Nouveau collège : la mort programmée de l’enseignement des langues de France ?
Monsieur Olivier Noblecourt, conseiller chargé du dossier des langues régionales au ministère de l’Education Nationale, que la FELCO avait eu comme interlocuteur lors de son dernier rendez-vous au ministère (novembre 2014) a répondu au courrier dans lequel nous lui faisions part des inquiétudes que nous inspirait la réforme du collège dont les contours ont été récemment rendus publics.
Si nous considérons comme positif le fait qu’il ait tenu à nous répondre, ce dont nous le remercions, il n’en demeure pas moins que les réponses qu’il nous fournit, et qu’il nous a autorisés à rendre publiques, ne lèvent pas nos principales inquiétudes, malgré leur conclusion « Si je ne méconnais pas les réalités hétérogènes et parfois difficiles de l’enseignement des langues régionales dans le collège actuel, nous espérons que la réforme engagée permettra une amélioration importante dans le sens de la loi de refondation. »
– Point 1 : « La réforme du collège permet de répondre concrètement à la loi de refondation de l’école de pouvoir utiliser des éléments des langues régionales dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture, ce que les enseignements pratiques interdisciplinaires rendent possible. »
Commentaire FELCO : Les langues régionales avaient déjà leur place dans le socle commun, ce que confirmait un article de la loi de refondation de l’école, citée à bon droit par M. Noblecourt. Mais il nous paraît très restrictif de les cantonner aux seuls Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), alors que pour nous, comme nous l’avions indiqué au Comité Supérieur des Programmes quand il nous avait reçus, c’est dans l’ensemble des enseignements disciplinaires (français, histoire-géographie…) que leur apport peut se révéler fructueux pour tous les élèves, et pas seulement pour ceux qui auront choisi le thème d’Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) étiqueté langues régionales. De nombreux textes et circulaires antérieurs évoquent ces possibilités qu’il conviendrait de rappeler.
En tout état de cause, il doit être bien clair que cette utilisation, forcément ponctuelle, d’éléments de la culture régionale ne saurait se faire au détriment de l’acquisition de compétences linguistiques de communication à travers un enseignement spécifique, seul susceptible, sur le long terme (de l’école à l’université), de former des individus compétents en langue, et capables le cas échéant de passer les concours de recrutement dans le domaine de l’enseignement (les postes offerts au Concours de Recrutement de Professeur des Écoles langues régionales (PRCE) ne sont à l’heure actuelle pas tous pourvus). Limiter la place des langues régionales aux seuls Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) risque de restreindre un vivier qu’il faudrait élargir et donc d’entraver les possibilités de développement de l’enseignement bilingue prévu dans le cadre de conventions Etat / collectivités territoriales et dont la loi d’orientation dit « qu’il sera encouragé ».
– Point 2 : « Les enseignements bilingues ne sont pas impactés par la réforme du collège. »
Commentaire FELCO : Est-ce si sûr ? Nous avons pu consulter le projet d’arrêté qui dans son article 8 évoque la possibilité de poursuivre au collège une langue autre que l’anglais commencée dans le primaire. Mais cet article ne parle que des langues vivantes étrangères, et « oublie » fâcheusement (une fois de plus) les langues régionales. Or, la plupart offrent déjà des cursus bilingues dans le primaire sans que la continuité avec le collège soit d’ailleurs toujours partout assurée dans l’état actuel des choses – et nous n’oublions pas, de toute façon, que pour l’instant ces filières bilingues, quoique sur une pente ascendante et facteurs de réussite scolaire, ne répondent pas à tous les besoins de transmission, dans toutes les académies de l’aire historique de la langue d’oc pour ne parler que d’elle. Nous sommes donc demandeurs de garanties explicites dans les textes d’application de la réforme, à travers l’adoption, une fois pour toutes et partout, de la formulation « langues vivantes étrangères et régionales », afin d’éviter que sur le terrain des décideurs locaux choisissent d’interpréter à minima des textes ne mentionnant pas clairement les langues régionales, sans attacher vraiment d’importance aux propos rassurants du ministère à notre égard.
