La crise ? Pas à Saint Martin !
Titre iconoclaste ou réalité? Comment venir dire que la crise n’est pas à Saint Martin quand tout le monde voit les magasins se fermer, les sociétés déposer le bilan, les chômeurs toujours plus nombreux? Parce qu’il existe une grosse différence entre nous et l’Europe: le développement. Encore un gros mot.
Le contexte économique européen alimente nos journaux, que ce soit à la télévision, sur internet ou sur papier. La Grèce menace de quitter l’Europe et l’Italie comme l’Espagne inquiètent les marchés tant leur dette est importante et leur économie par ailleurs en récession. Pour revenir à la base de la crise, et au-delà de l’épiphénomène du facteur déclencheur qu’était l’affaire des “subprimes”, c’est bien le mécanisme comptable des états qui est en cause. Celui-là même que la bonne ménagère évite, c’est-à-dire dépenser plus qu’elle n’a dans son bas de laine. Pourtant, c’est ce que font les états depuis des décennies (et l’Europe avec sa règle de maintenir les déficits budgétaires en-dessous de 3%): voter des budgets en déséquilibre sous prétexte que la dette générée crée de la richesse et qu’elle peut être financée à bon compte, par l’inflation, ou, parfois, en remettant en route la planche à billets, comme aux USA, ou encore en émettant des obligations d’état piochant dans l’épargne des citoyens. Du moins, tant que tout va bien. Car un jour, comme en France, la dette atteint la moitié du PIB. Autrement dit, la moitié du budget de l’Etat sert à payer les intérêts de la dette. C’est comme si la moitié de ce que vous gagnez servait à payer vos crédits. Et encore, pas directement le capital, seulement les intérêts. Ceci dit, si vous gagnez assez, le système peut continuer à fonctionner tout en vous permettant de vivre dans un confort à crédit satisfaisant. Le problème, c’est le petit grain de sable à l’autre bout de la planète qui vient tout enrayer. Comme les actifs pourris. Ou une gestion catastrophique, comme la Grèce, passée trop vite à l’euro et avec une comptabilité falsifiée, parfois avec la complicité de grands analystes ou argentiers. Le pire, c’est que tout s’enchaîne et que la réaction logique des états, comme des ménagères, est de réduire les dépenses. L’austérité s’installe. Avec elle la réduction du pouvoir d’achat, la chute de la consommation interne qui, a son tour, conduit à des fermetures, augmentant les charges de l’Etat, réduisant les moyens des ménages qui consommeront encore moins. Et c’est la crise qui s’installe durablement car il est très difficile d’inverser la tendance. Avec l’épée de Damoclès de la déflation. Quelque part, nous sommes responsables individuellement et collectivement de la crise. Le ménage qui reporte d’un à deux ans l’achat d’une nouvelle voiture, pourtant programmée, par crainte de la récession, la crée car le constructeur va devoir réduire sa masse salariale, et donc ses coûts, face au rétrécissement du marché puisqu’il vend moins de voitures, et par contrecoup, notre ménage va se trouver licencié….
Face à des situations de crise comme celle-là, que nous connaissons bien évidemment à Saint Martin, les états ont peu d’outils. Un de ceux-ci a été développé par l’économiste Keynes. Ce natif de Cambridge misait sur l’injection dans l’économie, par l’Etat, de grosses sommes en commandant des travaux. C’est la commande publique, ou la théorie de l’interventionnisme. Nous avons cela aussi ici puisque l’Etat et l’Europe ont injecté une dizaine de millions dans l’économie en finançant la médiathèque ou encore les châteaux d’eau et des routes. La France imagine actuellement, par exemple, injecter des moyens pour financer des grands travaux comme quatre nouvelles grandes autoroutes, deux lignes TGV, etc… sachant que les états se financent à des taux bien inférieurs à ce que nos banques proposent aux particuliers ou aux entreprises. Le problème, c’est que les caisses sont vides et qu’il va donc falloir une fois encore lever des fonds, soit en empruntant aux banques, soit auprès de la population par l’émission d’obligations. Donc alourdir le poids de la dette, mais inversement, l’injection d’argent va créer de l’impôt et donc permettre à l’Etat de reprendre d’une main ce qu’il a donné de l’autre. Le Keynésianisme est une théorie qui a fait ses preuves et qui a encore de belles heures devant elle puisque la France, comme d’autres nations, s’y engage aussi (en nuançant cependant). L’autre voie, est de créer de la croissance. Voeux pieux de François Hollande. Mais s’il a raison sur le fond, comment décréter cet élan? Croissance et crise sont deux concepts qui doivent beaucoup à la confiance. C’est donc ce que l’Etat doit s’attacher à donner par toute une série de mesures capables de restaurer la confiance car l’on sait que celle-ci revenue, la relance sera plus importante que le coût du moyen qui a servi à la créer, par effet levier, par emballement irrationnel (du moins au niveau de l’individu).
