Nous avions présenté Valérie le mois dernier dans nos colonnes, à l’occasion de la sortie de son premier roman qui nous raconte la découverte de la friendly Island par une jeune femme tombée amoureuse dès son arrivée à Saint-Martin.
Lors du BOOK FAIR 2015 du jeudi suivant, Valérie avait eu la gentillesse de nous offrir son roman qui faut l’avouer, est délicieux. Il vous plonge instantanément dans un univers de suspens dans une histoire parfaitement huilée. L’usage du verbe et de l’humour de l’auteure est étonnant. Elle vous embarque dans un jeu de rôles qui vous oblige à manger les pages sans faim. On s’y croit franchement surtout quand on est d”ici”, et dans ce cas, c’est frappant de visualiser l’histoire dans un environnement aussi familier. Les détails, les actions, l’alchimie est là et tout se prête à vous glisser au plus près de Victoria et Massimo, c’est déstabilisant, mais c’est vivant, sans aucun doute.
Histoire de vous mettre l’eau à la bouche, voici un extrait à découvrir avant mercredi où vous pourrez alors apprendre qui est ce Massimo, le séduisant moniteur de voiles, en repartant avec un exemplaire dédicacé ! (Extrait proposé le mois dernier ICIAMP lors de la présentation du roman de Valérie)
Cela fait maintenant plus d’un an que je suis en poste sur l’île de Saint-Martin, en abrégé SXM, son code I.A.T.A, Soualiga pour les Amérindiens. Cette île a réussi, malgré sa superficie de mouchoir de poche, à être divisée en deux parties : « the French Side and the Dutch Side » comme on dit par ici.
Je vis « on the French Side », muté pour quatre ans ou plus, si affinités. Je joue le rôle d’une sorte d’espion, infiltré dans la vie normale, travaillant pour une unité de la brigade des stups, connue sous l’apocope Stups.
Jusqu’il y a un an et demi, je vivais ce qu’il y avait de plus commun pour un Français moyen : en couple depuis quelques années, amoureux d’une avocate, ce qui était peut-être moins banal. Elle était jolie, juste ce qu’il faut, parée de cette peau mate des gens du Sud qui donnait envie de la croquer sans cesse, des cheveux noirs de jais et par-dessus tout, une intelligence qui avait flatté mon ego.
J’avais été tout au long de notre relation, toujours aux petits soins avec elle. Migrer là où elle avait voulu migrer, c’est-à-dire vers ce vieux Paris ; loger là où elle avait voulu loger, c’est-à-dire du côté « Rive Gauche » avec un loyer exorbitant pour un minuscule deux-pièces.
Elle avait meublé notre nid douillet avec des meubles de style vintage qu’elle avait choisis sans moi, ne se fiant pas trop à mes goûts IKEA. Côté fréquentation, j’avais fini par ne fréquenter que les amis qu’elles avaient choisis en fonction de ses propres intérêts. Au début de notre relation, elle avait été pourtant très attirée par mon amour de la mer, de ses vagues déchaînées et de ce qui va avec : le surf, mon look baba cool avec mes cheveux légèrement ondulés, toujours blondis, voire brûlés par le soleil, et mon fameux teint hâlé présent toute l’année.
On s’était rencontré à Biarritz où elle s’efforçait de s’initier péniblement au surf ou à la planche à voile en fonction de son moral. Elle s’était acharnée dans un sport qui ne lui était apparemment pas du tout destiné, mais elle m’avouera plus tard que cela avait été le prix à payer pour qu’elle me prenne dans ses filets. Pour elle, j’avais dû renoncer à ce mode de vie maritime. J’avais été transvasé, avec l’eau en moins, de Biarritz à Paris, là où elle pensait aiguiser ses premières dents dans son métier de requins.
Au fil du temps, je n’avais pas vu monter en elle comme un véritable tsunami, une gêne malsaine qu’elle avait de plus en plus de mal à cacher, face à mon inculture flagrante, et qui remontait trop facilement à la surface dans ses cercles pseudo-intellectuels, pseudo-amicaux dans lesquels elle m’avait englué et où je me sentais si mal à l’aise.
Adolescent, j’avais été un fan de BD du français toujours moyen, lu beaucoup de littérature policière et surtout admiré les films américains pour grand public, plein de testostérone, de super héros et de Happy Ends. Elle, elle connaissait tout de la littérature classique, contemporaine, bref le genre d’ouvrages encensés par son élite intellectuelle, ouvrages dont j’avais à peine effleuré quelques pages au lycée.
