“Phobique des objectifs”
Oui. Google ne lui a pas encore donné de nom, mais c’est pas des conneries, ça existe vraiment. Autant vous dire qu’aujourd’hui, avec Facebook où la photo taguée est presque une religion, j’ai pas vraiment choisi la bonne phobie.
L’origine de cette peur est très facile à comprendre. Il suffit de jeter un oeil sur mon passé. Physique, j’veux dire. J’ai eu une très longue période, environ de mes 11 à 19 ans, où ma laideur n’avait égale que mon assurance. C’est pas pour me jeter des pierres : j’étais laide, mais je le vivais très bien. Je portais des habits de mecs, une casquette BMW (oui oui, vous avez bien lu), et une mèche digne de Mireille Mathieu. À l’époque déjà, je pressentais un peu le coup fourré : à quoi bon me faire prendre en photo avec des potes, puisque j’allais être moche dessus ? N’empêche, moche pour moche, me disais-je, je n’avais pas grand chose à perdre.
Et c’est ainsi que je courus moi-même à ma perte, réunissant le plus gros paquet de dossiers de toute l’histoire des photos laides de tous les temps.
Vers l’adolescence, réussir à me prendre en photo relevait du miracle. Voyez-vous, quand on est aussi peu photogénique que moi, on sait d’avance quelle sera notre tête sur le cliché final. Il suffit qu’un mec brandisse un appareil pour visualiser à la perfection la future tête de cul. Tout le monde vous râle dessus parce que vous ne voulez pas y être, vous empoigne de force pour faire un grand « cheeeese » collectif, et puis la photo arrive. Et vous savez quoi ? Au final, même si tout le monde clamait « Mais noooon, tu vas voir ! », eh bien j’avais toujours une sale tronche. Vous comprendrez qu’accumuler des dizaines de photos dossiers sans UNE SEULE pour rattraper l’autre, ça fait pas du bien à l’ego.
Aujourd’hui, même si la période ingrate (qui dura tout de même plusieurs années) est passée et que je suis super bien dans ma peau, cette phobie des photos est restée. Parce que non, je ne suis toujours pas photogénique. Je reste persuadée que certaines personnes ont une mystérieuse aura, et que cette histoire de photogénie n’est pas une légende. Certains sont canons sur les photos, même bourrés avec une clope en bouche. Voilà. D’autres, comme moi, ressemblent davantage à E.T. Sans même lever le petit doigt. C’est presque un don qu’on m’a donné à la naissance.
Malgré ces preuves évidentes de non-photogénie, on continue parfois de m’engueuler quand je refuse de me faire prendre en photo. Et je continue à avoir une tête de cul les rares fois où j’accepte. En plus, ça crée un fichu cercle vicieux : tu as peur d’être prise en photo, tu fais une tête de pingouin anorexique constipé, tu es donc moche sur le cliché final, ce qui augmente ta peur d’être prise en photo, qui augmente donc la mocheté de ton visage coincé sur le cliché suivant. Vous me suivez ? Mon visage, sur les photos, hurle quelque chose comme « LAISSEZ-MOI PARTIR ! ». Rien de joyeux dans tout ça, pas de quoi participer à l’ambiance d’une photo de groupe prise sur la plage quoi. Au contraire.
On pourrait croire que les commentaires de gentils amis pourraient me sortir de l’impasse. Eh bien en fait, c’est pire.
Le top 3 des phrases « rassurantes » qui te donnent des envies de suicide :
1 – « Mais arrêêêêête, t’es trop belle là-dessus ! »
Ton cerveau traduit par : tu vois, ta tronche sur la photo, où t’as l’air d’avoir avalé un dromadaire entier tellement tu fais une tête bizarre ? Eh bien là-dessus, t’es BELLE. Imagine seulement comment tu es dans la réalité.
Dépression assurée. Dans ces moments-là, tu as une fâcheuse tendance à fuir absolument tous les miroirs, tant la peur d’avoir VRAIMENT la même tronche que sur la photo est intense.
