Pour rappel, le député de St Barthélemy et de St Martin, Monsieur Daniel Gibbes, avait été désigné rapporteur de ce projet de loi par la commission des affaires étrangères de l’Assemblée.
Le rapport avait été présenté et adopté le 11 mars dernier en commission, avant son inscription en séance publique dans l’hémicycle le 19 mars suivant.
L’intervention en commission du Député Gibbs en commission
“Madame la Présidente,
Mes chers collègues,
Nous sommes saisis du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre la France et les Pays-Bas relatif à la coopération insulaire en matière policière à Saint-Martin. Cet accord a été signé le 7 octobre 2010 à Paris. La procédure de ratification est désormais achevée du côté des Pays-Bas, dont nous avons reçu l’instrument de ratification le 19 janvier dernier. Il nous appartient désormais de faire de même, car cet accord présente un intérêt manifeste pour le renforcement de la coopération entre la partie française de l’île de Saint-Martin et sa partie néerlandaise, Sint-Maarten.
La ratification de cette convention, dans les plus brefs délais, fait d’ailleurs partie des 32 propositions d’un rapport d’information de juillet 2014 sur la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, dont j’ai eu l’honneur d’être le rapporteur, avec notre collègue René Dosière, au nom de la commission des lois. Il nous est apparu que le renforcement de la coopération insulaire était une priorité dans tous les domaines, notamment en matière policière.
Je commencerai par vous présenter les enjeux généraux de la coopération à Saint-Martin, puis ceux de la coopération policière en particulier, avant de vous exposer les principales stipulations de l’accord qui nous est soumis.
Je ne reviens pas sur les principales caractéristiques démographiques et économiques des deux parties de cette île, à savoir la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin, pour la partie française, et le pays de Sint-Maarten, pour sa partie néerlandaise. Sur ces différents points, permettez-moi de vous renvoyer à mon rapport écrit.
Au plan institutionnel, la partie française, qui est située au Nord de l’île, dont elle occupe environ 56 kilomètres carrés sur un total de 90, a longtemps été rattachée à la Guadeloupe. Il s’agit désormais d’une collectivité unique, assumant les compétences dévolues aux communes, ainsi que celles reconnues aux départements et à la région de Guadeloupe, pour l’essentiel. Outre ces attributions, la loi organique du 21 février 2007 confère à la collectivité de Saint-Martin un champ de compétences propres relativement étendu, un pouvoir d’adaptation des normes nationales, ainsi que des fonctions consultatives sur les actes juridiques et la mise en œuvre des politiques de l’Etat susceptibles de conditionner ou d’affecter l’exercice de ses propres compétences.
Quant à la partie néerlandaise de l’île, Sint-Maarten, il faut signaler que la révision constitutionnelle du 10 octobre 2010 a consacré la dissolution effective de la confédération des Antilles néerlandaises. Sint-Maarten est alors devenu l’un des quatre « pays » formant le Royaume des Pays-Bas, en compagnie d’Aruba et de Curaçao. Sint-Maarten bénéficie d’un haut degré d’autonomie interne. Son Parlement et son Gouvernement sont ainsi compétents pour élaborer conjointement la législation relative aux affaires intérieures. Le maintien de la sécurité et de l’ordre publics relèvent notamment de l’autorité du ministre de la justice de Sint-Maarten.
En ce qui concerne l’île de Saint-Martin, les relations entre la France et les Pays-Bas sont régies par un principe de libre circulation des personnes et des biens qui tire son fondement historique du traité de Concordia, signé le 23 mars 1648. L’absence de contrôle à la frontière, qui n’est pas matérialisée, demeure en principe la règle. La mission d’information de la commission des lois sur la collectivité d’outre-mer de Saint-Martin était parvenue à la conclusion qu’il était nécessaire de relancer la coopération entre les deux parties de l’île dans tous les domaines, afin de maîtriser pleinement les conséquences de la libre circulation. C’est une nécessité en matière économique et sociale, car les différences sont aujourd’hui très importantes des deux côtés, mais aussi en matière de sécurité publique. Le principe de la frontière limite l’efficacité de l’action policière, alors que son absence de matérialisation et la tolérance de circulation favorisent des flux de toute nature.
Tout d’abord, la convention d’application de l’accord de Schengen ne s’y applique pas. Son article 138 en limite l’application au territoire européen respectif de la France et des Pays-Bas. Cette convention prévoit pourtant un droit d’observation transfrontalière qui permet de continuer la surveillance et la filature d’un individu sur le territoire d’une autre Partie, dans le cadre d’une enquête judiciaire, ainsi qu’un droit de poursuite transfrontalière. Elle permet aussi le détachement de fonctionnaires de liaison. Ces mesures présentent un intérêt particulier à Saint-Martin et sont d’ailleurs reprises dans l’accord qui nous est soumis.