À Paris, je m’étais transformé en un anonyme citadin, relooké dans des habits plus conventionnels et pris néanmoins mes fonctions aux Stups, 36 quai des Orfèvres, histoire de quand même tenter de l’épater, un minimum. Je m’étais appliqué, mais sans doute trop tard, pour sauver notre relation, à lire des auteurs aux œuvres trop compliquées pour ma cervelle. Quelques-uns ont cependant réussi à m’émouvoir. Mais à la longue, dans ce Paris littéraire, où ma parure de beau surfeur s’était volatilisée sans pouvoir être remplacée par une parure de savoir, mon amoureuse montra de plus en plus des signes de lassitude. Un jour, tout en enfilant une paire de gants de velours dans la voix, elle me conta que pour mon bien-être, il valait mieux qu’on se séparât (oui, je crois vraiment qu’elle a utilisé du subjonctif !) et que je la remercierai (au futur incertain) à coup sûr dans quelques années !
Ben voyons… Elle eut même le culot de me dire qu’en l’ayant suivie, j’avais trop renoncé à mes rêves, qu’elle voyait clairement que j’étais un poisson des mers qu’on avait plongé dans un bocal d’appartement. Je suppose qu’elle avait piqué cette tirade dans ces fameux ouvrages de littérature contemporaine. Dans la foulée, très rapidement, elle avait également remplacé le gentil poisson que j’étais, par une hyène en costume cravate, un avocat spécialisé dans les affaires de divorce… Tiens donc !
J’avais ensuite sauté sur l’opportunité qui m’avait été offerte de rejoindre une nouvelle unité de la brigade des Stups sur Saint-Martin, « the Friendly Island », en étroite collaboration avec la gendarmerie et la police aux frontières, mais personne dans le civil ne devait jamais savoir que j’étais un flic. En raison de mon brillant curriculum vitae de surfeur, comme couverture, je donne des cours de planche à voile, mais aussi de Hobie -CAT sur la Baie Orientale abrégée B.O, in English Orient Bay, abrégée O.B.
Pierre Lejeune, mon patron du club de voile, encore trop speed pour être réellement tropicalisé, ne connait pratiquement rien de mon passé. Il est persuadé que j’ai été pistonné pour obtenir cet emploi jeune. J’ai tout juste l’âge du Christ, en conséquence à la limite du terme « jeune », mais cet emploi est en réalité financé très secrètement par ma maison-mère, les Stups parisiens.
En dehors des cours, j’emmène fréquemment, plus au large, des vacanciers en tout genre et venus d’horizons divers pour une sortie découverte en catamaran. On longe alors les côtes de Saint-Martin, on part explorer ses îlets ou encore on s’aventure vers les îles voisines telles qu’Anguilla, Dog Island… Ça me permet surtout d’être les yeux et les oreilles des Stups, sans éveiller le moindre soupçon.
Question piaule, je loge, depuis mon arrivée, dans un quatre-pièces. C’est véritablement Byzance en ce qui concerne le gain d’espace en comparaison de mon ancien logement parisien. Ma piaule est située au bord de la plage de Grand-Case, avec vue depuis ma terrasse, sur une mer quasiment turquoise en mode continu.
De celle-ci, j’assiste chaque jour au spectacle pluriquotidien délivré par les avions commerciaux ou privés qui frôlent les habitations et restaurants du bourg pour atterrir quelques centaines de mètres plus loin sur l’aérodrome baptisé l’Espérance, tout un programme… Et ce, après avoir survolé un étang en gage d’épreuve ultime …
Au début, ce show aérien me procurait de nombreuses sensations fortes. Je m’interrogeais, chaque jour, à quand est-ce qu’un de ces foutus engins finirait par se crasher sur une case ou l’un des restaurants. Puis, avec le temps, ils ont plutôt fini par jouer le rôle qu’ont les cloches d’église, rythmant ainsi mes journées au gré des décollages et des atterrissages.
À côté de chez moi se dresse un hôtel chic, de taille très modeste, d’ailleurs dénommé tout simplement « Le Petit Hôtel ». Il arbore, étrangement, un style méditerranéen et n’est principalement fréquenté que par des touristes américains prêts à payer quelques centaines de dollars la nuit, pour un bout de paradis français perdu dans l’anglophonie qui règne en maîtresse dans ces îles dites du Nord, mais toujours bien ancrées en territoire tropical.
À quelques centaines de mètres de chez moi, quelques restaurants au bord de l’eau, qu’on appelle ici les « lolos », sont devenus l’une de mes cuisines personnelles où je prends régulièrement le diner, avec la double sensualité suprême, d’avoir les pieds directement au contact du sable chaud tout en savourant mon repas.
« Il m’est égal de lire que les sables des plages sont chauds, je veux les sentir de mes pieds nus. »
Voilà un extrait d’André Gide qui me revient en mémoire. Maintenant, je comprends pourquoi, lui avait réussi l’exploit à éveiller un début d’intérêt pour ce type de littérature.
Sinon, pour mon boulot de flic, je surveille depuis peu, un petit malfrat, au nom exotique de Miguel John-Baptist, métis hispanoanglophone. Madre de Santo-Domingo, father de St-Kitts and Nevis, comme il aime à clamer, augmentant ainsi son capital charme en vantant sa double origine géolinguistique.
