“Aller photographier la Guadeloupe et se faire racketter par l’Etat”

par Stéphane Scotto

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“Aller photographier la Guadeloupe et se faire racketter par l’Etat” – par Stéphane Scotto
Par Autre 16 Mar 2015 14:26

Comment l’Etat et l’administration française peuvent, avec leurs règles d’un autre temps, empêcher un photographe de paysages marins de travailler dans les DOM.

Je me serais bien passé de cette mésaventure qui, je l’imagine, va vous exaspérer autant que moi.

Voici donc quelques mois que je suis en Guadeloupe pour explorer et photographier les Antilles françaises. Les hivers sur le Bassin d’Arcachon me semblent de plus en plus long et pluvieux et j’avais envie de reprendre les grands voyages, comme ceux que je faisais aux USA. J’aime rester plusieurs mois dans un autre pays. Cela permet de rentrer en immersion et de prendre son temps pour photographier les paysages avec les bonnes lumières. Et dans ma spécialité, c’est essentiel de prendre son temps.  J’ai donc choisi le sublime archipel de la Guadeloupe comme nouveau sujet. Je n’ai aucune commande, c’est une démarche de ma propre initiative. Cela veut dire que je ne sais pas encore ce que deviendront mes photos. Bien sûr elles iront alimenter PixPalace, la banque d’image qui fournit en photos plus de 400 magazines, et bien entendu je proposerai les plus belles, les plus originales en tirages grands formats à un public d’amoureux de la Guadeloupe. Comme il n’y a aucun moyen aux Antilles de traiter des films argentiques moyen format, j’ai décidé de franchir le pas et d’investir dans le tout nouveau Pentax 645 Z. Un gros boitier moyen format numérique de 51 Millions de pixels doté en plus de la fonction vidéo. Avec cette bête j’étais assuré de produire de la très haute qualité tout en étant parfaitement autonome. Je me suis donc soulagé de près de 10 000 € dans ce nouveau matériel en me confortant dans l’idée que c’est quand les affaires ne vont pas bien qu’il faut aller de l’avant, innover, investir. Comme pour conjurer le sort. J’ai donc acheté ce matériel en France, plusieurs mois avant de partir.

Après 8 heures de vol, me voici arrivé hyper motivé dans la Caraïbe. Je passe la douane bagages sans soucis avec ma valise et mon énorme sac à dos photo (format cabine). Personne ne me demande quoi que ce soit. J’arrive dans un département français (et même une Région) ou seule la carte d’identité suffit.

Pendant plusieurs semaines tout se passe bien. Je ne rencontre aucune difficulté particulière. Il faut juste s’habituer aux grèves incessantes devenues un sport national. Grèves d’essence, grèves de l’eau (oui oui vous avez bien lu, une minorité a osé priver les guadeloupéens et les touristes d’eau potable pendant des semaines entières !) et à nouveau grève d’essence (ou rumeurs de grève qui ont le même effet). Sinon, le soleil est là, le ciel est bleu et les cocotiers qui dansent avec les alizés procurent l’apaisement. Un vrai paradis.

Arrive le carnaval, que bien entendu je veux photographier. Je salive à l’avance sur le regard que je vais pouvoir poser sur le défilé avec mon moyen format. Je suis donc en place avec mon superbe Pentax 645 Z en bandoulière. Le défilé de Saint-François démarre et je commence mon travail. Et puis, au bout de 30 minutes, le drame. Celui que tout photographe redoute : la panne d’appareil photo. Je dois dire qu’en 25 ans de métier, je n’ai jamais été en panne d’appareil. Je me retrouve donc stupéfait face à cette situation qui s’annonce radicale. En effet, il semble que le ressort du bouton de déverrouillage des optiques à lâché et il est désormais impossible de retirer l’objectif en place pour le remplacer par une autre focale. Je me dis que ce n’est pas possible, que je vais réussir à débloquer ça, qu’il doit y avoir un grain de sable qui coince et que ça va s’arranger. Je m’excite donc pendant plus de 30 minutes sur mon boitier et mon objectif.

Voyant que je n’arriverai à rien, je rentre à pied, désabusé. J’essaye encore de retirer l’objectif, je force mais rien à faire, c’est foutu, il faut se rendre à l’évidence. Comment vais-je faire ? je n’ai que ce boitier. Rien d’autre. Et j’ai un reportage important et intéressant dans deux semaines (Régate de voiliers entre les iles sur 5 jours). L’organisateur ne m’a pas encore validé le devis mais il m’a dit verbalement que c’était ok, alors j’y crois. Il faut ABSOLUMENT que je trouve une solution !

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Le lendemain, j’appelle le commercial de chez Pentax pour lui exposer la situation. Il n’en revient pas de cette panne et se confond d’excuses au nom de la marque. Il me promet de tout mettre en oeuvre pour que je ne sois pas lésé. « Je vous envois un 645 D de toute urgence pour vous dépanner et on va vous réparer le votre en priorité ».

