La curée peut elle être évitée ?
C’est ainsi que tout ce que comptent la Guadeloupe, la Martinique, La Guyane et les îles du Nord et même certains médias nationaux, pour ceux qui savent s’introduire en leurs colonnes, ont déjà largement traité du sujet. La partie est trop belle, la boîte de Pandore grande ouverte et puis il n’est pas si fréquent d’avoir à se mettre dans le collimateur un gibier de cette dimension, qui plus est rabattu par un appareil judiciaire qui minimise donc les risques pris par les rédacteurs… alors tout le monde a sa manchette, sa UNE, son scoop… ou une bonne raison de ne plus la boucler !
Il faut dire que les personnages sont hauts en couleurs, entre Jean-Paul Fischer qui force le respect, que l’on se prend à considérer intouchable façon polar des années 60, une aura impressionnante, une implantation incontournable, une vie qui croise l’histoire sur tous les fronts et sur des continents qui font froid dans le dos et Marie-Paule Bélénus Romana, héritière d’un fauteuil déjà largement doté, qui depuis sa prise de fonctions ne vit que changements de présidents et d’administrateurs, présence gendarmesque, perquisitions et auditions par les OPJ sur fond de scandale vis à vis de sa rémunération en particulier, pourtant par de l’héritage et devenu le point unique de cristallisation de l’opinion publique, sans doute bien pratique à certains niveaux.
Au prix de quelques recherches, vous découvrirez le réseau de sociétés concernées par les intéressés, qu’elles soient actives ou passées de vie à trépas, vous prendrez connaissance des lignes de défense de Monsieur Fischer et de Madame Bélénus Romana, respectivement “J’ai laissé une SEM en excellent état financier” et “J’ai hérité d’’une situation que je réforme depuis”, vous vous interrogerez sans doute sur le rôle des différents actionnaires de l’outil, sur la portée concomitante de la région Guadeloupe, de la Ville de Basse Terre et du ministère des outre-mer assumé par deux personnages guadeloupéens incontournables, vous vous passionnerez peut être vis-à-vis du poids des médias dans la périphérie de l’affaire, de GTV à Médiacortex.
Et puis, avec un joli mal de crâne, sauf si nous vous proposons rapidement une synthèse facile façon “La SEMSAMAR pour les Nuls”, deux choix s’imposeront à vous : “C’est vraiment le merdier, je n’y comprends rien et je m’en fous” ou un très classique “Tous pourris” qui vous laissera la conscience tranquille et la possibilité de regarder ailleurs. Mais localement, si vous êtres assez près de ceux qui susurrent à l’oreille de la proie ou du chasseur vous entendrez aussi : “De toute façon, la France est toujours suspicieuse vis à vis des outils qui “performent” ou de ceux qui gagnent de l’argent”, position qui en dit long sur le chemin qu’il reste à faire avant la grande réconciliation, le grand pardon et ce malgré la foule en liesse amassée récemment pour acclamer la venue de François Hollande, premier surpris.
Pourtant notre objet ici n’est pas de revenir sur la triple mise en examen prononcée récemment, ni sur les historiques et personnalités des sulfureux protagonistes, mais de nous focaliser sur le local, sur Saint-Martin et plus particulièrement sur sa conséquence immédiate : le point numéro 9 de l’ordre du jour du Conseil Territorial du 25 juin 2015, par ailleurs date exacte des 30 ans de la SEMSAMAR, qui annonce : “Constitution de Partie Civile de la Collecitvité de Saint-Martin dans l’affaire Ministère Public/SEMSAMAR” !
Les amateurs de sagas et de chaos apprécieront mais ce point 9 fait un peu frémir et à plusieurs titres localement et il n’est vraiment pas garantie que les loi du fractal soient respectées et que du chaos naisse l’ordre.
En effet, dans un cas de ce genre, nous nous serions plutôt attendus à un très classique et raisonnable message du genre “La Collectivité croit en la présomption d’innocence comme en la justice. Si le juge des libertés n’a pas estimé nécessaire de priver Madame Bélénus-Romana de l’exercice de ses fonctions, alors nous nous en remettons à la procédure.” D’autant plus que la confiance du Conseil d’administration en la Directrice Générale vient d’être renouvelée par 8 voix (sur neuf exprimées)AMP. Un tel message aurait eu le mérite, si ce n’est de soutenir la Directrice, d’afficher au moins une ferme unité et une volonté de construction partagée au sein de la majorité.
Mais il n’en est rien… tout d’abord un communiqué laconique émanant de la CollectivitéAMP et aujourd’hui, il semble même que les conseils qui entourent les actions de la Collectivité aient jugé bon de lui recommander de se porter partie civile dans cette affaire alors même que 6 des administrateurs de la SEM sont issus des rangs de la COM et que dans le cadre de la mise en examen de la Personne Morale SEMSAMAR, ils pourraient bien, ainsi que tous leurs prédécesseurs depuis 2008, avoir à répondre de leurs prises de positions au sein des différents CA qu’a pu connaître la SEMSAMAR depuis cette date. Ainsi, l’adoption de ce point numéro 9 viendrait quelque part mettre au ban du Conseil Territorial a minima six de ses membres dont cinq appartiennent à la majorité sans compter ceux et celles qui ont pu être l’espace d’un instant être membres du CA de la SEM, comme la Présidente elle-même par exemple.