Miguel arpentait les plages en proposant à la vente des sachets d’épices ou des gousses de vanille prétendument locales qui ne poussent guère à Saint-Martin, sauf peut-être à Bellevue auprès de la communauté rasta. Saint-Martin, c’est plutôt l’île où a fleuri principalement l’immobilier en tout genre boosté par les années défiscalisation grâce, ou à cause, de la loi Girardin. Sinon, en dehors de la vente de ces produits qui n’était évidemment qu’un prétexte, il pouvait vous proposer, en provenance directe du fond de sa besace, moult cannabis.
Son trafic de cannabis ne nous intéressait pas trop au début, et ce tant qu’il avait continué à mener un train de vie relativement modeste, c’est-à-dire pieuter dans une vieille case créole, rue de Hollande, à Marigot ; nourrir trois (ou quatre en fonction de ses raccommodages sentimentaux…) enfants issus de ses différentes concubines. Elles, elles se contentaient pour survivre, des allocations « braguettes », surnom créole donné aux allocations familiales, et du surplus de ce trafic d’herbes que Miguel consentait parfois à leur donner. Grâce à cela, elles se permettaient ces légers plus question confort : abonnement à Canal SAT voire Canal + dans les bonnes périodes ou Cable TV pour les anglophones et bien sûr d’un « mobile phone », en forfait limité, quand même pas débile le mec.
Mais, progressivement, en quelques mois, il s’est métamorphosé : son regard est devenu plus sûr, plus arrogant, sa démarche plus hautaine, sa moto pétaradante troquée pour un Hummer importé en direct des States. Sa montée en grade sent maintenant le trafic qui rapporte plus : drogues dures ? Recels ? À moi de trouver !
Je m’égare dans mes réflexions : quelle heure est-il ? Neuf heures quarante ! Coup d’œil au calendrier : on est déjà le dix novembre, toujours en deux mille treize. Pas envie de lire le dicton du jour à l’arrière du feuillet, ça m’arrive de zapper mon rituel.
J’endosse, en vitesse, mon costume préféré, à savoir : un maillot de bain avec imprimés blanc et noir avec quelques étoiles rouges sur le fond. Celui-ci descend, mode oblige, au-delà des genoux. C’est tellement ringard de mettre les slips-maillots. N’empêche, mes cuisses restent, du coup, éternellement d’une blancheur métropolitaine. Je me tartine de crème solaire avec triple couche sur le nez, le front et la pointe des oreilles ; je pose mes lunettes de soleil dernier cri avec reflets violacés sur le bout du nez, puis j’enfile ma casquette à l’envers.
Je dévale les escaliers, je vérifie à l’entrée de la cour qu’aucun courrier à mon nom ne s’est égaré dans la boite aux lettres commune aux six appartements. Madame Joséphine Fleming n’a toujours pas voulu en attribuer une à chacun. Une vingtaine d’enveloppes, mais aucune au nom de Massimo Baldini, même pas de ma mère pourtant toujours inquiète de me savoir seul dans ces contrées lointaines où elle n’est jamais très sûre si la viande n’est pas contaminée par quelques engrais hormonaux nord-américains, ni jamais rassurée par ces moustiques rayés noir et blanc au nom suspect d’Aèdes Aegypti, qui pouvaient d’après elle rendre « dingue ». J’avais beau lui expliquer qu’il s’agissait de la « dengue » prononcée dingue. Ma mère a des origines transalpines et sa première idée est souvent la seule qui compte contre vents et marées. Rassure-toi Mama, je te critique, mais surtout, je t’aime Mama.
Je saute dans ma jeep, achetée pour mille sept cents dollars cash à un saisonnier Canadien, retourné il y a quelques mois vers son Grand Nord. Quoiqu’il m’ait un peu cassé le mythe du « Grand Nord » en m’expliquant que vivant à Toronto, avec autoroutes monstrueuses à trois fois trois bandes, avec pollution à la clef, les hivers, quoique très froids, étaient de moins en moins neigeux…
Tout se perd décidément…
Mais cette jeep d’âge mûr, frisant les dix-huit ans, elle, par contre, correspond réellement à mon fantasme de la vie en plein air, une merveille pour vous procurer à profusion une ivresse totale, celle de la liberté retrouvée : vitres toujours baissées, alizés chauds rentrants, toit ouvrant, intérieur recouvert en permanence d’une fine pellicule de sable blond et de sel marin.
Je traverse Grand-Case, mon joli bourg, le nez au vent. Grand-Case abrite toujours d’excellents restaurants, représentant pour les Américains, l’un des fleurons de la gastronomie française dans les French West Indies, en abrégé F.W.I. Mon bourg se repeuple tranquillement, mais sûrement, de touristes, marquant ainsi la fin de la saison basse et aussi concrètement la diminution des agressions et cambriolages chez les malchanceux locaux, anciens ou récemment installés qui étaient restés les seules proies accessibles aux délinquants.