17 janvier 2010, Alain Génestar sur RFI : “Nous ne sommes pas tous des Haïtiens”
Que dire qui n’a pas été dit mille fois ? Mais pourquoi faudrait-il s’interdire de redire ce qui a déjà été dit ?
À chaque fois qu’une catastrophe de l’ampleur de celle d’Haiti se produit, les analystes rivalisent dans leurs commentaires pour trouver des mots plus forts, pour exprimer des émotions plus sensibles les unes que les autres, pour rechercher des explications originales ou bien lancer des condamnations qui interpellent avec plus ou moins de talent la bonne conscience universelle.
Mais parler d’une catastrophe aussi dramatique et bouleversante que celle qui frappe le peuple Haïtien, parler des morts, des blessés, des disparus, de toute cette misère n’est pas une affaire de style, ni un concours pour décrocher la palme d’or du commentaire le plus émouvant.
D’autant que ces déluges verbaux ne débouchent sur rien, ne riment à rien sinon à satisfaire leurs auteurs. Ecrire « Nous sommes tous des Haïtiens » après avoir écrit, il y a cinq ans au lendemain du tsunami, nous sommes tous des Thaïlandais ou des Sri Lankais est un mensonge. Non, nous ne sommes pas tous des Haïtiens, même si nous sommes sincèrement émus humainement c’est-à-dire en tant que frères de la même humanité. Mais nous ne sommes pas tous des Haïtiens, car dans quelques semaines, au mieux dans deux, trois mois, nous serons passés à autre chose, à une autre émotion, une nouvelle chassant l’autre.
Il y aura même des prétendus experts en cause humanitaire qui nous expliquerons à coup sûr que finalement on en a beaucoup trop fait pour Haïti, qu’il y a trop d’argent et que de toute façon la corruption est telle que les fonds, nos dons, nos aides sont détournés. Car, c’est ainsi qu’on les traite les damnés du monde. On les traite de corrupteurs, de corrompus comme si nous les riches, nous étions des petits Saints. Comme si nous les riches, nous n’avions pas exploités, sucés jusqu’à la moelle leurs ressources, ni asservis tout au long de l’histoire leurs pères et leurs enfants. Comme si nous les riches, nous étions prêts à partager nos biens et nos fortunes. Prêts à les aider, non pas au lendemain d’une catastrophe aussi spectaculaire, mais avant, après, en permanence !
Alors, ce dont il faut parler aujourd’hui, sans effet de style, compte-tenu de tout ce que nous savons, de tout ce que nous avons fait, de tout le mal dont nous avions été autrefois les auteurs puis plus tard les complices, ce n’est pas d’aides charitables, mais d’indemnités, de dédommagements.
Nous ne sommes pas tous des Haïtiens. Nous sommes des Français, des Espagnols, des Américains qui doivent rembourser leurs dettes au peuple d’Haïti !!!
Alain Génestar
Alain Génestar est directeur de publication de Polka Magazine, un nouveau magazine trimestriel français de photojournalisme.