Ensuite, si la France et les Pays-Bas sont déjà liés par un accord de coopération dans le domaine de la police et de la sécurité, signé à la Haye en 1998, cet accord ne prévoit pas les mécanismes de coopération transfrontalière qui sont les plus nécessaires à Saint-Martin, la France et les Pays-Bas n’ayant pas de frontière européenne commune.
A Saint-Martin, la coopération s’appuie aujourd’hui sur un accord de 1994 relatif au contrôle des personnes sur les aéroports de l’île. Il permet notamment d’instaurer un contrôle commun à l’aéroport international de Juliana, situé en zone néerlandaise, pour renforcer la lutte contre l’immigration irrégulière. Malgré quelques progrès récents, la pratique reste encore perfectible, qu’il s’agisse de l’application de cet accord de 1994 ou de la surveillance générale du territoire insulaire, en l’absence de coopération opérationnelle quotidienne.
Par ses finalités et ses modalités, cette convention est très étroitement inspirée des accords de coopération policière transfrontalière que la France a conclu avec ses voisins en ce qui concerne son territoire hexagonal. A la différence d’autres conventions, on notera toutefois que l’accord relatif à Saint-Martin ne prévoit pas la création d’un centre de coopération policière et douanière.
En premier lieu, l’accord tend à renforcer la coopération institutionnelle « classique ». Les articles 5 et 6 fondent juridiquement et intensifient les échanges d’informations destinés à prévenir et à rechercher les faits punissables, dans le respect de la législation de chaque Partie et dans la limite des compétences des services concernés – la police et la gendarmerie nationales pour la Partie française ; les fonctionnaires de police judiciaire au sens du code de procédure pénale des Antilles néerlandaises pour l’autre Partie. Cette coopération complète celle qui est assurée par l’intermédiaire des organes centraux nationaux.
L’accord permet aussi le détachement d’agents de liaison, afin de promouvoir et d’accélérer la coopération entre les Parties. Leurs missions sont strictement encadrées par l’accord : chargés d’une mission d’avis et d’assistance, les fonctionnaires de liaison ne sont pas compétents pour l’exécution autonome de mesures de police. Les détachements feront l’objet d’arrangements techniques sur la base des besoins ponctuels identifiés par les services.
L’article 10 demande enfin aux Parties de se prêter mutuellement assistance lors de manifestations de masse, d’événements majeurs ou encore de catastrophes.
Un deuxième grand volet est consacré à la coopération dite « directe » entre les unités opérationnelles des deux Parties à Saint-Martin, au-delà des échanges d’informations et des efforts assez classiques qui sont attendus en matière de formation.
L’article 9 prévoit en particulier l’élaboration de schémas d’intervention commune pour les situations nécessitant une coordination entre les unités, l’élaboration en commun de plans de recherche, l’organisation de patrouilles au sein desquelles l’unité d’une Partie peut recevoir l’assistance d’agents des services compétents de l’autre Partie, ou encore la programmation d’exercices communs.
Conformément à l’article 14, des patrouilles mixtes pourront être organisées afin de prévenir des menaces pour l’ordre public, de lutter contre les trafics illicites, l’immigration irrégulière et toute forme de criminalité, et d’assurer la surveillance de la frontière.
Le troisième volet principal du texte est relatif aux observations et aux poursuites transfrontalières, que j’ai déjà brièvement présentées.
Mes chers collègues, voilà les principales observations qu’appelle l’accord entre la France et les Pays-Bas qui nous est soumis. Il reste à espérer qu’il sera appliqué dans de meilleures conditions que le texte plus spécifique de 1994, relatif aux contrôles dans les aéroports, que j’ai eu l’occasion d’évoquer tout à l’heure.
En ce qui concerne la rédaction de l’accord, on pourrait s’interroger sur le fait que l’autorité préfectorale n’est pas explicitement mentionnée, contrairement à l’autorité judiciaire. Il ne faudrait pas en conclure, me semble-t-il, que les policiers et les gendarmes français, désignés à l’article 2 comme étant les services compétents pour l’application de l’accord, agiront sans en référer à l’autorité préfectorale et que celle-ci ne sera pas associée au bilan périodique de la coopération, prévu à l’article 9, ni à l’élaboration des actions communes. Il va de soi, néanmoins, que cet accord avec les Pays-Bas n’a pas pour vocation de préciser la répartition des compétences et l’articulation entre la police administrative et la police judiciaire dans la partie française de l’île.
Ces quelques réserves ne m’empêchent pas, mes chers collègues, de vous inviter à adopter le projet de loi qui nous est soumis. Comme je l’indiquais au début de mon intervention, il est grand temps que cet accord puisse entrer en vigueur.”