Saint-Martin. George Pau Langevin, Ministre de la Réussite éducative est annoncée en visite… l’occasion de revenir sur le bilinguisme

Igor Rembotte
Par Igor Rembotte 22 Jan 2014 22:45

Saint-Martin. George Pau Langevin, Ministre de la Réussite éducative est annoncée en visite… l’occasion de revenir sur le bilinguisme

Voilà un sujet que nous aimons évoquer : le bilinguisme en milieu scolaire. Récemment encore, nous vous proposions de vous pencher sur la question dans un article intitulé “L’apprentissage des langues régionales refait surface… mais pas partout !”. Car en effet, le saint-martinois (entendez par là la langue maternelle utilisée à Saint-Martin) ne fait pas partie de la liste des langues de France et ne bénéficie donc que de très peu de reconnaissance et d’encore moins de moyens pour trouver le moyen de survivre. Rappelons que cette langue est aussi un formidable vecteur de culture et que sa disparition serait dommageable pour un territoire dont l’identité contribue au rayonnement touristique. Notons que la menace sur l’identité est bien ce qui provoque certaines regrettables radicalisations. 

George Pau-Langevin / Ministre déléguée auprès du ministre de l'Éducation nationale, chargée de la Réussite éducative

George Pau-Langevin / Ministre déléguée auprès du ministre de l’Éducation nationale, chargée de la Réussite éducative

La visite annoncée de la Ministre déléguée auprès du ministre de l’Éducation nationale, chargée de la Réussite éducative, George Pau Langevin, est une opportunité à ne pas manquer pour qu’un travail de lobbying fort soit fait et que le saint-martinois intègre cette liste. En la matière, Dominique DÉMOCRITE-LOUISY, professeure de Lettres-histoire au Lycée des Îles du Nord prend donc son bâton de pèlerin pour plaider la cause locale et remet au goût du jour une missive par laquelle elle interpellait la ministre en novembre dernier. Nous lui souhaitons de trouver localement dans le cadre de cette visite tout l’appui que la cause justifie.

Nous vous livrons ci-après le courrier de Dominique Démocrite-Louisy et la réponse du chef-adjoint de cabinet de la ministre.


Saint-Martin le 5 novembre 2013

Madame Aurélie Filippetti – Ministre de la culture et de la communication

Objet : Contribution pour la reconnaissance de l’anglais de Saint-Martin

Dominique Démocrite-Louisy - crédit photo : LivioPix

Dominique Démocrite-Louisy – crédit photo : LivioPix

Madame la Ministre,

Suite à la venue aux Antilles de Monsieur Xavier North, nous prenons acte de la volonté du gouvernement de donner une véritable visibilité aux langues régionales  et nous avons lu avec un grand intérêt le rapport qui vous a été présenté en date du 13 juillet 2013. Nous nous sommes notamment penchés sur l’inventaire de ces langues  en  annexe IV et nous constatons une fois de plus que l’anglais de la Collectivité de Saint-Martin n’y figure pas.  

Reconnaitre l’anglais de Saint-Martin en tant  que langue régionale est une demande récurrente de notre collectivité mais les gouvernements précédents n’ont pas semblé nous entendre en dépit des arguments que nous leurs avons opposés. Les derniers dossiers remis au Ministère des Outre-Mer en mai et juin 2013 concernaient la situation des élèves de Saint-Martin, situation qui à elle seule justifie la reconnaissance de l’anglais saint-martinois.

Un bref historique vous permettra de comprendre les raisons de la présence de l’anglais sur ce territoire.

De 1648 à 1816, l’île de Saint-Martin située au nord de l’archipel des Petites Antilles, change sept fois de mains. Elle est tour à tour occupée par la France, les Pays-Bas et l’Angleterre avec une prédominance d’occupation anglaise. Pendant cette période, la population est essentiellement anglophone. Aujourd’hui, le territoire est coupé en deux par une frontière virtuelle, d’un côté la partie néerlandaise où cohabitent deux langues officielles, le néerlandais et l’anglais. De l’autre, la partie française dont la langue officielle est le français mais où l’une des langues véhiculaires est également l’anglais. Entre 1975 et 1990, suite à la défiscalisation, la population de Saint-Martin passe de 5550 habitants à 28 518 ! La main d’œuvre étrangère en sus de sa force de travail amène dans ses bagages, le créole haïtien et l’espagnol de la République Dominicaine.

Alors que l’anglais et l’espagnol prédominent dans dix-neuf états de la Caraïbe, la langue de Molière quant à elle n’est parlée que dans cinq d’entre-eux. Dans ce contexte particulier, la situation linguistique de Saint-Martin est atypique puisque d’une part, la langue officielle est le français et que d’autre part, la langue en usage sur l’ensemble du territoire est une variante de l’anglais, une langue dont l’hégémonie n’est plus à prouver.

L’anglais de Saint-Martin a ses propres caractéristiques. Comme l’énonce si bien Lionel Davidas[1] « c’est un parler créole original où se mêlent intimement concision et expressivité. »[2] Cette langue a toujours été présente dans toutes les activités de la société saint-martinoise, y compris dans les administrations. Cependant, la documentation relative aux opérations administratives est en français, ce qui oblige l’usager non francophone à une gymnastique mentale quelque peu compliquée, notamment en ce qui concerne le passage de l’oral à l’écrit mais surtout d’une langue à l’autre. En effet, il leur faut bien souvent décoder le message français, le traduire avant d’effectuer la tâche attendue, sans la garantie d’avoir bien interprété celui-ci. De plus, au quotidien, les habitants de la collectivité de Saint-Martin écoutent la radio en anglais (4 sur 5), s’adressent à leurs interlocuteurs spontanément dans cette langue sans hésiter pour autant à utiliser le français si cela est nécessaire et malgré les difficultés éprouvées.