Ainsi donc, j’envois mon appareil à Paris en Chronopost avec assurance maximale de 5000 € (ce qui me coutera tout de même 140 €) et j’attends la réception du boitier de remplacement. Ce sera un appareil de démonstration âgé de deux ans. En fait, l’ancien modèle du mien, moins performant et sans la vidéo, mais pour le reportage à venir cela suffira amplement et de toutes façons je vais récupérer le mien très vite. C’est l’affaire de quelques jours.

Enfin… ça c’était sans compter sur la lourdeur de l’Administration !

Au bout de 4 jours, n’ayant aucune nouvelle du transporteur UPS choisi par Pentax, je me renseigne et je finit par tomber sur le responsable de la société de transport relais d’UPS. (En fait UPS n’est pas directement présent en Guadeloupe). Celui ci m’explique qu’il a bloqué le colis car il faut que je paye 1440 € de taxe d’importation !!! oui vous avez bien lu : 1440 € !  en fait 36 % d’octroi de mer basé sur  la valeur déclarée par Pentax sur le document de transport (4000 €)

Pourtant ils avaient bien précisé : « matériel de prêt suite retour SAV, pas de valeur commerciale » mais les douanes se basent sur la valeur couverte par l’assurance pour justifier le racket organisé par l’Etat. J’explique au transporteur que ce n’est pas possible et qu’il faut trouver une solution. Celui ci me fait comprendre qu’il aurait fallu ne déclarer que 50 € pour ne payer que 36 % des 50 €. Autrement dit : frauder ! Mon urgence étant de débloquer la situation coute que coute, j’en fait part à Pentax qui refuse de rentrer dans ce genre de combine.  Le lendemain, le responsable de Pentax m’annonce qu’ils vont payer les 1440 €. Moi je refuse catégoriquement ! c’est du racket et il n’est pas question de céder.

Je décide de prendre le taureau par les cornes et d’essayer de contacter un responsable des douanes. Je finit par l’avoir au téléphone. Il m’écoute, puis me passe un sermon comme quoi j’aurais dû faire les choses dans les règles c’est à dire passer par un transitaire et remplir un document d’entrée provisoire sur le territoire avec date de sortie fixe. Je lui répond que je n’en savais rien et que chez Pentax on ne se doutait pas que la Guadeloupe étant un département français, les choses puissent être aussi compliquées. J’ajoute que c’était à UPS de leur signaler cette subtilité et que nous sommes de bonne foi. Sensible à mes arguments, il finit par me proposer de venir le voir dans son bureau à l’aéroport demain matin avec une déclaration « de bonne foi » en trois exemplaires. Je ne vis pas en Guadeloupe et je n’ai pas d’imprimante. Je me débrouille donc pour trouver quelqu’un qui pourra m’imprimer la paperasse.

Et le lendemain matin, je me tape une heure de voiture pour aller aux douanes du fret aérien (c’est sûr que je n’ai que ça à faire !) . Là, je rencontre le directeur des douanes qui me reçoit dans son bureau et m’explique que j’aurais dû déclarer tout mon matériel avant de partir de métropole. Il me précise que tout ce qui rentre en Guadeloupe est soumis à des taxes et que je ne déroge pas à la règle. Je lui explique que c’est la première fois que j’entends ça, que je voyage régulièrement sur d’autres continents et qu’on ne m’a jamais posé le moindre problème. Que de plus, la Guadeloupe est un département français et qu’il est aberrant qu’un photographe indépendant français doive déclarer son matériel et payer des taxes alors même qu’il vient photographier les paysages de Guadeloupe et que ses photos serviront peut-être à promouvoir le tourisme de l’ile. Mais il me rétorque (et il n’a pas tord) que ça il faut le dire au législateur, lui est là pour faire appliquer les règles.

Au final il me fait une faveur et me signe le papier « à titre exceptionnel » et je repars donc avec mon appareil de secours.

En quittant son bureau je lui demande :  » et pour mon appareil qui va être réparé, comment je fait pour le récupérer ? » sa réponse : « ah non ! là il faut que vous alliez demander un carnet ATA à la CCI de Pointe à Pitre. Allez les voir ils vous expliqueront ».

