas le cas, il n’y a aujourd’hui aucune sanction”.
Groupement des contentieux
Enfin, le projet de loi activité et croissance prévoit un groupement des contentieux, pour des litiges pendants devant plusieurs conseils des prud’hommes situés dans le ressort d’une même Cour d’Appel. Plusieurs affaires peuvent concerner la même entreprise, pourtant actuellement elles sont toutes jugées une par une, avec le risque que chaque juridiction saisie rende une décision différente sur des faits similaires.
Reste à voir comment ce regroupement peut s’organiser en pratique.
Au sein de la commission spéciale de l’Assemblée Nationale , le sujet de la réforme des prud’hommes a été confié au député frondeur Denys Robiliard…
La FIPCOM a remis au Député Gibbs son analyse ainsi que la lettre faite par le Président du Medef Pierre Gattaz.
A suivre lors du vote le 26 janvier
Michel Vogel, 1er conseiller de St Martin depuis 2003.