On peut comprendre sans être juriste que la démarche puisse être pensée pour protéger la Personne Morale Collectivité actionnaire majoritaire de la SEMSAMAR des dégâts éventuels qui pourraient résulter de cette triple mise en examen et des enquêtes associées. Mais attention aux effets induits quelque peu plus pervers, à l’effet papillon sous des latitudes propices aux cyclones.
Tout d’abord, le vote de cette délibération viendrait sans aucun doute fragiliser encore un peu plus une majorité qui ne tient plus que sur le fil et motivée par un unique objectif partagé, un consensus mou : rallier 2017 sans trop de casse. L’on savait déjà que le Président de la SEMSAMAR, Monsieur Wendel Cocks par ailleurs Vice-Président de la Collectivité, n’avait pas accédé à la demande un peu appuyée de la Présidente Aline Hanson que de voir le dernier CA de la SEM grevé du point traitant du renouvellement ou non du mandat de direction à Madame Bélénus RomanaAMP. Celle-ci a d’ailleurs été largement reconduite dans ses fonctions avec une large majorité. Par cette prise de position, à contre courant de la présidence, il était déjà aisé de sentir la dissonance au sein de la majorité au Conseil Territorial et la constitution en partie civile pourrait donc être lue comme un recadrage présidentiel.
Mais avec ce vote du 25 juin, le désaccord risque de prendre une autre mesure puisqu’il serait surprenant que les membres du CT actuellement administrateurs de la SEM puissent y prendre part… la question peut d’ailleurs même se poser vis à vis des membres du CA qui ont été administrateurs de la SEMSAMAR sur la période concernée… L’un d’entre eux, le Député Daniel Gibbs doit d’ailleurs certainement plancher ardemment sur la position que tiendra son groupe lors de ce vote, gardons d’ailleurs en mémoire que c’est ce même Daniel Gibbs, en rupture consommée avec Jean-Paul Fischer, qui avait initié la chasse au salaire de Marie-Paule Belenus Romana évinçant au passage son deuxième meilleur “ennemi” Louis-Constant Fleming de la présidence de la SEM.
Quoiqu’il en soit, la Présidente affiche ici clairement sa position vis à vis de l’outil et cette position ne va pas dans le sens de la réforme et du changement de cap souhaités par le Président CocksAMP et dont la mise en œuvre a débuté sous la houlette de Madame Bélénus Romana. Surprenant qu’il n’y ait pas consensus local sur ce changement de Cap puisqu’il repositionne la SEM beaucoup plus près de Saint-Martin que par le passé dans ses actions actuelles ou en développement. Il faut dire qu’à part la Guyane, territoire en devenir et en plein développement, les plates bandes Guadeloupéennes sont aujourd’hui bien occupées par la SEM Patrimoniale dirigée par Jean-Paul Fischer et dont les missions pour et à l’échelle de la région Guadeloupe sont bien proches de la SEMSAMAR.
Un deuxième point apparaît aussi quelque peu perturbant dans la proposition qui sera soumise au conseil territorial le 25 juin prochain. Si le vote relatif à la Constitution de Partie Civile de la Collectivité de Saint-Martin dans l’affaire Ministère Public/SEMSAMAR revenait positif et quels que soient les élus qui pourraient prendre part au vote, est ce que cela n’inviterait pas les actionnaires minoritaires à faire de même ? Le chemin tracé, la Région Guadeloupe, la Ville de Basse Terre, la Caisse des Dépots et Consignations, La Société Foncière de l’Anse Marcel ou le sénateur Louis-Constant Fleming pourraient eux aussi choisir de se constituer partie civile, sclérosant ainsi de fait tout exercice directoire. Nous atteindrions alors le paroxysme de la complexité, un vrai contexte kafkaïen où d’un côté le Ministère Public aurait mis en examen la personne morale SEMSAMAR représentée par ses administrateurs et ses directions successifs et de l’autre les mêmes interlocuteurs qui se poseraient en victimes des directions et se constitueraient donc parties civiles. Pourquoi ne pas imaginer alors que Monsieur Fischer et Madame Bélénus-Romana se portent partie civile eux aussi, victimes d’administrateurs trop fantasques par exemple…
Au delà du côté tout à fait truculent du scénario, il y a un impact majeur pour la SEMSAMAR elle-même : quel avenir après un tel imbroglio politico judiciaire et autant de défiance interne ? Sans doute aucun car la perte de crédibilité serait majeure, l’activité de la SEM en pâtirait forcément, l’action verrait sa côte fondre gentiment jusqu’à ce que la SEMSAMAR vive son armagedon et que ceux qui s’estiment compétents là où elle l’est depuis 30 ans se partagent les miettes du marché, colossales miettes il est vrai… Pour l’actionnaire majoritaire qu’est la Collectivité de Saint-Martin, peu de chances de tirer son épingle du jeu ou de conserver un actionnariat majoritaire quelle que soit la nature du phœnix qui renaîtrait de ces cendres là.