– Point 3 : « La réforme du collège améliore les langues vivantes régionales LV2 puisqu’elles seront introduites en classe de 5ème et non en plus en 4ème, permettant d’ajouter 54 heures d’enseignement sur l’ensemble de la scolarité au collège. »
Commentaires FELCO : Ce n’est pas rassurant mais au contraire très inquiétant que le ministère avance un tel argument pour les langues régionales. On devrait savoir au ministère que, dans le choix d’une LV2 obligatoire, les élèves ne prennent pratiquement jamais une Langue régionale, et préfèrent poursuivre l’étude de cette langue sous la forme optionnelle. Par exemple, dans l’académie de Toulouse, 50 élèves seulement ont choisi l’occitan en LV2 au collège alors que près de 10 000 l’ont choisi en option, dans l’académie de Bordeaux aucun élève ne choisit l’occitan en LV 2…
Si l’option facultative est pratiquement la seule à être choisie, c’est qu’elle n’entre pas en concurrence avec l’apprentissage d’une 2ème langue vivante étrangère. Il serait contreproductif que les élèves souhaitant connaître la langue de la région où ils vivent doivent être pénalisés dans le choix des langues étrangères. Doit-on renoncer à l’allemand pour apprendre le breton ? Si d’un point de vue pédagogique les langues étrangères et les langues régionales, en tant que langues vivantes, possèdent un cadre didactique commun (programmes, CECRL, approche actionnelle…), il n’en va pas de même pour ce qui est du cadre organisationnel et du statut de leur enseignement. Seul un traitement différencié permettra de préserver la diversité linguistique interne conformément aux engagements internationaux de la France, et à l’article 75-1 de la Constitution.
– Point 4 : « La réforme du collège impacte positivement les langues vivantes régionales aujourd’hui en option, car alors que cette option commence aujourd’hui en 4ème, la réforme du collège permettra de proposer l’enseignement pratique interdisciplinaire « Langues et cultures régionales » et l’enseignement de complément de langue vivante régionale dès la 5ème (1h en 5ème, 2h en 4ème, 2h en 3ème pour l’enseignement de complément ».
Commentaires FELCO : Ce n’est pas ainsi que les choses se passent actuellement : on peut choisir l’option dès la sixième (circulaire N°2001-166 du 5-9-2001).
Comment d’ailleurs pourrait-il en être autrement puisqu’il s’agit notamment d’assurer la continuité avec ce qui se fait dans le 1er degré ? Le code de l’éducation précise au demeurant assez clairement que « Cet enseignement peut être dispensé tout au long de la scolarité selon des modalités définies par voie de convention entre l’Etat et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage. » Les possibilités offertes par la circulaire 2001-166 sont effectivement mises en œuvre et reprises d’ailleurs par les conventions, signées par les recteurs ou par le ministre, qui prévoient toutes des enseignements optionnels de la 6ème à la 3ème.
Le contexte sociohistorique de transmission des langues régionales étant ce qu’il est, ces enseignements optionnels, complémentaires et non concurrents des autres disciplines enseignées, sont essentiels. Or, c’est sur ce type d’enseignement que le cadre proposé reste le plus flou et le plus préoccupant. Il montre en effet une méconnaissance des réalités : nous ne voulons pas encore croire qu’il s’agit d’une volonté cachée de marginalisation. Cette réforme qui oublie souvent les langues régionales va amener la suppression de possibilités réelles et leur remplacement par des possibilités, floues, difficiles à organiser, peu efficientes, très concurrencées et finalement peu employées. La mise en œuvre de la réforme sans corrections pour ce qui concerne les langues régionales provoquerait une chute brutale des effectifs bénéficiant d’un enseignement de langue régionale dès la rentrée 2016.
Car les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), pour ce qu’on en connaît, ne sont pas des enseignements de langue, mais apparemment plutôt des enseignements de culture, (pourquoi pas gothique méridional, danses traditionnelles ou pétanque ?) ce qui n’est pas la même chose. De plus, si nous comprenons bien, les textes imposent de suivre 2 Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) différents, par an, de la 5ème à la 3ème : comment être sûr qu’il sera possible à un élève donné de choisir le thème langue régionale 3 ans de suite ?