Il y a cependant dans nos pays un écueil difficilement contournable et que ne connaissent pas les pays émergents qui se targuent, comme la Chine ou le Brésil, de taux de croissance à deux chiffres. C’est celui du niveau de développement. Notre problème majeur en Europe est notre niveau de vie qui laisse peu de place au développement de nouveaux marchés intérieurs. Ce que ne connaissent pas les pays émergents dont une partie importante de la population ne dispose pas du minimum de confort auquel nous sommes habitués. Quand nous avons bien souvent deux ou trois voitures par ménage, une part importante de la population de ces pays n’en aura pas avant des années. Il y a donc une forte demande intérieure qui suffit à alimenter la croissance. Et quand on a un pays si vaste qu’il peut y avoir des déséquilibres internes énormes d’un bout à l’autre, on peut à la fois s’appuyer sur un marché intérieur en plein développement et attaquer l’international. Mais inévitablement, un jour viendra où ces pays se retrouveront dans la même situation que le vieux continent: ils auront tout et leur marché intérieur se sera comblé, d’où une nouvelle crise. Le problème, c’est qu’on ne peut créer éternellement le marché, sinon par l’obsolescence organisée qui ne sera pas du goût du consommateur et donc un risque impossible pour le fabricant. On tourne donc en rond, sauf à développer de nouvelles pistes comme par exemple les énergies vertes. Les Etats-Unis s’en sortent mieux que l’Europe et ont renoué avec la croissance car il existe encore de grandes disparités d’un bout à l’autre de l’état continent et certaines zones n’ont rien à envier à des pays en développement. Si le niveau de vie des américains est bon, il le doit à la moyenne entre des extrêmes très éloignés. Et donc, il reste des choses à faire. C’est aussi une reconnaissance d’un autre aspect moins connu de Keynes que l’interventionnisme, celui que la demande génère la production et non l’inverse. En d’autre terme, dès lors qu’une demande existe (tout le monde a envie d’avoir sa voiture), la production s’égalise (un marché identifié conduit à développer un produit adéquat). Et ce n’est pas l’inverse: on n’invente pas un produit pour se demander ensuite à qui on va le vendre.