Quand la balle est renvoyée dans une autre administration, alors là tu peux te dire que tu vas vivre un enfer…

Le lendemain, j’appelle donc la CCI de Guadeloupe et je demande le service concerné. Le nom du service c’est « Appui aux Entreprises » ,  avec un nom pareil, je me dis donc tout naturellement qu’on va y arriver. Mon optimisme est vite rattrapé par la nonchalance d’une dame qui m’explique qu’il fallait que je déclare mon matériel au départ de Bordeaux à l’aide d’un carnet ATAet qu’elle va m’envoyer un… devis ! Effectivement quelques minutes plus tard je reçois son devis. Le carnet ATA ne coute pas moins de 380,99 € et n’est valable que pour 5 voyages avec un plafond de matériel à 11 000 €. Selon elle il faut l’utiliser à chaque fois qu’on se déplace dans les DOM et… en Europe !!! il y aussi une proposition à 250 € pour un seul coupon. Je commence à enrager en découvrant en plus toute la paperasse qu’il faut fournir pour acheter le fameux carnet de coupons. Mais le summum va être atteint quand elle va m’envoyer quelques instants plus tard un autre mail pour m’annoncer que de toutes façons elle s’est renseignée auprès de la CCI de Bordeaux (dont je dépend) et que dans la mesure où il aurait fallu le faire au départ de Bordeaux et bien il ne peut y avoir de rétroactivité et donc il n’y a pas de solution !

Me voici donc dans l’impasse. Cette fameuse impasse administrative insupportable à laquelle nous sommes tous confrontés un jour ou l’autre et que nous vivons comme une injustice. Que ce soit les disfonctionnements du RSI, une amende injustifiée, une erreur administrative, un dossier égaré, une usurpation d’identité, à chaque fois la victime se sent impuissante et abattue face à un mur infranchissable qui est celui de l’ADMINISTRATION.

Là je peux le dire, je suis dépité, dégouté, scandalisé, écoeuré. Alors que j’apprend au même moment que la famille royale du Quatar ne paye aucune plu-value sur ses transactions immobilières en France, moi, petit photographe indépendant, qui se bat chaque jour pour assurer sa subsistance, qui n’a droit à rien, ni congé maladie, ni chômage, et certainement ni retraite, je dois dépenser mon temps, mon énergie et mon argent à remplir de la paperasse, payer des taxes, uniquement pour avoir le droit de voyager DANS MON PROPRE PAYS avec mon matériel photo !

Aucun pays démocratique au Monde ne se comporte aussi injustement  avec ses propres concitoyens. Le simple fait de devoir déclarer son matériel n’est ni plus ni moins qu’une suspicion de culpabilité de fraude. Oui en France, tandis que des parlementaires eux fraudent à coup de millions en toute impunité, se payent des biens immobiliers avec leurs indemnités  et continuent de se pavaner sur les bancs de l’Assemblée, nous petits indépendants, artistes, artisans, commerçants, gérants de PME, nous devons nous soumettre à des règles absurdes, inventées par des énarques qui ne connaissent rien de la vraie vie et qui nous assomment de leur sens aigüe de la complexité ! Je ne me sens aucunement « populiste  » en faisant un tel constat. Juste un sentiment d’injustice et de gâchis.

Je suis en colère contre ces gens qui nous parlent de « choc de simplification » et qui dans le même temps, font tout le contraire !

Un ami m’a écrit hier : « et maintenant ? cette situation elle profite à qui ? à quoi ?  »  C’est tellement absurde.

Dans quelques jours, j’irais à St Barth photographier un évènement exceptionnel : la Bucket Regatta. Je ne serais pas au top puisque je ne peux pas rapatrier ici mon propre appareil photo. je vais donc me contenter de celui que Pentax m’a envoyé en secours et je ferais de mon mieux.

En résumé : je suis puni d’avoir investi dans du matériel haut de gamme et performant. Un photographe amateur ou un « faux »tographe qui utilise du matériel basique et peu coûteux, lui ne serait pas soumis à toutes ces tracasseries. Il se le ferait envoyer en simple collisimo et passerait au travers des mailles du filet. Mais moi je me peux pas prendre le risque de faire voyager 10000 € de matériel avec une assurance limitée à 800 €. Tirer la qualité vers le bas, décourager les plus dynamiques et ceux qui prennent des risques, voilà la politique qui est menée depuis plus de 20 ans en France. Et aujourd’hui j’en suis victime.

Alors ami photographe qui a eu la patience de lire cet article jusqu’au bout, tu es aujourd’hui informé qu’à chaque fois que tu voyage en Guadeloupe et dans les DOM, si tu ne t’es pas soumis au racket organisé, et au jeu de la paperasserie administrative, tu prends un risque, celui de te voir confisquer ton matériel par les douaniers, à l’arrivée ou au départ.

Et à ce stade de mon billet et de mon exaspération je vais me permettre un avis personnel :  les premières victimes de cette barbarie administrative sont les guadeloupéens eux-mêmes, qui au quotidien se font racketer, notamment par la grande distribution, en payant leurs achats 30 à 50 % plus cher qu’en métropole. Tout ceci pour alimenter les dépenses considérables de la Région Guadeloupe qui a acheté la paix sociale en fonctionnarisant 40 % de la population active.

Et oui, un photographe qui se déplace plusieurs mois sur un territoire pour le photographier, observe, se renseigne, s’imprègne, tente de comprendre… et si on le prive de son outil de travail, il peut toujours s’exprimer par la parole ou l’écrit.

Voilà, c’est fait. Et maintenant ça va tweeter sec !

Stéphane Scotto

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