Enfin, un troisième point et pas des moindres se profile et il est très ancré sur le territoire de Saint-Martin : que serait le territoire sans la SEMSAMAR et que deviendrait-il sans ce prodigieux outil ? Là où le tissu économique bat déjà de l’aile, il n’est pas un entrepreneur, un artisan qui n’ait pas eu directement ou indirectement comme interlocuteur la SEMSAMAR dans la vie de son activité et que dire des familles pour qui la SEMSAMAR est l’interface logement obligatoire, sans parler de l’action sociale, du sponsorship et de l’animation ?
Vu de loin, le discrédit et les conséquences potentielles de celui-ci portées à la SEMSAMAR reviendraient quelque part pour la collectivité à se tirer une balle dans le pied.
En effet, alors même que la SEMSAMAR a été initialement conçue, des dires de son créateur, afin d’accompagner l’autonomisation de Saint-Martin, les événements qui entourent la célébration du 30ème anniversaire témoignent bien du rôle de la SEM dans le développement local en dépit des nombreux aléas vécus depuis le changement de direction (et dont les médias guadeloupéens en particulier se délectent régulièrement).
Localement, nous avons toutes et tous un avis sur la SEMSAMAR, une émotion, des craintes ou de l’admiration que l’on soit au fait ou non de ses activités, de son actionnariat, de son passé ou ses perspectives… mais nous savons surtout que la SEMSAMAR est le premier outil de la Collectivité en ce qui concerne la mise en opération des politiques émanant du Conseil Terriorial et qui relèvent de ses compétences. La Collectivité de Saint-Martin, dont on se lasse de l’éternelle jeunesse, n’a pas vécu de période de stabilité effective depuis sa naissance en juillet 2007, entre invalidations, quêtes d’ascension, dissidences, élections et autres… La mandature assumée par la présidente Aline Hanson constitue la première véritable période de calme de la gouvernance, que l’on soit en phase avec la politique menée ou non et l’affaire SEMSAMAR semble vouloir prendre une tournure localement qui pourrait bien mettre à mal profondément cette stabilité de surface. Au regard et au nom même de cette stabilité, on s’interroge d’ailleurs sur la présence même de ce point a l’ordre du jour du prochain conseil territorial même si l’on ne doute pas qu’à l’échelle individuelle, de l’ego, celui-ci pourrait trouver des votants, inconscients, crédules, jaloux, revanchards… ou ambitieux ?
Quoiqu’il en soit, de manière plus terre-à-terre, si ce point était adopté, et le principe de précaution sur lequel il s’appuie étendu de fait à la gestion de l’outil par une Directrice qui a pourtant conservé du tribunal le plein exercice de ses fonctions, il y a fort à parier que les efforts de la société se déploieraient plus et plus volontiers sur des territoires plus enclins à accueillir la manne. Ainsi, le directeur de la SEMSAMAR Guyane affirmait la semaine dernière au sujet de cette actualité judiciaire qu´elle n´aurait aucun impact sur l´activité : “Nous continuerons à travailler sans nous détourner de notre mission : produire plus au profit des habitants…”. Dans quelle mesure cela pourrait-il être le cas à Saint-Martin si une constitution de partie civile posait l’actionnaire majoritaire en défiance affichée du CA et de la Direction après lui avoir renouvelé sa confiance il y a à peine quinze jours ?
L’analyse qui vous est ici proposée est naturellement assez empirique, nous n’écrivons pas l’histoire mais tentons d’en discerner les contours et d’identifier les possibles… le Point 9 caricaturalement, c’est un peu comme se jeter benoîtement dans la gueule d’un lion pour se protéger d’un moustique sauf s’il s’agit d’appliquer une politique du genre “Coulons le bateau avant que le contenu des cales ne soit découvert, tant pis pour l’équipage”. Quoiqu’il en soit la nature même de la démarche tend à rendre tous les administrateurs suspects…
Certains riront de cette fantasque théorie jusqu’à ce qu’elle se réalise, à l’instar de ce que nous avions annoncé en janvier 2014 vis à vis des sénatoriales de septembre (link).
Nous ne ferons pas non plus trop de chauvinisme territorial, nous contentant d’observer qu’à l’échelle de Saint-Martin, ce sont en fait plus de 51% des actions qui sont maîtrisées et que cette maîtrise, bien ordonnée, est sans doute le plus puissant atout de notre territoire. Malheureusement, les CA ne se cantonnent pas toujours à la cause publique ou à l’intérêt de la structure, ils sont aussi le lieu d’affrontements politiques majeurs et de luttes d’influence qui sclérosent les possibles, les potentiels de la SEMSAMAR et qui sont directement imputables entre autre au manque de cohésion des majorités successives au Conseil Territorial.
Rendez-vous donc le 25 juin pour le conseil Territorial et l’anniversaire de la SEMSAMAR en souhaitant pour Saint-Martin que ce ne soit pas le dernier (anniversaire, pas Conseil Territorial).