Quand la direction de l’administration de la COM passe aux mains de fonctionnaires issus de l’administration d’etat
Par Alain Richardson, Ancien Président de la Collectivité.
Il fut un temps, où les intérêts de l’Etat étaient généralement, voir systématiquement compatibles avec ceux des autres collectivités territoriales de la République (départements, communes, etc..) ; ce fut le temps où les intérêts des deux se confondaient. En ce temps-là, “l’Administration Publique” était considérée et vue comme une et indivisible.
Avec le temps les fonctionnaires de l’administration centrale ont développé une attitude hautaine et le centralisme qui avait tant servi la France au cours des siècles, s’est révélé un frein à l’expression de la démocratie et au nécessaire développement des territoires. L’Etat s’est rendu aussi compte de son incapacité à traiter réellement et efficacement les problèmes quotidiens des français et leur besoin de proximité du pouvoir. L’ère de la décentralisation et même de la déconcentration commençait a sonné, et un nouveau principe a vu le jour, celui de la subsidiarité (devenu depuis un principe européen et inscrit désormais dans la constitution).
Il a fallu que le pouvoir politique résiste aux torpillages de la haute administration centrale, et lance la première vague de la décentralisation. C’est notamment dans la mise en œuvre de cette réforme, que s’est révélé le fait que les intérêts propres des collectivités territoriales de la République divergeaient à bien des égards de ceux de l’Etat. Nombre de textes pris pour l’application de cette réforme (textes pondus par l’administration centrale) ont cherché à réduire sa portée et ou à causer son échec. Le principal levier utilisé par l’administration d’Etat fut celui des moyens financiers (au passage c’est le même utilisé contre ST-MARTIN lors de la création de la COM). En France, vous voulez faire échouer une décentralisation, un transfert d’autonomie ou la création de nouvelles collectivités ? Transférez les compétences et les responsabilités mais pas les moyens notamment les moyens financiers (cela ne sonne-t-il pas comme une expérience et une réalité connue ici ?).
C’est donc de cette première réforme territoriale et de décentralisation que les élus locaux et l’administration de ces collectivités territoriales ont pris véritablement conscience des divergences d’intérêts et des jeux mesquins de l’Etat et de son administration. Pourtant, l’Etat est les collectivités territoriales sont et doivent rester des partenaires.
Conscientes de la mentalité et du corporatisme de l’administration d’Etat, les collectivités territoriales ont développé une véritable Administration territoriale qui porte désormais l’âme de ces collectivités et qui s’est armée avec l’expérience et aux durs contacts avec les fonctionnaires d’Etat (Préfectures et services déconcentrés de l’Etat). Avec le temps et face à cette réalité, a pris donc corps et a pris son autonomie « l’Administration territoriale ». Elle est distincte et autonome et constitue juridiquement un corps d’administration publique séparée. Les fonctionnaires de l’Administration territoriale (appelés fonctionnaires territoriaux) sont désormais formés et formatés à servir les collectivités territoriales (Régions, Départements, Communes, Collectivités autonomes, etc.) et surtout à défendre les intérêts propres de leur collectivité (ils ne sont ni au service de l’Etat, ni de ses services déconcentrés).
L’explosion des procédures devant les tribunaux administratifs, devant le Conseil d’Etat et même désormais devant le Conseil Constitutionnel témoignent de la grande divergence d’intérêt, des conflits et des batailles permanentes entre ces 2 niveaux d’autorité.
Les fonctionnaires de l’Etat (ce corps) étant depuis quasiment la nuit des temps formatés à défendre les intérêts de l’Etat, même contre les collectivités territoriales de la République, mais aussi ce corps défend ses intérêts propres et veille jalousement à garder toutes ses prérogatives et tous les vrais pouvoirs. En effet, quasi systématiquement, la volonté du pouvoir politique est court-circuitée et l’étendu des réformes restreinte par les fonctionnaires de l’administration d’Etat qui veillent jalousement à leur pouvoir et à leur autorité (leur chasse gardée). Les décrets, circulaires, arrêtés et autres textes qui viennent fixer les modalités d’application des textes législatifs, pondus par les fonctionnaires des ministères et/ou du Conseil d’Etat (qui sont les mêmes car ils jouent à la chaise musicale au gré des alternances politiques) ont souvent pour effet d’annihiler, de vider de sens, de réduire la portée et de complexifier toute réforme politique tendant à réformer la France et à décentraliser le pouvoir politique et les compétences. Et pourtant la plus part de ces réformes sont initiées en conformité et en application du principe constitutionnel de la subsidiarité. Cette même constitution qui déclare clairement que tout transfert de compétence doit se faire concomitamment avec les transferts de moyens (ST-MARTIN attend toujours le respect de la constitution).