Et c’est là où je voulais en venir. Nous sommes dans la même situation. Notre île aussi connaît ces écarts de richesse considérables entre une population locale ou européenne aisée, voire très aisée et une grande frange principalement immigrée régionale qui vit bien souvent en-dessous du seuil de pauvreté. Par ailleurs, nos infrastructures sont insuffisantes quand dans le même temps notre produit touristique est ouvert par pans entiers au développement. Or, la demande existe. Si la crise est bien réelle chez nous, nous avons par contre, à l’instar des Etats Unis ou de la Chine et le Brésil toutes les possibilités à nous développer et relancer notre économie. Le nerf de la guerre manque me rétorquera-t-on? Les caisses sont vides? Et alors? Nous avons dans le même temps un potentiel énorme qui ne demande qu’à se développer, dont nous avons les clés puisqu’il s’agit seulement de déterminer les axes, une stratégie, et la mettre sur le marché. Les capitaux viendront. Je donne quelques exemples, dont certains tirés du programme de l’actuelle majorité. La “Free zone” par exemple. Voilà une mesure qui à la base ne demande aucun investissement, juste de décider d’une organisation fiscale particulière autour du port. Comme de décider que les sociétés qui s’y implanteront, mais venant de l’extérieur, ne paieront qu’un impôt très réduit durant x années et que le terrain sera mis quasi gratuitement à disposition (emphytéose). Qu’en plus, les cotisations sociales seront réduites (à négocier avec l’Etat ou utiliser des mécanismes existants), mais que dans le même temps la Collectivité prendra à sa charge des travaux d’infrastructures qui lui coûteront moyennement puisque l’Europe peut certainement intervenir pour une bonne part via des fonds de développement (Interreg). Pour faire quoi? Par exemple, nous disposons maintenant à Galisbay d’un magnifique frigo, l’un des plus gros des Caraïbes. Dans le même temps, nos jeunes sont polyglottes. Nous sommes aussi en Europe (moyennant un petit droit de douane de 1,2%). En mettant tout bout à bout, on pourrait imaginer de démarcher les îles de la Caraïbe pour des produits comme des fleurs, des légumes bio, des fruits, des produits de la mer, de les aider à se structurer dans le cadre des réglementations européennes et canaliser tous leurs produits vers le port de Galisbay qui servirait alors de porte d’entrée dans l’Europe.
Dans le domaine du tourisme, nous devons développer notre outil. Mais il doit s’appuyer sur deux choses qui sont toutes à notre portée. La première est de développer la qualité, donc nos routes, l’assainissement, la propreté, restaurer l’existant. Ensuite, toujours moyennant un environnement fiscal approprié (et surtout une fin organisée), solliciter les grands noms internationaux autour d’un produit redynamisé et redéfini via une communication efficace (Office de Tourisme) car la demande existe. Si l’on se rappelle que nous avions à une époque plus de 4000 chambres, nous n’en avons à peine un millier maintenant. Pourquoi? Outre les problèmes de sortie de défisc, il y a aussi le choix de la cible qui au fil du développement des îles voisines nous a conduit à nous battre sur un objectif trop bas de gamme. Il faut donc redorer la destination et nourrir la différence. Tout cela est le résultat d’actions autant collectives qu’individuelles.
Développer c’est aussi avoir des idées. A ce titre, celles de Daniel Gibbs n’étaient pas mauvaises, même si certains aspects apparaissaient comme mal calibrés. Mais réorganiser le Front de mer autour d’une marina offrant un accueil de meilleure qualité, développer une attraction majeure grand public (Cirque du Soleil) pour drainer une clientèle présente déjà (la croisière, donc la demande), organiser de l’événementiel pour remplir la basse saison, tout cela était bénéfique à deux titres. D’abord cela injectait de l’argent à court terme dans l’économie pour la construction des infrastructures. En deuxième, cela alimentait les caisses de la Collectivité par le biais des impôts prélevés sur la nouvelle population mise au travail ainsi que l’amélioration du tissu économique.
Malheureusement, tout cela a capoté (pour le moment) par la faute d’ego surdimensionnés dont on voit bien où cela les a conduit. Pourtant, ces possibilités existent et c’est ce qui me permet de conclure: nous avons encore de grandes marches à franchir pour développer notre île et notre produit. Si nous nous organisons bien, nous pouvons très vite sortir de la crise car il reste encore beaucoup de choses à faire ici alors que dans le même temps la demande existe. Les apports extérieurs, en injectant de la richesse, développeront notre marché intérieur, égaliseront les niveaux, permettront d’organiser notre outil. Il suffit de prendre les bonnes décisions au bon moment. L’autre jour j’entendais par hasard une déclaration du Président Richardson qui me semble aller dans ce sens-là puisqu’il parlait de faire venir des investisseurs. Si la frilosité et le repli sur soi est une page tournée, et si la volonté se manifeste réellement, alors on peut espérer que dans les cinq ans qui viennent, l’île aura renoué avec le succès. Car nous avons tout ce qu’il faut pour.
Yves KINARD