L’anglais local ne fait pas partie des enseignements optionnels, situation qui laisse perdurer un flou quant au statut de cette langue. L’apprentissage de cet anglais permettrait à l’élève de bien faire la distinction entre les particularités de sa langue et celle apprise dans le cadre scolaire. Puisse que, comme le précise R. Romney[3] « l’ordre des mots du parler saint-martinois est le même, qu’il s’agisse de l’anglais britannique ou de l’anglais américain. Comme c’est un parler populaire, il est parsemé de contractions de toutes sortes. »[4] Par exemple le passé se construit à l’aide d’un verbe à l’infinitif et d’un adverbe : he come yesterday[5].

Cette même analyse avait été faite en 2000, par  Madame Brigitte Lallement, agrégée de l’université et Inspectrice Pédagogique Régional (IPR) d’anglais de l’académie de Reims, qui affirma que les différences entre l’anglais standard et l’anglais vernaculaire parlé à Saint-Martin ne constituaient pas un frein à la communication. Elle suggéra que l’accent soit mis sur l’amélioration de l’anglais écrit pour les anglophones et que le français leur soit enseigné comme une langue seconde.

En 1999, Un projet baptisé -projet Saint-Martin[6]– et validé par le Recteur de l’époque, Monsieur Jean-Pierre Chardon[7] fut initié par un groupe d’enseignants, désireux d’aller au-delà des constats et conscients qu’il n’était pas possible d’enseigner à Saint-Martin comme on enseigne à Paris. Ce projet poursuivait deux objectifs majeurs : valoriser les langues maternelles des jeunes de Saint-Martin, et les doter d’une maitrise avérée de la langue française tout en tenant compte des deux autres langues (créole et espagnole) parlées dans la région Caraïbe. Pour la grande section par exemple, la mise en application d’un bilinguisme (français-anglais) à parité horaire était préconisée. Ce projet n’a pas été évalué suite au départ de ce Recteur.

Les originaires de Saint-Martin sont des citoyens français qui utilisent depuis toujours une langue qu’ils appellent anglais, car très proche de l’anglais dit standard, bien que certains puristes parlent de « broken english[8].» Tout comme les créoles bushinenge de Guyane à qui l’on reconnaît une base lexicale anglo-portugaise -deux langues européennes et internationales-, il nous semble que l’anglais de Saint-Martin présente toutes les caractéristiques lui permettant de figurer aux côté des autres langues régionales. 

Nous espérons  que cette contribution recevra un accueil favorable de votre ministère et nous nous tenons à votre disposition pour toutes informations ou précisions complémentaires.

Veuillez accepter, Madame la Ministre, nos respectueuses salutations.

Dominique DÉMOCRITE-LOUISY, professeure de Lettres-histoire, Lycée Polyvalent de Saint-Martin

Copie à : M. René Arnell, CESE

[1] L. Davidas, Professeur de civilisation anglo-américaine à l’Université des Antilles et de la Guyane, in St-Martin talk, words, phrases, sayings and general communication terms, R. Romney, House of Nehesi Publishers, Sy Martin, Caribbean.

[2] In préface de St. Martin Talk, R. Romney

[3] Robert Romney : Saint-Martinois, Inspecteur Pédagogique Régional d’anglais en 1996 et Représentant du recteur auprès des collectivités territoriales de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy. Actuellement à la retraite.

[4] R. Romney, St-Martin talk, words, phrases, sayings and general communication terms,House of Nehesi Publishers, St Martin, Caribbean. P.55

[5] R. Romney, St-Martin talk, words, phrases, sayings and general communication terms,House of Nehesi Publishers, St- Martin, Caribbean.

[6] http://www.ac-guadeloupe.fr/Cati971/Prem_Degre/iles_nord/html/les_avenants.html

[7] J.P. Chardon, recteur de l’académie de Guadeloupe de 1997 à 2003

[8] Broken english : littéralement « anglais cassé » c’est-à-dire un mauvais anglais.


Ministère de la Culture et de la Communication,

Le Chef Adjoint de Cabinet à Madame Dominique Démocrite-Louisy

Paris, le 23 décembre 2013

Madame,

Vous avez appelé l’attention de Madame Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, sur la reconnaissance de la langue anglaise sur l’île de Saint-Martin.

La ministre a pris connaissance de votre correspondance et m’a chargé de saisir les services concernés de la direction générale à la langue française et aux langues de France, afin que ce dossier soit étudié.

Je ne manquerai pas de vous tenir informée des suites réservées à votre démarche et vous prie d’agréer. Madame, l’expression de ma considération distinguée.

Alexandre TIPHAGNE


Souhaitons que la notion de “considération distinguée” soit pleinement habitée par la ministre lors de sa visite et que “le dossier” ait trouvé la voie entre les ministères qui lui aura permis d’être “étudié” avant sa venue, dans le cadre de l’examen de la Charte européenne des langues régionales qui a présentement lieu à l’Assemblée nationale, par exemple.

Igor Rembotte
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