Notre jeune collectivité alors qu’elle était en gestation subissait déjà les attaques de l’administration d’Etat (les fonctionnaires du ministère de l’outre-mer notamment), avec systématiquement une écriture de la loi organique au rabais, et des fonctionnaires qui se comportaient dans les réunions comme s’ils étaient le législateur. Puis, ST-MARTIN avec sa transformation en COM a continué à subir la volonté des fonctionnaires d’Etat (de la préfectorale, des juridictions administratives, de l’administration fiscale, etc..) qui au mépris de la constitution lors des négociations réunions sur les transferts de compétences et l’obligatoire compensation ont inventé une nouvelle lecture de la loi et de la constitution et une méthode de calcul qui conduit à faire ST-MARTIN compenser l’Etat. En outre, depuis 2007 la COM est à la merci de l’administration fiscale d’Etat, pour la mise en œuvre de ses politiques fiscales et pour la collecte de ses impôts (puisque les recettes ne sont pas au profit de l’Etat, en termes de moyens mis en œuvre, d’efficacité, d’efficience et de volonté réelle « ST-MARTIN tu peux toujours attendre ! »). Depuis cette date aussi les relations avec le « contrôle de légalité » (la Préfecture et ses services) ne sont pas de tout repos, les divergences d’interprétation, la vision livresque et théorique de certaines réalités des fonctionnaires d’Etat, le « pinaillage » administratif, les positions hyper-restrictives, les procédures rallongées ayant pour conséquences bien des fois la perte de chances de notre territoire de pouvoir s’en sortir (perte d’opportunités, découragement d’investisseurs, etc..), les immixtions dans des domaines de compétences propres à la collectivité sont autant de preuves mais surtout de raisons pour que l’administration territoriale (celle de la COM) soit indépendante et ait à sa tête des fonctionnaires issus du corps de « l’administration territoriale » formatés à garder une posture nette de défense coût-que-coût des intérêts propres de notre collectivité face à l’Etat. Au cours de ma présidence, mais je suis sûr que tous mes prédécesseurs pourraient en témoigner, heureusement qu’à la tête de notre administration nous avions une direction formatée à l’âme de la « territoriale » pour défendre les intérêts de la COM, faire entendre nos points de vus, résister et s’opposer à l’Etat et son administration (ministère, préfectorale, chambre territoriale des comptes, etc..) sur nombre de sujets et dossiers.
Comment comprendre alors que depuis peu, se retrouvent à la tête de notre administration territoriale (aux fonctions de DGS) un fonctionnaire issu de la préfectorale (un sous-préfet) et à la tête du pôle le plus important (pôle développement durable) un autre fonctionnaire issu de la fonction publique d’Etat (celui-là même qui était en poste à la Préfecture de ST-MARTIN au poste de « contrôleur-censeur » des dossiers et projets traités par le pôle dont il a désormais la direction (DGA) ?
Des fonctionnaires formatés « Etat » ont-ils une carte-mémoire ou un microprocesseur qu’ils peuvent retirer et remplacer par ceux formatés « collectivité territoriale » et plus spécialement Collectivité de ST-MARTIN (compte tenu du passif et des urgences qu’elle a traités avec l’Etat» ? D’une mentalité (du censeur ou du contrôleur » forgée dans l’aptitude de trouver instantanément mille raisons pourquoi : « c’est pas possible », « c’est pas faisable », « Oh non c’est plus compliqué que cela », « oui mais il y a la procédure et les délais à suivre », « on a le temps», il faut pouvoir adopter la posture et le dynamisme du « il faut que cela se fasse que le projet puisse se réaliser», « il faut gagner du temps et réduire les délais et la tracasserie », « faisons triompher efficacité et efficience au lieu et place de procédures tatillonnes et inadaptées et de paperasseries interminables».
Les « intérêts propres de ST-MARTIN » (pour reprendre les termes même de notre Loi Organique) sont-ils entre de bonnes mains ? Peuvent-ils être défendus comme il le faudrait ? Et les combats indispensables contre l’Etat et ses services peuvent-ils et surtout vont-ils être menés avec l’ardeur nécessaire par ceux venant de ce même corps d’administration et qui continue à bloquer, à négliger, à abandonner et donc de nuire à ST-MARTIN ? (combats par exemple pour : la juste compensation de tous les transferts de compétences ; le reversement immédiat des sommes dues à la COM ; l’indispensable plan d’accompagnement et de rattrapage des retards structurels du territoire ; la révision du niveau des enveloppes et des moyens octroyés dans le PO 2014-2020 (fonds européens) ; la création urgentissime d’un centre du RSMA ; la mise en place d’un dispositif adapté permettant aux entreprises de notre territoire de bénéficier des mesures de baisse du coût du travail décidées au plan national en vertu des compétences propres de l’Etat (mesures financées par le CICE) ; l’adaptation de la politique pénale avec substitution possible pour les jeunes délinquants de certaines peines (sursis et autres remises et volonté de libération anticipée) par un engagement au « service militaire » et donc aussi pour notre territoire la remise en place d’un service militaire ; des moyens et une efficacité réelle des services fiscaux de l’Etat en matière de collecte des recettes de la COM ; la mise en place de politique, de dispositifs et d’outils pour canaliser les fonds issus des politiques familiales et de la solidarité nationale et territoriale vers l’économie du territoire ; etc…), ces combats doivent de manière urgentissime être repris, poursuivis et menées avec force et abnégation sans relâche et même sans pitié.
Conscient que règnent chez nos politiques en chef désormais en place dans la COM, une attitude de « béni-oui-oui » et une peur de croiser le fer et de mener contre l’Etat et ses services les combats justes pour ST-MARTIN, il y a de quoi s’inquiéter. Ne soyons donc pas surpris si au niveau de certaines réformes en cours et ou à venir (PLU, Code de l’urbanisme, etc..) l’on ne voit resurgir une vision étatiste, tatillonne et totalement déconnectée des particularismes, réalités et surtout besoins du territoire.
Par le choix (ou la capitulation à la volonté d’autres) de placer désormais à la tête notre administration des fonctionnaires issus et formatés par l’administration d’Etat, en fait, n’y-a-t-il pas une renonciation à l’autonomie de la COM dont parle notre Loi Organique ?