2 – « Mais non… C’est parce que tu fais une drôle de tête là aussi. Faut te prendre au naturel ! »
Manque de bol, la photo que te désigne ta pote, c’était la seule du lot qui avait été prise par surprise, quand tu n’étais même pas au courant, et donc la seule où tu pouvais PAS être plus naturelle que ça.
3 – « Mais arrêêêête, elle est super drôle ! »
Mais là je voulais juste être JOLIE, même MIGNONNE à la limite, mais pas DRÔLE !
(Après, je veux bien le croire, en réunissant toutes mes casseroles on pourrait faire six épisodes des Enfants de la télé, ce serait super drôle, haha.)
Tout cela a contribué à mon incroyable peur des objectifs en tout genre. J’ai développé une sorte de sixième sens et je les repère de suite en arrivant quelque part, un truc qui me fait lever la main avec la rapidité d’un membre des X-Men dès que le « clic » démoniaque retentit quelque part. Imaginez tout le self-control que je dois déployer lorsqu’il faut refaire la photo de ma carte d’identité. Pour moi, c’est un peu comme rester stoïque face à un dragon qui m’éternue dessus.
Aujourd’hui, je préfère largement vivre avec l’illusion qu’en vérité, par un étrange miracle, je suis devenue canon sur les photos. Ou au moins mystérieuse, glamour et tout et tout. En attendant, pour ne pas casser mes rêves, vous me verrez toujours avec une main pour me cacher – ou tout autre chose d’ailleurs, un bol, des cheveux, un livre… l’important c’est que l’objet masque au moins les 3/4 de mon faciès.
Aucune photo de moi sur les réseaux sociaux, du moins aucune sur ma page. Il y a, bien sûr, les potes d’enfance qui trouvent méga drôle de partager un ancien dossier de temps en temps, où tu es tellement moche que tu saignes des yeux. Mais après une ou deux crises de larmes (et des vraies, hein) et plusieurs implorations, j’arrive généralement à la retirer. Parce que non, voir ma tronche de cake d’il y a quelques années ne me semble pas très amusant. « Haha, regarde comme t’étais moche ! Trop lol hein ? »
La phobie s’est étendue à absolument toutes les photos de moi, et même quand, par MIRACLE, je n’ai presque rien à reprocher à un cliché sortie du lot, et croyez-moi, ça fait un choc (“Merde mais… Ch’suis bien ! Mon dieu, prévenez le pape, c’est un miracle, je suis BIEN !” ), je vais toujours trouver le défaut à la con qui me fera honte et au final me fera supprimer la vilaine photo de moi. C’est là que je me suis rendue compte que j’avais, aussi, un sérieux travail à faire sur moi-même et que la non-photogénie n’excusait pas tout.
Le plus lassant dans tout ça ?
Quand tu avoues avoir une sainte peur des objectifs, tu provoques immédiatement l’effet connard de gosse (concept inventé par le dessinateur Boulet). A savoir que lorsque tu affirmes détester quelque chose, tu es sûr d’en avoir trois fois plus dans la tronche dans l’heure qui suit. Autant vous dire qu’après cet article, je vais m’empresser de bloquer mon mur, et peut-être même me retirer quelques temps du monde facebookable pour ne pas subir la montée en puissance du phénomène et les nombreuses dépressions qui vont suivre. J’en frissonne déjà.
Bon, ne soyons pas pessimiste, je vais mieux. Beaucoup mieux. Dernièrement, j’ai mis une photo de moi sur Facebook en train de mettre un casque de moto. On voit mes cheveux. Et puis, ensuite, j’ai réussi à aller encore plus loin : une photo de face, où on voit carrément mes yeux et la partie droite de mon faciès. Le reste est recouvert par la grosse tasse de chocolat chaud que je suis en train de boire, mais bon, je ne perds pas espoir pour la suite.
En attendant, si vous pouviez éviter de titiller les gens qui vous affirment détester les photos, ce serait sympa.
Des bisous.
Wild Grass