Quant aux « enseignements de complément », si nous comprenons bien (et nous avons bien peur d’avoir parfaitement compris), pour pouvoir les suivre il faudra obligatoirement avoir choisi le thème langue régionale parmi les huit thèmes d’Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) proposés, ce qui interdira, de facto, à beaucoup d’élèves d’avoir accès à un tel enseignement. Sans oublier le fait qu’avec 1h en 5ème, 2h en 4ème et 2h en 3ème, on se trouve en recul par rapport à ce qui se faisait jusque-là dans le cadre de l’option dans un certain nombre d’académies. En tout état de cause, pour nous, ce ne sont pas les enseignements de langue qui doivent venir « en complément » des Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), mais le contraire. Nous considérons – et nous l’avons dit publiquement – qu’en soi, l’idée de ces Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), par l’ouverture interdisciplinaire qu’ils impliquent, va dans la bonne direction. Mais ils ne sauraient remplacer un véritable enseignement de langue.
Il y a enfin la question de la marge d’autonomie des établissements, surtout si ce sont les chefs d’établissements qui choisissent les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) à mettre en place dans leur collège. On peut craindre que la concurrence entre les matières, déjà forte, ne devienne acharnée.
Une raison de plus pour laisser leur place aux enseignements optionnels qui existent déjà.
En novembre 2014, date de l’entrevue entre la FELCO, ÒcBi et le ministère, M. Noblecourt laissait entendre que la Ministre ferait des annonces substantielles concernant l’enseignement des Langues Régionales au premier semestre 2015… Si on considère rue de Grenelle que leur cantonnement dans les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) constitue l’essence de ces annonces substantielles, on comprendra que ce n’est pas vraiment ce que nous attendions et espérions.
Contrairement à ce que le ministère dit espérer, la réforme engagée ne permettra pas dans sa forme actuelle « une amélioration importante dans le sens de la loi de refondation » de l’enseignement des langues régionales. Il nous paraît donc urgent de procéder à un véritable cadrage national pour développer l’enseignement des langues régionales conformément à la responsabilité et aux engagements de la France et à la loi de refondation.
Pour résumer, nous nous permettons donc de poser au Ministère les questions suivantes :
1- Que devient l’enseignement optionnel de la langue régionale en classe de 6ème ?
Le ministère doit préciser ce point pour qu’il n’y ait pas de régression par rapport aux possibilités actuelles.
2- Quelle serait l’organisation pratique des enseignements de la 5ème à la 3ème ?
Pour l’heure, l’accès à l’Enseignement de complément (1h en 5°, 2h en 4°, 2h en 3°) semblerait subordonné à l’inscription en Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) Langue régionale. C’est très problématique car réducteur des possibilités actuelles.
Nous demandons que le choix de l’Enseignement de complément « Langue régionale » ait le statut d’option facultative et soit indépendant du choix de l’Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) « Langue régionale », de façon à ce que tout élève puisse suivre un enseignement de langue régionale sans être privé de l’accès à d’autres Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), comme ses camarades.
3- Qu’en est-il de l’adoption explicite de la formule « langues vivantes étrangères et régionales », seule à même de lever les réticences de certains cadres administratifs à considérer les langues régionales comme langues vivantes ?
4- L’absence de prévision de la continuité de l’enseignement bilingue français-langue régionale de l’école au collège dans le projet d’arrêté relatif à l’organisation du collège (article 6-II et l’article 8) est-elle un oubli qui sera corrigé ? Ce n’est que par une correction de l’arrêté que nous serons rassurés.
5- Quel financement pour les enseignements optionnels de langue régionale :
Nous supposons que les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI), apparaissant dans la grille horaire nationale, sont financés dans la dotation ministérielle aux académies ; de même pour la LV2, bien que cette modalité reste extrêmement marginale pour les langues régionales.
En revanche, comment seront financés les enseignements optionnels en classe de 6ème (continuité du cycle 3) et les enseignements optionnels de complément de la 5ème à la 3ème ?
Autrement dit, comment le ministère prendra-t-il en compte les besoins d’enseignement de la langue régionale dans le calcul de la dotation budgétaire globale des académies concernées, notamment celles qui ont signé des conventions Etat-Région ?
Notre position a été déjà exprimée maintes fois : ainsi que cela se fait déjà pour certaines langues dans certaines académies, seule une dotation spécifique, hors DHG, peut sécuriser et développer l’enseignement des langues régionales.